diegese
diégèse 2006


l'atelier du texte


Séquence 31
Séquence 32
Séquence 33


Gustav : vous vous rappelez quand nous voulions chanter, quand nous voulions chanter une chanson de ville, une chanson d'amour, une chanson d'amour perdu, une chanson qui s'en irait.

Mathieu : nous n'avions pas chanté.

Noëmie : c'était hier. C'était encore hier.

Mathieu : on dirait une chanson.

Gustav : nous n'allons pas chanter, ou alors ce sera un chant de funérailles, un chant pour pleurer, un chant pour pleurer les morts.

Mathieu : rien ne nous oblige cependant à être tristes, à jouer tristes car nous ne sommes pas tristes. Au pire, notre existence est triste, cette existence fausse, cette existence de scène, ce jeu, ce jeu-là, ce jeu qui conduirait Descartes à distinguer encore l'existence de l'essence et à conclure que nous n'existons pas.

Noëmie : le soleil est tendre. Il suffit de prendre le soleil.

Mathieu : nous n'existons plus. Nous avons existé cependant. Nous avons existé davantage. Nous dialoguions, nous expérimentions des dispositifs. Maintenant, les journées sont plus longues mais nous faisons durer le temps, nous faisons juste durer le temps.

Mathieu : il est toujours possible de recommencer, de recommencer les expérimentations et même des innovations. Nous pourrions par exemple imaginer un dispositif didascalique en trois dimensions. C'est ce qu'a permis, un temps, le cinéma, avant de faire autre chose. Je dirais que je me rappelle le bruit insensé de la mer et ce serait la mer et le bruit insensé.

Noëmie : s'il s'agit de didascalies en trois dimensions, il faudra me donner des moyens de production.

Gustav : il n'y a jamais ici de problème de production. Il n'y a jamais rien de cet ordre.

Noëmie : alors je fais venir la mer et même l'océan et je fais venir l'océan tout entier et le bruit de l'océan et tout le bruit, l'entièreté du bruit océanique, le bruit additionné de toutes les vagues sur toutes les côtes et sur toutes les coques aussi des navires au port et des navires en mer. Tout cela.

Gustav : et tu le donnes à qui ? 

Noëmie : je ne le donne pas. C'est donné.

Gustav : si c'est donné, si tout cela est donné, la mer et le bruit de la mer et l'idée que c'est incessant, l'idée que cela ne cessera jamais, le bruit de la mer, comme une obsession, comme un symptôme, si c'est donné alors il faut partir, alors il faudra partir vraiment, un jour pour échapper au bruit, pour s'échapper, pour échapper à l'idée que c'est incessant, pour échapper à cette obsession.

Mathieu : tu fais encore de la littérature. Ce n'est pas cela. Le bruit de la mer, débarrassé de sa nostalgie de vacances, n'est qu'un bruit, un bruit parmi les autres bruits possibles d'une narration, d'une scène, d'une mise en scène, d'une vie, de tout cela qui par ailleurs ne sera pas sans fin, ne sera pas incessant, ne sera jamais incessant et dont la fin agit aussi comme une obsession.

Noëmie : le sens.

Gustav : il n'y a pas d'obsession, il n'y a pas d'obsession ici. Il y a la vie. Il n'y a que la vie, la vie qui échappe à la littérature, toujours à la littérature, la vie, la vie infiniment calme, de ce calme qui irrite les paupières, qui les alourdit, qui les rend soudain si pesantes comme dans l'enfance, comme dans le temps des vacances de l'enfance, quand il n'y avait rien à faire, quand il n'y avait jamais rien à faire.

Noëmie : Gustav tente un passage autobiographique.

Gustav : je ne tente rien, je suis donné. Je peux être une comparaison, je ne serai pas une métaphore, je ne suis pas, je ne suis jamais un personnage métaphorique. J'écoute les mots que je répète, que je vais répéter. J'écoute ces mots comme on écoute le bruit de la mer, le bruit incessant, mais ce n'est pas le bruit de la mer, c'est juste une ressemblance, c'est juste une comparaison.

Mathieu : mais moi je veux bien être une métaphore, je suis le personnage métaphorique qui représente au choix le père, la mort, la vie, l'amour ou n'importe quoi d'autre.

Noëmie : vous êtes des simulateurs. Vous ne parlez pas vraiment.


Séquence 33