Diégèse | |||||||||
mercredi 10 décembre 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Rougon, quand il se confessa à
Félicité,
ne put jamais dire combien de
temps avait duré son supplice. Il se souvint seulement qu'un bruit de
pas, éveillant les échos des vastes salles, l'avait tiré de sa stupeur.
Il attendait des hommes en blouse, armés de faux et
de gourdins, et ce
fut la commission municipale qui entra, correcte,
en habit noir,
l'air
radieux. Pas un membre ne manquait. Une heureuse nouvelle avait guéri
tous ces messieurs à la fois. Granoux se jeta dans les bras
de son cher
président. « Les soldats ! bégaya-t-il, les soldats ! » Un régiment venait, en effet, d'arriver, sous les ordres du colonel Masson et de M. de Blériot, préfet du département. Les fusils aperçus des remparts, au loin dans la plaine, avaient d'abord fait croire à l'approche des insurgés. L'émotion de Rougon fut si forte, que deux grosses larmes coulèrent sur ses joues. Il pleurait, le grand citoyen ! La commission municipale regarda tomber ces larmes avec une admiration respectueuse. Mais Granoux se jeta de nouveau au cou de son ami, en criant : « Ah ! que je suis heureux !... Vous savez, je suis un homme franc, moi. Eh bien, nous avions tous peur, tous, n'est-ce pas, Messieurs ? Vous seul étiez grand, courageux, sublime. Quelle énergie il a dû vous falloir ! Je le disais tout à l'heure à ma femme : « Rougon est un grand homme, il mérite d'être décoré. » Alors, ces messieurs parlèrent d'aller à la rencontre du préfet. Rougon, étourdi, suffoqué, ne pouvant croire à ce triomphe brusque, balbutiait comme un enfant. Il reprit haleine ; il descendit, calme, avec la dignité que réclamait cette solennelle occasion. Mais l'enthousiasme qui accueillit la commission et son président sur la place de l'Hôtel-de-Ville, faillit troubler de nouveau sa gravité de magistrat. Son nom circulait dans la foule, accompagné cette fois des éloges les plus chauds. Il entendit tout un peuple refaire l'aveu de Granoux, le traiter de héros resté debout et inébranlable au milieu de la panique universelle. Et, jusqu'à la place de la Sous-Préfecture, où la commission. rencontra le préfet, il but sa popularité, sa gloire, avec des pâmoisons secrètes de femme amoureuse dont les désirs sont enfin assouvis. |
Émile Zola 1870
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La
foule aime les vainqueurs, car elle aime se reconnaître dans les
vainqueurs. Et quand les vainqueurs n'ont que peu de qualités, elle
leur en invente de nouvelles et commence à écrire des légendes. C'est
d'ailleurs la principale vulnérabilité du peuple que cette fascination
pour la force. il y a certes de l'opportunisme, et parfois un peu de
lâcheté à fêter les vainqueurs et les conquérants, et ceux qui
maudissaient l'armée le jour d'avant ne jurent bientôt plus que par les
guêtres et les képis. Mais il y a autre chose, qui semble plus atavique
et inscrit dans la nature même des hommes que de vouloir des chefs à
qui ils prêtent volontiers des pouvoirs surhumains pour pouvoir en
bénéficier comme par capillarité. Cette fascination permet de faire les
guerres, mais aussi les élections, les assemblées, les royaumes, les
empires, et même les républiques. Mais que vienne un jour un chef qui
conduise le peuple au sacrifice, semant sur sa route des monceaux de
morts, que le peuple se guérira peut-être un temps de ce goût néfaste
qu'il a d'être commandé. Mais il y a fort à parier que quelques années
plus tard, ce mauvais penchant le reprendra et qu'ils marcheront de
nouveau au pas derrière la fanfare civile ou militaire. Faute de mieux, Plassans s'était inventé Rougon comme chef. N'importe quelle personne sensée aurait trouvé cela grotesque et même absurde, car rien chez ce gros homme falot ne trahissait en aucune manière d'appétence pour le rôle de Caïd ou de même de Néron. Mais peu importait alors et la fable avait marché et que Rougon leur ressemblât tant, pour un temps pouvait même leur plaire. Cela pouvait tout aussi bien ne pas durer. Louis XVI était très certainement le Roi qui ressemblait le plus aux Bourgeois qui l'ont renversé, puis guillotiné. Mais c'était le Roi et le Roi ne doit ressembler à personne. Nul n'aurait quand même pensé faire de Rougon un Roi. Il suffisait de penser et de croire qu'il avait sauvé la ville d'un péril indescriptible et cela suffisait. Il n'y avait que la marquis de Carnavant qui ricanait secrètement comme le font les aristocrates de province quand les villageois font la fête. Il était satisfait que Félicité obtint cependant ce qu'elle avait toujours espéré, par une forme de fidélité à lui-même davantage qu'à sa fille putative. |
Daniel Diégèse 2014
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10 décembre | |||||||||
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