Diégèse




jeudi 28 août 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Cependant, Silvère regagna la halle en courant. Comme il approchait de l'endroit où il avait laissé Miette, il entendit un bruit violent de voix et vit un rassemblement qui lui firent hâter le pas. Une scène cruelle venait de se passer.
Des curieux circulaient dans la foule des insurgés, depuis que ces derniers s'étaient tranquillement mis à manger.
Parmi ces curieux se trouvait
Justin, le fils du méger Rébufat, un garçon d'une vingtaine d'années, créature chétive et louche qui nourrissait contre sa cousine Miette une haine implacable. Au logis, il lui reprochait le pain qu'elle mangeait, il la traitait comme une misérable ramassée par charité au coin d'une borne. Il est à croire que l'enfant avait refusé d'être sa maîtresse. Grêle, blafard, les membres trop longs, le visage de travers, il se vengeait sur elle de sa propre laideur et des mépris que la belle et puissante fille avait dû lui témoigner. Son rêve caressé était de la faire jeter à la porte par son père. Aussi l'espionnait-il sans relâche.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
C'est qu'il n'était pas bon d'être un enfant pauvre à Plassans en 1851, qu'il était encore pire d'être une fille, et pire encore d'être orpheline. Miette était forte et cette force l'avait sauvée, car, le méger Rébufat ne l'avait pas accueillie pour faire le bien, mais pour la faire travailler et elle rendait par son travail beaucoup plus que la maigre pitance qu'on lui servait en maugréant.
Justin convoitait Miette et peu lui importait qu'elle fût encore presqu'une enfant. C'est que les jeunes filles qui n'ont pas de père sont trop souvent encore des proies faciles pour les hommes des familles qui les recueillent. Considérées comme des bêtes de somme, elles sont malheureusement souvent jetées en pâture aux appétits coupables  des hommes de la famille. Ainsi, Justin voulait se débarrasser de Miette, puisqu'elle ne lui servait à rien. Il en allait autrement du méger, qui bénéficiait de la force de travail de la jeune fille. Mais le jeune homme savait que son père, pour autant, ne saurait déshonorer sa maison avec une coureuse.

Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Depuis quelque temps, il avait surpris ses rendez-vous avec Silvère ; il n'attendait qu'une occasion décisive pour tout rapporter à Rébufat. Ce soir-là, l'ayant vue s'échapper de la maison vers huit heures, la haine l'emporta, il ne put se taire davantage. Rébufat, au récit qu'il lui fit, entra dans une colère terrible et dit qu'il chasserait cette coureuse à coups de pied, si elle avait l'audace de revenir. Justin se coucha, savourant à l'avance la belle scène qui aurait lieu le lendemain. Puis il éprouva un âpre désir de prendre immédiatement un avant-goût de sa vengeance. Il se rhabilla et sortit.
Peut-être rencontrerait-il
Miette. Il se promettait d'être très insolent. Ce fut ainsi qu'il assista à l'entrée des insurgés et qu'il les suivit jusqu'à l'hôtel de ville, avec le vague pressentiment qu'il allait retrouver les amoureux de ce côté. Il finit, en effet, par apercevoir sa cousine sur le banc où elle attendait Silvère. En la voyant vêtue de sa grande pelisse et ayant à côté d'elle le drapeau rouge, appuyé contre un pilier de la halle, il se mit à ricaner, à la plaisanter grossièrement.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Car, il en est ainsi de ceux qui aiment à faire le mal. Le mal est alors comme un besoin d'eau pour celui qui a soif, comme un besoin de nourriture pour celui qui a faim, et ce besoin prend le corps tout entier comme le prend le sommeil après une longue journée de travail. Il fallait bien tout cela pour jeter Justin dans la rue à cette heure tardive et par ce froid de gueux, alors que le jeune énergumène n'avait aucun courage et était d'une paresse insigne. C'est aussi qu'il était poussé par une curiosité malsaine. Il imaginait la nuit et le jour des scènes précises qui, dans son esprit, jetaient Miette et Silvère l'un contre l'autre et il était tour à tour impressionné par les formes de la jeune fille, qu'il avait plusieurs fois épiée alors qu'elle se lavait, et par la force du jeune homme qui, en tout point, excédait la sienne. Car, il avait beau être de plusieurs années l'ainé de Silvère, celui-ci était homme, quand Justin l'était encore à peine. Silvère était de ces êtres dont le corps se développe harmonieusement quelles que soient les conditions qui lui sont faites, si bien que l'on pensait en le voyant que son allure reflétait la droiture de son âme. Mais Justin s'approchait de Miette. 
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
La jeune fille, saisie à sa vue, ne trouva pas une parole. Elle sanglotait sous les injures. Et tandis qu'elle était toute secouée par les sanglots, la tête basse, se cachant la face, Justin l'appelait fille de forçat et lui criait que le père Rébufat lui ferait danser une fameuse danse si jamais elle s'avisait de rentrer au Jas-Meiffren. Pendant un quart d'heure, il la tint ainsi frissonnante et meurtrie. Des gens avaient fait cercle, riant bêtement de cette scène douloureuse. Quelques insurgés intervinrent enfin et menacèrent le jeune homme de lui administrer une correction exemplaire, s'il ne laissait pas Miette tranquille. Mais Justin, tout en reculant, déclara qu'il ne les craignait pas. Ce fut à ce moment que parut Silvère. Le jeune Rébufat, en l'apercevant, fit un saut brusque, comme pour prendre la fuite ; il le redoutait, le sachant beaucoup plus vigoureux que lui. Il ne put cependant résister à la cuisante volupté d'insulter une dernière fois la jeune fille devant son amoureux.
« Ah ! je savais bien, cria-t-il, que le
charron ne devait pas être loin ! C'est pour suivre ce toqué, n'est-ce pas, que tu nous as quittés ? La malheureuse ! elle n'a pas seize ans ! À quand le baptême ? » Il fit encore quelques pas en arrière, en voyant Silvère serrer les poings.
« Et surtout, continua-t-il avec un ricanement ignoble, ne viens pas faire tes couches chez nous. Tu n'aurais pas besoin de sage-femme. Mon père te délivrerait à coups de pied, entends-tu ? » Il se sauva, hurlant, le visage meurtri.
Silvère, d'un bond, s'était jeté sur lui et lui avait porté en pleine figure un terrible coup de poing. Il ne le poursuivit pas. Quand il revint auprès de Miette, il la trouva debout, essuyant fiévreusement ses larmes avec la paume de sa main. Comme il la regardait doucement, pour la consoler, elle eut un geste de brusque énergie.
« Non, dit-elle, je ne pleure plus, tu vois… J'aime mieux ça. Maintenant, je n'ai plus de remords d'être partie. Je suis libre ! » Elle reprit le drapeau, et ce fut elle qui ramena
Silvère au milieu des insurgés.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Miette ressentait à cet instant précis le soulagement que l'on ressent quand une scène si longtemps redoutée vient de se terminer. Elle se sentait libre en effet, au-delà même de ce qu'elle avait pu l'imaginer. Elle avait cependant le regret de ne pas avoir administré elle-même à Justin la correction qu'il méritait. Elle était surtout libérée du soupçon que Justin, face à la foule, avait jeté sur elle. Elle n'avait pas fauté. Contrairement à Silvère, qui était encore innocent, Miette savait parfaitement de quoi le fils Rébufat voulait parler. C'est que les jeunes filles sont instruites des choses de la nature bien plus tôt que les garçons et qu'elle savait l'opprobre qui risquait de s'abattre sur elle.
Justin s'enfuit, se promettant de se venger, encore pris par l'excitation intense qu'avait provoquée la bordée d'insultes qu'il avait prodiguées à la jeune fille, mais aussi, curieusement, par le coup de poing qu'il avait reçu de Silvère, comme s'il était parvenu à se glisser entre eux deux au moment de l'acte fatidique. Mais, impensée et impensable; son excitation ne pouvait en conséquence que se muer en vengeance, la plus extrême et la plus violente qui fût. Certains êtres font ainsi porter sur leur entourage les violences qu'ils ne savent exprimer. Depuis sa plus petite enfance, Justin était orphelin de mère, élevé par le père Rébufat qui n'avait pour les enfants, et pour celui-ci en particulier, aucune tendresse. C'est que le méger s'y connaissait en bêtes plus qu'en êtres humains et qu'il écartait les bêtes qui ne pouvaient servir quand elles souffraient d'une infirmité. D'avoir conçu ce garçon chétif et mal découplé était pour lui une source infinie de honte et de colère. Dès ses huit ans, il avait essayé de l'atteler aux tâches que les autres enfants accomplissaient sans difficulté particulière. Mais, Justin ployait sous les fardeaux les plus légers, ne savait tirer l'eau du puits car le seau était trop lourd et avait peur des animaux les plus gros. Quand Miette arriva, elle faisait à cinq ans ce qu'il ne faisait pas encore à douze. De tout cela mêlé venait le ressentiment que le garçon éprouvait à l'égard de celle devenue jeune fille.

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Daniel Diégèse
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Il était alors près de deux heures du matin. Le froid devenait tellement vif, que les républicains s'étaient levés, achevant leur pain debout et cherchant à se réchauffer en marquant le pas gymnastique sur place. Les chefs donnèrent enfin l'ordre du départ. La colonne se reforma. Les prisonniers furent placés au milieu ; outre M. Garçonnet et le commandant Sicardot, les insurgés avaient arrêté et emmenaient M. Peirotte, le receveur, et plusieurs autres fonctionnaires.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Ce qu'ils voulaient faire de leurs prisonniers, ils n'en savaient rien eux-mêmes. C'était surtout que, puisqu'ils les avaient fait prisonniers par un concours de circonstances et à cause de l'intervention inopportune de Sicardot, il fallait bien qu'ils les emmenassent. Cela eût paru une faiblesse que de les laisser derrière eux. M. Garçonnet semblait résigné, M. Peirotte était apeuré et Sicardot se sentait humilié, lui le grognard qui, en tant de campagnes, n'avait jamais été vaincu.
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Daniel Diégèse
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