En effet, avoir la
puissance
de se mouvoir soi-même, comme aussi de sentir, ou de penser, je jugeais
que cela n'appartenait en aucune manière à la nature du corps
; au contraire, je m'étonnais plutôt de rencontrer en certains
corps de telles facultés.
Qu'en est-il maintenant
que je
suppose qu'un trompeur très puissant et, s'il est permis de le dire,
méchant, s'est délibérément, en toutes choses,
autant qu'il a pu, joué de moi ? Puis-je affirmer que j'ai la
moindre
chose de toutes celles que je viens de dira appartenir à la nature
du corps ? Je
concentre
mon attention, je pense, je réfléchis, rien ne se présente
; je m'exténue
à reprendre en vain la même quête. Et de celles
que j'attribuais à l'âme ? Se nourrir ou marcher ? Puisque
désormais je n'ai pas de corps, ce ne sont là aussi que fictions.
|
Alors
si Descartes n'a plus de corps, je n'ai plus de corps non plus et plus
personne n'a de corps, ni vivant, ni mort. Aujourd'hui, j'ai fait
procéder
à la crémation du corps de mon père. Dans l'après-midi,
j'ai exhumé du jardin l'urne contenant les cendres de ma mère,
posée là depuis plus de dix années, en un petit mausolée
dérisoire. Et je n'ai plus de corps. Plus personne n'a de corps
autour de moi. Alors, d'où viennent ces douleurs diffuses ? De
l'âme ? Mais Descartes a-t-il une âme ? Et si Descartes n'a
pas d'âme,
je n'en ai pas non plus...
Sentir ? Ressentir ? Est-ce bien différent quand c'est agréable
ou désagréable ? Ressentir le plaisir ou la douleur ? La
même chose ? C'est à dire rien ? Rien qui vaille, qui défaille, aux
mondes des fictions du monde, sans cesse, avec le souci permanent
de
contenir tout cela, le doute. |