Diégèse




dimanche 5 octobre 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Au crépuscule, Silvère se rencontra face à face avec son cousin, le docteur Pascal. Le savant avait suivi la bande à pied, causant au milieu des ouvriers, qui le vénéraient. Il s'était d'abord efforcé de les détourner de la lutte ; puis, comme gagné par leurs discours :
« Vous avez peut-être raison mes amis, leur avait-il dit avec son sourire d'indifférent affectueux ; battez-vous, je suis là pour vous raccommoder les bras et les jambes. » Et, le matin, il s'était tranquillement mis à ramasser le long de la route des cailloux et des plantes. Il se désespérait de ne pas avoir emporté son marteau de géologue et sa boîte à herboriser. À cette heure, ses poches, pleines de pierres, crevaient, et sa trousse, qu'il tenait sous le bras, laissait passer des paquets de longues herbes
.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Le docteur Pascal était de ces êtres qui, le soir de la fin du monde, juste avant que des météores en flammes ne s'abattent sur la terre, ensanglantant le ciel de furies, se tiendront sur la terrasse d'un observatoire et noteront patiemment toutes les observations. Il en est ainsi de ces savants qui préfèrent se brûler les yeux que de manquer une éclipse partielle de soleil. Pascal, avec ses pierres et ses herbes, et son air impassible, semblait venu d'un autre récit que celui que les insurgés et la population d'Orchères étaient en train de narrer. Il était dans sa propre histoire, qui s'accommodait mal des soubresauts de la petite histoire des hommes, lui qui vivait dans la longue et grande histoire de la nature et qui s'attachait à relater des événements qui s'étaient déroulés des millions d'années auparavant.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
« Tiens, c'est toi, mon garçon ! s'écria-t-il en apercevant Silvère. Je croyais être ici le seul de la famille. » Il prononça ces derniers mots avec quelque ironie, raillant doucement les menées de son père et de l'oncle Antoine.
Silvère fut heureux de rencontrer son cousin ; le docteur était le seul des Rougon qui lui serrât la main dans les rues et qui lui témoignât une sincère amitié. Aussi, en le voyant couvert encore de la poussière de la route, et le croyant acquis à la cause républicaine, le jeune homme montra-t-il une vive joie. Il lui parla des droits du peuple, de sa cause sainte, de son triomphe assuré, avec une emphase juvénile.
Pascal l'écoutait en souriant ; il examinait avec curiosité ses gestes, les jeux ardents de sa physionomie, comme s'il eût étudié un sujet, disséqué un enthousiasme, pour voir ce qu'il y a au fond de cette fièvre généreuse.
« Comme tu vas ! comme tu vas ! Ah ! que tu es bien le petit-fils de ta grand-mère ! » Et il ajouta, à voix basse, du ton d'un chimiste qui prend des notes :
« Hystérie ou enthousiasme, folie honteuse ou folie sublime. Toujours ces diables de nerfs ! » Puis, concluant tout haut, résumant sa pensée :
« La famille est complète, reprit-il. Elle aura un héros
. »

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Ainsi, Pascal venait de sceller le destin de Silvère, qui voulait que son exaltation naturelle le conduisît au martyr. Il peut sembler choquant que, le sachant, le médecin ne fît pour dissuader son cousin. Pascal n'intervint pas pour plusieurs raisons, toutes différentes, mais qui le conduisaient aux mêmes conclusions. La première était que celui qui sait ce qui va se passer, parce qu'il observe et parce qu'il réfléchit, et aussi parce qu'il ne met dans le cours des choses aucune passion, cesse vite de prévenir ses contemporains qui, ne croyant rien de ce qu'ils entendent, ne changent rien à leurs habitudes et se retournent contre celui qu'ils nomment un oiseau de mauvaise augure. Il y a aussi que le médecin n'ampute pas un patient bien portant d'une jambe parce que son grand-père était sujet à la goutte. Et puis, il y a cette forme de cynisme propre aux savants, qui préfèrent vérifier que leur théorie est juste plutôt que de se priver d'une belle expérience venant à la suite d'une belle déduction quitte à ne pas éviter une catastrophe qu'ils avaient pourtant prédite. Pascal aurait ainsi pu prévoir avec une probabilité satisfaisante le destin de Silvère, et si celui-ci en réchappait, mais il considérait qu'il se ferait tuer une prochaine fois car, il était impossible qu'il en réchappât à chaque fois.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Silvère n'avait pas entendu. Il continuait à parler de sa chère République. À quelques pas, Miette s'était arrêtée, toujours vêtue de sa grande pelisse rouge ; elle ne quittait plus Silvère, ils avaient couru la ville aux bras l'un de l'autre. Cette grande fille rouge finit par intriguer Pascal ; il interrompit brusquement son cousin, il lui demanda :
« Quelle est cette enfant qui est avec toi ?
– C'est ma femme », répondit gravement
Silvère.
Le docteur ouvrit de grands yeux. Il ne comprit pas. Et, comme il était timide avec les femmes, il envoya à
Miette, en s'éloignant, un large coup de chapeau.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
De fait, les femmes terrorisaient Pascal. Ce n'était pas qu'elles lui fissent peur physiquement, car, il soignait sans difficultés particulières toutes les parties de leur corps, et même les plus intimes. Mais, il les craignait de ce qu'il adviendrait s'il venait à s'amouracher de l'une d'elles et à l'épouser. Il ne pourrait alors plus herboriser tranquillement des journées entières. Elles organiserait son cabinet médical, l'obligeant à accepter plus de patients. Mais surtout, il se pourrait qu'ils aient des enfants et, s'il en croyait ses théories sur l'hérédité, et quelle que fût cette femme et la mère de ses enfants, rien de bon ne pourrait arriver à sa progéniture.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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