Diégèse




mercredi 27 août 2014



2014
ce travail est commencé depuis 5353 jours (53 x 101 jours) et son auteur est en vie depuis 19806 jours (2 x 3 x 3301 jours)
ce qui représente 27,0272% de la vie de l'auteur
hier




L'atelier du texte demain
La Fortune des Rougon2




Brusquement, elle se tourna vers le manteau de la cheminée.
« Tu as pris le fusil, dit-elle ; où est le fusil ? »
Silvère, qui avait laissé la carabine auprès de Miette, lui jura que l'arme était en sûreté. Pour la première fois, Adélaïde fit allusion au contrebandier Macquart devant son petit-fils.
« Tu rapporteras le fusil ? Tu me le promets ! dit-elle avec une singulière énergie… C'est tout ce qui me reste de lui…
Tu as tué un
gendarme ; lui, ce sont les gendarmes qui l'ont tué. » Elle continuait à regarder Silvère fixement, d'un air de cruelle satisfaction, sans paraître songer à le retenir. Elle ne lui demandait aucune explication, elle ne pleurait point, comme ces bonnes grand-mères qui voient leurs petits-enfants à l'agonie pour la moindre égratignure. Tout son être se tendait vers une même pensée, qu'elle finit par formuler avec une curiosité ardente.
« Est-ce que c'est avec le fusil que tu as tué le
gendarme ? » demanda-t-elle.
Sans doute
Silvère entendit mal ou ne comprit pas.
« Oui, répondit-il… Je vais me laver les mains
. »

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Sans même le comprendre ni le savoir, Adélaïde venait par cette seule question d'absoudre son petit-fils et se rangeait ainsi dans la longue lignée des femmes qui, depuis  l'antiquité et sans doute au-delà, réclament vengeance de la mort violente de leur amant. Peu importe alors que cette mort soit le fait d'une bande rivale ou de la force publique, elle ne peut être qu'injuste et réclame réparation puisqu'elle a tué le bien le plus précieux que peut revendiquer tout homme : l'amour. La loi, qu'elle soit humaine ou divine n'a souvent d'autre raison que de détourner la volonté de vengeance en l'endossant, et par là-même en la rendant licite. Les Grecs anciens, dans leur sagesse, avaient ainsi demandé à la déesse de l'équité, Némésis, de calmer les ardeurs vengeresses des mortels afin d'éviter de trop longues litanies de morts. C'était donc cet amour non vengé qui maintenait en vie la vieille femme. L'inquiétude d'Adélaïde pour Silvère ne pouvait que s'effacer devant ce sentiment puissant. Elle avait retrouvé cette ancienne soumission au destin qui règne sur la vie de tout homme. Elle avait recueilli Silvère, lui avait transmis le goût immodéré de la liberté en souvenir de son grand-père Macquart, ainsi que le fusil qui devait le venger.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Ce ne fut qu'en revenant du puits qu'il aperçut son oncle.
Pierre avait entendu en pâlissant les paroles du jeune homme. Vraiment, Félicité avait raison, sa famille prenait plaisir à le compromettre. Voilà maintenant qu'un de ses neveux tuait les gendarmes ! Jamais il n'aurait la place de receveur, s'il n'empêchait ce fou furieux de rejoindre les insurgés. Il se mit devant la porte, décidé à ne pas le laisser sortir.
« 
Écoutez, dit-il à Silvère, très surpris de le trouver là, je suis le chef de la famille, je vous défends de quitter cette maison. Il y va de votre honneur et du nôtre. Demain, je tâcherai de vous faire gagner la frontière. » Silvère haussa les épaules.
«
 Laissez-moi passer, répondit-il tranquillement. Je ne suis pas un mouchard ; je ne ferai pas connaître votre cachette, soyez tranquille. » Et comme Rougon continuait de parler de la dignité de la famille et de l'autorité que lui donnait sa qualité d'aîné :
« Est-ce que je suis de
votre famille ! continua le jeune homme. Vous m'avez toujours renié… Aujourd'hui, la peur vous a poussé ici, parce que vous sentez bien que le jour de la justice est venu. Voyons, place ! je ne me cache pas, moi ; j'ai un devoir à accomplir. » Rougon ne bougeait pas. Alors tante Dide, qui écoutait les paroles véhémentes de Silvère avec une sorte de ravissement, posa sa main sèche sur le bras de son fils.
« Ôte-toi
, Pierre, dit-elle, il faut que l'enfant sorte. » Le jeune homme poussa légèrement son oncle et s'élança dehors.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Rougon, lui aussi, avait essayé de retrouver le cours des mythes anciens en endossant à la hâte l'habit du patriarche, du chef de famille qui exerce à ce titre une autorité jusque sur la parentèle la plus éloignée pour peu qu'elle soit puinée. La manœuvre n'était pas stupide et Rougon montrait ici qu'il avait un certain sens de la situation et de l'improvisation. Cependant, elle était bien tardive car, rien ne pouvait faire que les Rougon-Macquart formassent jamais une tribu qui respecte le droit d'ainesse. En cela, Pierre Rougon était ce que l'époque avait produit, préfigure de ces changements qui s'annonçaient au mitant du siècle et qu'il est convenu d'appeler modernité. En donnant à la force publique tous les droits de justice, l'époque avait commencé le lent démantèlement du devoir de solidarité entre les membres d'une même famille. Si la manœuvre de Rougon avait été autre qu'un simple stratagème pour retenir son neveu pour mieux l'exiler ensuite, peut-être que l'âme généreuse du jeune Silvère se fût laissée convaincre. Mais, s'il s'agissait de sauver une charge de receveur particulier, l'élan révolutionnaire et idéaliste de la jeunesse ne pouvait pas s'y résoudre. Adélaïde, dans ses brumes l'avait perçu et puisqu'il s'agissait de rétablir le pouvoir de vie et de mort accordé aux anciens sur les plus jeunes de leur clan, elle rétablit ce droit d'une seule pression à peine appuyée de la main sur le bras de son fils. Il n'y avait plus à cet instant aucune référence à ce que Pierre Rougon fût son fils déclaré légitime alors que Silvère était issu de sa fille bâtarde. Il y avait le Droit contre l'amour et comme elle l'avait toujours fait, elle se soumettait à l'amour.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Rougon, en refermant la porte avec soin, dit à sa mère d'une voix pleine de colère et de menaces :
« S'il lui arrive malheur, ce sera de
votre faute… Vous êtes une vieille folle, vous ne savez pas ce que vous venez de faire. » Mais Adélaïde ne parut pas l'entendre ; elle alla jeter un sarment dans le feu qui s'éteignait, en murmurant avec un vague sourire :
« Je connais ça… Il restait des mois entiers dehors ; puis il me revenait mieux portant. » Elle parlait sans doute de
Macquart.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Rougon se trompait. Adélaïde savait parfaitement ce qu'elle faisait. Poussée dans ses retranchements, elle aurait pu prévoir la suite de l'aventure. Elle acceptait de n'être que l'instrument du destin, rétablissant en un instant l'ordre antique contre l'ordre moderne, tranchant pour elle-même et pour sa famille la lutte que se livrent sans relâche le « vindicare » et le « judicare » romains. À cet instant, Rougon, qui se rangeait du côté du Droit pour mieux tromper le Droit ne pouvait que perdre. Adélaïde, se faisait l'instrument de la justice immanente dût-elle conduire au martyre.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










27 août






2009 2008 2007 2006 2005 2004 2003 2002 2001 2000






2013 2012 2011 2010