diegese.fr
diégèse 2006

l'atelier du texte

Séquence 05
Séquence 06
Séquence 07

Dehors.

La scène est à Venise. A. et B. sont assis à une table de trattoria sur une place de Venise. Il ne fait pas froid. Il ne fait pas très chaud. Il ne fait pas trop chaud. Il y a d'autres personnes aux autres tables de la trattoria mais il y a encore des tables vides, il y a encore quelques tables libres. Il y a aussi des tables non desservies, avec des assiettes sales et l'argent de l'addition avec des billets de banque, quelques billets, qui bougent un peu avec le vent. C'est une fin de repas à Venise. A. et B. semblent travailler. B. a un carnet ouvert. C'est comme un carnet de notes. Il a un stylo à la main. C'est A. qui parle. B. prend des notes. La scène dure. La scène dure trop longtemps et on a la même impatience que le serveur de la trattoria qui voudrait faire autre chose, non pas fermer, mais juste faire autre chose. A. parle. B. prend des notes. On n'entend pas ce que dit A. On entend, les bruits de Venise, les bruits aléatoires de Venise, qui sont des bruits de ville avec cette particularité de ne pas connaître le bruit de voitures car le bruit des moteurs sur l'eau est différent du bruit des voitures.

Puis l'on revoit la scène. Sur un écran, on revoit la même scène. A. qui parle. B. qui prend des notes. Mais les bruits de la ville ont changé. La bande son a changé. Ce sont désormais les bruits d'une autre ville. Avec des voitures, sans doute aussi des camions, des bruits un peu à l'écart, mais des bruits présents cependant.

La scène dure. Elle dure longtemps.

Dehors. C'est encore Venise.

B. est seul à une table de trattoria. C'est le matin. C'est visiblement le matin. Comment sait-on que c'est le matin à Venise ? Sur la table, il y a quelque chose, n'importe quoi mais quelque chose, qui évoque le petit déjeuner, qui évoque un petit déjeuner, comme une grande tasse, comme de la confiture internationale en petite barquette ronde, comme l'opercule de la barquette de la confiture un peu retourné et posé sur la table à côté de la grande tasse. C'est donc le matin à Venise. 

Sur la table, à côté de la grande tasse, il y a un carnet, le carnet, ce que l'on appellera désormais le carnet de notes de B. Mais B. regarde un ordinateur portable. Il n'écrit pas. Il regarde un ordinateur portable. S'il y avait une caméra. Si la scène était une scène filmée, la caméra viendrait se placer derrière B. et capterait l'image affichée sur l'écran de l'ordinateur, les images.

Sur l'écran de l'ordinateur, c'est aussi Venise. Ce sont des images du cimetière de Venise, vues de la lagune. C'est une citation. On admettra qu'il s'agit bien d'une citation d'un film de Guy Debord. In girum imus nocte et consumimur igni.

Alors, ce qui fait office de caméra revient en arrière à moins que ce ne soit ce qui fait office de film qui revienne en arrière. Il s'agirait donc d'un va et vient, d'un mouvement perpétuel.

C'est ensuite la même scène, mais il y a une coupe. Dehors. Venise, la même trattoria et la même table et les mêmes restes de petit déjeuner. B. et A. sont assis face à face. Ce qui pourrait faire office de caméra tourne autour de la table. Sur l'écran de l'ordinateur de A. il y a le visage de B. et sur l'écran de l'ordinateur de B. il y a le visage de A. On supposera que chaque ordinateur est équipé d'une petite caméra qui permet le dispositif. A. et B. sont concentrés et comme un peu las. On supposera que ce n'est que de la lassitude, que ce n'est pas si grave, que ce n'est pas de l'ennui.

A. Venise.

B. Venise.

A. Venise.

B. Venise.

A. Calcutta.

B. Littérature.

A. Stanislas.

B. Thomas, Julien.

A. Julien, Thomas.

B. Et Stanislas.

A. Te souviens-tu ? 

B. Venise.

A. Perdu.

B. Pourquoi ?

A. Pourquoi Venise ou pourquoi perdu ?

B. Pourquoi Venise, Stanislas, pourquoi Venise ?

A. Il fallait sortir et je n'aime pas la campagne. Il fallait sortir et je n'aime pas les villes. Il fallait sortir et je savais déjà que ce ne serait qu'un décor, que tout ne serait qu'un décor. Il fallait sortir et il fallait aussi que le décor soit assez décoratif pour laisser le champ libre. Alors Venise.

B. Stanislas ?

A. Stanislas ?

B. Stanislas.

A. Il n'est jamais venu. Il n'est jamais allé à Venise. Je me demande si Stanislas existait avant moi, s'il existait vraiment avant moi, si je peux compter sur son existence. Mais pas à Venise. Ça ne compte pas, ça ne compte pas vraiment, à Venise.

B. Thomas ? Julien ? 

A. Ils sont allés à Venise, ensemble et séparément. Ils n'en gardent cependant aucun souvenir.

B. Qui pourrait témoigner ? Qui pourrait témoigner de ce voyage, de ce voyage à Venise, de la traversée de la ville, qui pourrait témoigner pour moi ?

A. Je suis là pour travailler.

B. Qui témoigne ? Qu'est-ce qui témoigne ? 

A. Je suis là pour travailler.

B. Mais il suffirait, il suffirait simplement, il faudrait juste fermer les deux écrans des deux ordinateurs, couper les images, ton image, mon image sur les deux écrans, sur chaque écran et Venise disparaîtrait, l'image de Venise disparaîtrait.

A. Je suis là pour travailler.

B. Mais il suffirait de quelques pas, de quelques pas réels dans Venise pour que cela cesse, pour que tu existes, pour que j'existe.

A. Il faut penser à autre chose. Il faut vraiment penser à autre chose.

B. Penser à autre chose.

A. Penser à autre chose.

B. Mais on peut penser ailleurs, on peut penser la même chose mais ailleurs, ailleurs dans une autre ville, une ville qui ne soit pas cette ville, et même, penser dans une ville qui soit vraiment une ville.

A. C'est la même chose. Penser dans une ville qui serait vraiment une ville, ce serait penser dans une ville où tu existes vraiment et aucune ville ne peut donner le jour. Il est possible, vraiment possible de dire qu'une ville a donné le jour, t'a donné le jour, m'a donné le jour, c'est possible, mais ensuite, qu'est-ce que ton jour, qu'est-ce que mon jour disent de la ville, de cette ville, de cette ville qui aurait donné le jour. 

B. Il doit bien y avoir une ville.

A. Il doit bien y avoir une ville.

B. Cette ville.

A. Pas cette ville.

B. Regarde.

A. Regarde.

B. et A. regardent l'écran de leur ordinateur. Ce qui sert de caméra tourne autour de la table de trattoria. On voit successivement chaque écran. Sur l'écran de l'ordinateur de A., il y a B. qui marche dans une ville. C'est peut-être Budapest. C'est peut-être Budapest, l'hiver. Sur l'écran de l'ordinateur de B., il y a B. qui marche dans une ville. C'est peut-être Marseille. Ainsi, il n'y a que B. sur les deux écrans des deux ordinateurs, B. marchant dans deux villes différentes, dans deux villes visiblement différentes. Si c'est Marseille, si la deuxième ville, celle sur l'écran de l'ordinateur de B., si cette ville est Marseille, alors c'est Marseille l'été.

B. Regarde.

A. Regarde.

B. Regarde.

A. Regarde.

B. Je ne vois rien.

Séquence 07