Diégèse




jeudi 11 septembre 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




À partir de 11, les jeunes gens ne manquèrent pas une fois de se trouver au rendez-vous. L'eau dormante, ces glaces blanches où ils contemplaient leur image, donnaient à leurs entrevues un charme infini qui suffit longtemps à leur imagination joueuse d'enfants. Ils n'avaient aucun désir de se voir face à face, cela leur semblait bien plus amusant de prendre un puits pour miroir et de confier à son écho leur bonjour matinal. Ils connurent bientôt le puits comme un vieil ami. Ils aimaient à se pencher sur la nappe lourde et immobile, pareille à de l'argent en fusion. En bas, dans un demi-jour mystérieux, des lueurs vertes couraient, qui paraissaient changer le trou humide en une cachette perdue au fond des taillis. Ils s'apercevaient ainsi dans une sorte de nid verdâtre, tapissé de mousse, au milieu de la fraîcheur de l'eau et du feuillage. Et tout l'inconnu de cette source profonde, de cette tour creuse sur laquelle ils se courbaient, attirés, avec de petits frissons, ajoutait à leur joie de se sourire une peur inavouée et délicieuse. Il leur prenait la folle idée de descendre, d'aller s'asseoir sur une rangée de grosses pierres qui formaient une espèce de banc circulaire, à quelques centimètres de la nappe ; ils tremperaient leurs pieds dans l'eau, ils causeraient pendant des heures, sans qu'on s'avisât jamais de les venir chercher en cet endroit. Puis, quand ils se demandaient ce qu'il pouvait bien y avoir là-bas, leurs frayeurs vagues revenaient, et ils pensaient que c'était assez déjà d'y laisser descendre leur image, tout au fond, dans ces lueurs vertes qui moiraient les pierres d'étranges reflets, dans ces bruits singuliers qui montaient des coins noirs. Ces bruits surtout, venus de l'invisible, les inquiétaient ; souvent il leur semblait que des voix répondaient aux leurs ; alors ils se taisaient, et ils entendaient mille petites plaintes qu'ils ne s'expliquaient pas : travail sourd de l'humidité, soupirs de l'air, gouttes d'eau glissant sur les pierres et dont la chute avait la sonorité grave d'un sanglot. Pour se rassurer, ils se faisaient des signes de tête affectueux. L'attrait qui les retenait accoudés aux margelles avait ainsi, comme tout charme poignant, sa pointe d'horreur secrète.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Le puits répondait parfaitement au désir qu'ont les enfants d'avoir pour eux-seuls un monde que l'on qualifie de monde imaginaire mais qui est certainement aussi réel que celui que les adultes nomment le monde. Ces mêmes adultes, quand ils le peuvent, et surtout dans la classe bourgeoise, concède à leurs enfants cette part irréductible d'imaginaire en leur laissant la libre occupation d'une chambre, d'un bout de jardin ou de parc. La classe populaire n'a souvent pas les moyens de telles libéralités, mais, fût-ce à l'atelier ou à l'usine, les enfants parviennent à préserver leur monde de songes, fût-ce un petit coin de repos, un grabat, le bout de la rue. Ces mondes imaginaires ne sont pas superflus au développement de l'enfant, mais, bien au contraire, indispensables pour qu'ils puissent, le temps venu, être des adultes qui pensent, qui agissent, qui aiment. Le puits de Miette et de Silvère, avait cela de magique qu'il était partagé et que son dispositif particulier ressemblait à une porte, une ouverture, ou encore un orifice d'un grand corps accueillant pouvant venir réparer chez ces deux orphelins la blessure qu'avait provoquée pour chacun d'eux la mort de leur mère. Les contes pour enfants qui se transmettent de génération en génération sont souvent les philtres magiques qui permettent aux enfants de se bâtir des mondes et d'y jouer le temps que dure leur enfance. Ce qui est certainement le plus étrange, et qui ne trouve à cette heure aucune explication satisfaisante, c'est que les mondes que les enfants s'inventent sont peuplés de monstres, de sorciers et de sorcières qui les réveillent la nuit et parfois même le jour. Quel rôle délicieusement effrayant peuvent bien jouer ces créatures fantastiques, les cris et les frissons qu'elles leur provoquent dans la construction des adultes qui deviendront. C'est aussi que la peur est un excitant puissant, qui fait que l'on a vu des mourants se lever et courir pour échapper à leur frayeur. Il doit y avoir, au cœur de chaque être, dès la plus tendre enfance, un centre de commande où la peur et le plaisir se côtoient et parfois se mélangent. Le puits mitoyen, familier et effrayant, remplissait parfaitement son office et jouait tous les rôles.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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