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Aux
alentours du Castello, je vois soudain le visage de Pierre Bourdieu,
apparition
politique, nique au Saint Suaire, sur un journal encrassé, à
deux pas de Gênes, et
le bruit de la ville entre tout à coup par ce visage ouvert, cette
vie fermée. Le
petit verre de rhum, au comptoir du café
Baratti, pour s'imaginer plus loin, ailleurs encore et promettre de
rejoindre
le Sud. Depuis le
départ de Paris, toutes
ces journées qui font tourner le désir, qui le font cailler.
Ce sont ces journées qui vieillissent. Je suis sorti du café, le
froid est entré dans mes poumons et les a resserrés alors
que je fredonnais les airs de vengeance et d'amour de la cantate
Lucrezia.
Elle
est là, je peux la choisir, la remettre dans ma tête, l'espace
d'un matin, moins peut-être, et la traîner comme une rengaine
douce, en atténuer les effets, la dissoudre, comme une pastille
de souvenir et d'images dans le flou de mes jours. Déjeuner
et dîner de restaurants, j'en suis fatigué. Mais la nourriture
est bonne. Je travaille. Toute la journée, voué à
la mémoire, aux émois enflammés des lectures de Bourdieu
qui pouvaient me projeter sur des barricades, la
fatigue a empesé mes gestes et mes pensées. J'ai traversé
la ville rabâchant mon amour et la crainte que j'éprouve de
te perdre car tu te perds, ne
sachant plus vraiment de quoi il s'agissait. |