Diégèse




mercredi 21 mai 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




L'autre fils Rougon, Pascal, celui qui était né entre Eugène et Aristide, ne paraissait pas appartenir à la famille.
C'était un de ces cas fréquents qui font mentir les lois de l'hérédité. La nature donne souvent ainsi naissance, au milieu d'une
race, à un être dont elle puise tous les éléments dans ses forces créatrices. Rien au moral ni au physique ne rappelait les Rougon chez Pascal. Grand, le visage doux et sévère, il avait une droiture d'esprit, un amour de l'étude, un besoin de modestie, qui contrastaient singulièrement avec les fièvres d'ambition et les menées peu scrupuleuses de sa famille. Après avoir fait à Paris d'excellentes études médicales, il s'était retiré à Plassans par goût, malgré les offres de ses professeurs. Il aimait la vie calme de la province ; il soutenait que cette vie est préférable pour un savant au tapage parisien. Même à Plassans, il ne s'inquiéta nullement de grossir sa clientèle. Très sobre, ayant un beau mépris pour la fortune, il sut se contenter des quelques malades que le hasard seul lui envoya. Tout son luxe consista dans une petite maison claire de la ville neuve, où il s'enfermait religieusement, s'occupant avec amour d'histoire naturelle. Il se prit surtout d'une belle passion pour la physiologie. On sut dans la ville qu'il achetait souvent des cadavres au fossoyeur de l'hospice, ce qui le fit prendre en horreur par les dames délicates et certains bourgeois poltrons. On n'alla pas heureusement jusqu'à le traiter de sorcier ; mais sa clientèle se restreignit encore, on le regarda comme un original auquel les personnes de la bonne société ne devaient pas confier le bout de leur petit doigt, sous peine de se compromettre. On entendit la femme du maire dire un jour :
« J'aimerais mieux mourir que de me faire soigner par ce monsieur. Il sent le mort. »
Pascal, dès lors, fut jugé. Il parut heureux de cette peur sourde qu'il inspirait. Moins il avait de malades, plus il pouvait s'occuper de ses chères sciences. Comme il avait mis ses visites à un prix très modique, le peuple lui demeurait fidèle. Il gagnait juste de quoi vivre, et vivait satisfait, à mille lieues des gens du pays, dans la joie pure de ses recherches et de ses découvertes. De temps à autre, il envoyait un mémoire à l'Académie des sciences de Paris.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Le médecin avait raison car la province ne réserve pas que de l'ennui, et ne serait-ce l'étroitesse d'esprit de ses habitants, elle offre de nombreux avantages à ceux qui savent les saisir. L'un de ces avantages, principalement, est la façon dont la nature côtoie la ville. Il est ainsi possible à celui qui connaît les plantes de les trouver toutes à sa main, en quelques pas bien dirigés. C'est d'ailleurs un autre de ses bienfaits que de pouvoir connaître parfaitement un paysage et de ne le voir se modifier que sous l'effet des saisons et de la pousse des arbres. Parfois, un événement surgit : la foudre tombe sur le chêne le plus haut d'un bosquet d'arbres centenaires ou la tempête abat quelques sujets comme l'aurait fait une faux gigantesque. L'observateur patient peut alors noter, jour après jour et mois après mois comment la nature panse les plaies de la nature et répare le paysage. Très vite, la meilleure mémoire a oublié entièrement comment était le paysage avant la catastrophe et tout semble là depuis l'éternité. C'est ainsi qu'en une génération une friche peut retourner à la forêt ou devenir un champ propret qui jaunit à l'été sans qu'à aucun moment cela paraisse nouveau au passant inattentif. La ville, au contraire, affiche avec morgue et arrogance ses changements incessants et en fait même de la publicité. Il faut sans cesse construire et reconstruire, plus haut, plus vaste, pour satisfaire le besoin d'agglutination de la population. C'est aussi qu'il faut que les profits s'investissent et que la ville est une machine à investissements. C'est aussi pourquoi le sage Prosper Mérimée a demandé en 1837 aux préfets de faire la liste des monuments qui devaient être protégés. Plassans fit inscrire la cathédrale et une église pour faire plaisir aux fidèles et parce que le sous-préfet d'alors aimait les vieilles pierres. Dès lors, le sous-préfet se mit à vérifier tout ce que l'on faisait de constructions et d'ajouts autour de la cathédrale, figeant ainsi la sarabande des échoppes et des appentis qui n'avait jamais cessé depuis le moyen-âge. Les peintres allaient pouvoir commencer à peindre les cathédrales comme on peint les paysages.
Les amoureux des vieilles pierres étaient les seuls citoyens de Plassans que le docteur Pascal consentait parfois à fréquenter. Ils avaient comme lui le goût des nomenclatures et épinglaient les monuments comme dans un herbier.

Zola augmenté
Daniel Diégèse
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