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Il
a lu Pessoa. Il veut comme lui, accomplir des tâches sans
miracle et sans passion, dans un bureau à l'odeur aigre, hanté
de la sueur de générations de bureaucrates. Pour la première
fois, ce dimanche matin, il a pensé qu'il n'aurait plus à redouter
de ne pas la voir, s'il partait un plus loin de Lisbonne. Combien
d'Electrico
sont déjà passés ce matin ?
La
ville de Lisbonne ne tombe pas chaque soir dans le Tage, elle en est
retenue
par les câbles du Grand Eléctrico qui tendent ses murs contre
sa propre passion. Et c’est juste par commodité que l’on y fait
passer de l’électricité et que s’y accrochent des tramways
qui jouent le long des rues sur les collines lisboètes. Aux carrefours
des rues pavées, les câbles dessinent dans le ciel le destin
de la ville. Les augures les regardent en biais, pour ne rien laisser
paraître
de leur peur du temps qui vient.
Aux
carrefours étroits, les câbles se tendent sur la ville qui
joue avec la poussière humide du Tage. Ils portent loin le grésillement
morse du Grand Eléctrico, qui tintinnabule jusqu’au début
de la nuit. Puis, les néons oranges le remplacent pour des scènes
tardives. Les taxis glissent sur les rails, un peu de bruit. Dans les
taxis
de nuit, les grelins électroniques psalmodient tous les noms de
toutes les rues de Lisbonne et le sifflement des ondes raccorde celui
de
la langue portugaise toute assourdie par le soir bleu.
À Lisbonne, le tramway
tournicote. À Marseille,
il
a servi à s'échapper de la ville, à découvrir
plus vite les calanques, à construire des cabanes sur les rochers,
à suivre l'éloignement continu des îles du Frioul,
à rapporter au vieux port des objets de contrebande, des animaux
engraissés. À Lisbonne, il n'y a jamais autre chose qu'un
rituel de voyage enfermé. |