Diégèse




vendredi 3 octobre 2014



2014
ce travail est commencé depuis 5390 jours (2 x 5 x 72 x 11 jours) et son auteur est en vie depuis 19843 jours (19843 est un nombre premier)
ce qui représente 27,1632% de la vie de l'auteur sept cent soixante-dix semaines d'écriture
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La Fortune des Rougon2




Et ce fut ainsi que, pendant près de deux années, ils s'aimèrent dans l'allée étroite, dans la campagne large. Leur idylle traversa les pluies glacées de décembre et les brûlantes sollicitations de juillet, sans glisser à la honte des amours communes ; elle garda son chantre exquis de conte grec, son ardente pureté, tous ses balbutiements naïfs de la chair qui désire et qui ignore. Les morts, les vieux morts eux-mêmes, chuchotèrent vainement à leurs oreilles. Et ils n'emportèrent de l'ancien cimetière qu'une mélancolie attendrie, que le pressentiment vague d'une vie courte ; une voix leur disait qu'ils s'en iraient, avec leurs tendresses vierges, avant les noces, le jour où ils voudraient se donner l'un à l'autre. Sans doute ce fut là, sur la pierre tombale, au milieu des ossements cachés sous les herbes grasses, qu'ils respirèrent leur amour de la mort, cet âpre désir de se coucher ensemble dans la terre, qui les faisait balbutier au bord de la route d'Orchères, par cette nuit de décembre, tandis que les deux cloches se renvoyaient leurs appels lamentables.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Miette et Silvère auraient pu échapper à cette mort qui les appelait et qu'ils appelaient  presque de leurs vœux. La mort n'est pas seulement crainte, elle peut être désir, et cela, sans que ce désir soit conduit par le désespoir. La mort, pour qui la vie paraît trop dure, semble pouvoir guérir de la fatigue du corps et aussi de la fatigue de l'esprit. L'expression commune utilise d'ailleurs cette métaphore trompeuse de « repos éternel » qui peut paraître enviable à celui qui se lève chaque matin encore épuisé par le travail de la veille et qui va, patiemment encore ajouter de la fatigue à son fardeau. La mort peut aussi paraître désirable aux amoureux qui y voient le moyen le plus sûr de ne jamais être séparés l'un de l'autre. Dans ce cas aussi les métaphores sont trompeuses, qui évoquent un « dernier voyage ». Mais il faut répéter que les morts n'aiment ni ne se reposent. Les morts sont morts et ne connaissent ni la fatigue ni l'amour. Il faudrait l'enseigner aux très jeunes gens enflammés, qu'ils n'aillent pas se soustraire trop tôt aux obligations radieuses de la vie.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Miette dormait paisible, la tête sur la poitrine de Silvère, pendant qu'il rêvait aux rendez-vous lointains, à ces belles années de continuel enchantement. Au jour, l'enfant se réveilla. Devant eux, la vallée s'étendait toute claire sous le ciel blanc. Le soleil était encore derrière les coteaux. Une clarté de cristal, limpide et glacée comme une eau de source, coulait des horizons pâles. Au loin, la Viorne, pareille à un ruban de satin blanc, se perdait au milieu des terres rouges et jaunes. C'était une échappée sans bornes, des mers grises d'oliviers, des vignobles pareils à de vastes pièces d'étoffe rayée, toute une contrée agrandie par la netteté de l'air et la paix du froid. Le vent qui soufflait par courtes brises avait glacé le visage des enfants. Ils se levèrent vivement, ragaillardis, heureux des blancheurs de la matinée. Et, la nuit ayant emporté leurs tristesses effrayées, ils regardaient d'un œil ravi le cercle immense de la plaine, ils écoutaient les tintements des deux cloches, qui leur semblaient sonner joyeusement l'aube d'un jour de fête.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Le même son, le même paysage peuvent ainsi prendre des tours différents, selon que c'est le jour ou selon que c'est la nuit. Il en va de même des situations qui s'assombrissent ou s'éclairent selon que l'esprit, toujours soumis aux humeurs et aux tempêtes, s'éclaire ou s'assombrit lui aussi. Tel rentre chez lui fatigué, dégoûté de la vie, considère le sort qui lui est fait, se jetterait sous un fiacre, demanderait volontiers de ne pas se réveiller le lendemain. Il mange, boit, s'allonge et sombre dans un sommeil profond que les heures sonnées au clocher ne parviennent pas à troubler. Il se réveille le lendemain, l'esprit lavé de ses humeurs sombres et ne parvient même pas à renouer le fil de son angoisse de la veille. Jusqu'au soir, il chantonne, il sourit à la cantonade, il est le plus léger des hommes et un convive parfait. Sa belle humeur tiendra ainsi quelques jours, parfois moins, parfois davantage. Cela devrait faire réfléchir les désespérés, comme les insouciants. Tout ne vaut que par le regarde que l'on y jette. Un regard bienveillant sur le monde rend le monde bienveillant.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
« Ah ! que j'ai bien dormi ! s'écria Miette. J'ai rêvé que tu m'embrassais… Est-ce que tu m'as embrassée, dis ?
– C'est bien possible, répondit
Silvère en riant. Je n'avais pas chaud. Il fait un froid de loup.
– Moi, je n'ai froid qu'aux pieds.
– Eh bien ! courons… Nous avons
deux bonnes lieues à faire. Tu te réchaufferas. »
Et ils descendirent la côte, ils regagnèrent la route en courant. Puis, quand ils furent en bas, ils levèrent la tête, comme pour dire adieu à cette roche sur laquelle ils avaient pleuré, en se brûlant les lèvres d'un baiser. Mais ils ne reparlèrent point de cette caresse ardente qui avait mis dans leur tendresse un besoin nouveau, vague encore, et qu'ils n'osaient formuler. Ils ne se donnèrent même pas le bras, sous prétexte de marcher plus vite. Et ils marchaient gaiement, un peu confus, sans savoir pourquoi, quand ils venaient à se regarder. Autour d'eux, le jour grandissait. Le jeune homme, que son patron envoyait parfois à Orchères, choisissait sans hésiter les bons sentiers, les plus directs. Ils firent ainsi plus de deux lieues, dans des chemins creux, le long de haies et de murailles interminables. Miette accusait Silvère de l'avoir égarée. Souvent, pendant des quarts d'heure entiers, ils ne voyaient pas un bout du pays, ils n'apercevaient, au-dessus des murailles et des haies, que de longues files d'amandiers dont les branches maigres se détachaient sur la pâleur du ciel.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Les arbres se penchaient à leur passage, tordant leurs branches dénudées. Quelques-uns tentèrent, d'une ronce jetée en travers de leur route, de les arrêter pour qu'ils rebroussent chemin. C'est que les amandiers semblaient savoir que les deux enfants amoureux couraient à leur perte, eux qui les premiers de tous les arbres au printemps fabriquent des tresses de fleurs blanches qu'ils offrent volontiers aux couronnes des mariées. Les amandiers voulaient que le printemps revînt, et si ce n'était le prochain, que ce fût le suivant, pour jeter leurs fleurs en offrande à ces deux cœurs purs célébrant leur union. Mais les ronces, pourtant complices des arbres attendris, ne pouvaient rien cintre la vaillance d'une course qui tendait ces jeunes corps tout entiers vers la liberté. Leur idéal était trop fort et plus fort certainement qu'une promesse de noces. Les cerisiers des vergers se mettaient de la partie, promettant des fleurs roses pour se mêler aux fleurs des amandiers. Et puis ce furent tous les arbres du chemin, formant une haie d'honneur, et pleurant même quelques larmes de leur suc figé pour l'hiver. Même les oliviers, à la fleur rare et amère, faisaient des promesses de rameaux fleuris qu'ils jetteraient confiants, comme on le fait à Pâques, sous les pas des fiancés. Mais rien n'y fit. Les deux jeunes gens couraient, volaient même par dessus les herbes encore blanches de givre. De rares animaux les regardaient passer. Quelques mulots réveillés par la vie qui passait poussaient leur tête endormie au seuil de leur trou. L'amour passait.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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