Diégèse




dimanche 12 janvier 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Un dimanche soir, vers sept heures, un jeune homme sortit doucement de l'impasse Saint-Mittre et, rasant les murs, s'engagea parmi les poutres du chantier. On était dans les premiers jours de décembre 1851. Il faisait un froid sec. La lune, pleine en ce moment, avait ces clartés aiguës particulières aux lunes d'hiver. Le chantier, cette nuit-là, ne se creusait pas sinistrement comme par les nuits pluvieuses, éclairé de larges nappes de lumière blanche ; il s'étendait dans le silence et l'immobilité du froid avec une mélancolie douce.
Le jeune homme s'arrêta quelques secondes sur le bord du champ, regardant devant lui d'un air de défiance. Il tenait, cachée sous sa veste, la crosse d'un long fusil dont le canon, baissé vers la terre, luisait au clair de lune. Serrant l'arme contre sa poitrine, il scruta attentivement du regard les carrés de ténèbres que les tas de planches jetaient au fond du terrain. Il y avait là comme un damier blanc et noir de lumière et d'ombre, aux cases nettement coupées. Au milieu de l'aire, sur un morceau du sol gris et nu, les tréteaux des scieurs de long se dessinaient, allongés, étroits, bizarres, pareils à une monstrueuse figure géométrique tracée à l'encre sur du papier. Le reste du chantier, le parquet de poutres, n'était qu'un vaste lit où la clarté dormait, à peine striée de minces raies noires par les lignes d'ombres qui coulaient le long des gros madriers. Sous cette lune d'hiver, dans le silence glacé, ce flot de mâts couchés, immobiles, comme raidis de sommeil et de froid, rappelait les morts du vieux cimetière. Le jeune homme ne jeta sur cet espace vide qu'un rapide coup d'œil ; pas un être, pas un souffle, aucun péril d'être vu ni entendu. Les taches sombres du fond l'inquiétaient davantage. Cependant, après un court examen, il se hasarda, il traversa rapidement le chantier
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La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Les morts de l'aire Saint-Mittre le regardaient passer pourtant, mais il ne les vit pas, ni même il ne sentit leur présence inquiète. Car ils avaient déjà vu, ces morts du cimetière antique, de jeunes gens furtifs et déterminés, des comploteurs, des bandits, des amoureux trompés, et même des révolutionnaires. Ils en avaient vu, de jeunes morts les rejoindre, et qui, dès lors, n'avaient eu de cesse que de réclamer d'autres jeunes morts pour demeurer en bande. Alors, ce jeune homme encore bien vivant qui passait au milieu d'eux avec un fusil sans souci de leurs craintes vénérables les troublait. Ils ne savaient dire quelles étaient ses intentions véritables car, contrairement à ce que l'on croit souvent, les morts n'en savent pas plus que les vivants.
Ces taches sombres, qui l'inquiétaient et qui semblaient trahir la limpidité de la lumière de la lune n'étaient que les traces plus sombres de quelques esprits plus noirs qui avaient péri par la violence des temps d'alors. Demeuraient encore près du mur, "au bout", quelques-uns des vingt et cinq royalistes assassinés dans leur prison, deux ou trois courageux tombés sur les champs de bataille improvisés du centre-ville. Et il y avait même le cadet, un tout jeune mort des barricades parisiennes de 1848, qui n'avait pas voulu rester loin de son pays et était revenu là, parler provençal avec ses ancêtres. Alors ils le regardaient et quand les morts regardent le souffle du vent cesse soudain, les animaux se figent, les plantes arrêtent un court instant leur lent et patient travail de vie. Alors, le promeneur frissonne, la chouette oublie son cri, les chats et les chiens détournent leur errance.

Zola augmenté Daniel Diégèse
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