Diégèse




vendredi 12 septembre 2014



2014
ce travail est commencé depuis 5369 jours (7 x 13 x 59 jours) et son auteur est en vie depuis 19822 jours (2 x 11 x 17 x 53 jours)
ce qui représente 27,0861% de la vie de l'auteur sept cent soixante-sept semaines d'écriture
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La Fortune des Rougon2




Mais le puits restait leur vieil ami. Il était un si excellent prétexte à leur rendez-vous ! Jamais Justin, qui espionnait chaque pas de Miette, ne se défia de son empressement à aller tirer de l'eau, le matin. Parfois il la regardait de loin se pencher, s'attarder. « Ah ! la fainéante ! murmurait-il, dire qu'elle s'amuse à faire des ronds ! » Comment soupçonner que, de l'autre côté du mur, il y avait un galant qui regardait dans l'eau le sourire de la jeune fille, en lui disant : « Si cet âne rouge de Justin te maltraite, dis-le-moi, il aura de mes nouvelles ! »
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Silvère aurait aimé en découdre avec Justin. Bien qu'il fût plus jeune de plusieurs années que le fils de Rébufat, il ne le craignait en rien. Le jeune Silvère ne craignait d'ailleurs personne, comme s'il se sentait protégé par une mante magique que lui aurait confectionnée tous les auteurs de ses livres. Il se promenait avec comme garde rapprochée, Voltaire, Rousseau, Montaigne et quelques autres et se sentait avec eux invincible. Telle est la force des récits sur la jeunesse, qui peut risquer sa vie, parfois de façon inconsidérée, pour des idées qu'elle ignorait la veille.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Pendant plus d'un mois, ce jeu dura. On était en juillet ; les matinées brûlaient, blanches de soleil, et c'était une volupté d'accourir là, dans ce coin humide. Il faisait bon de recevoir au visage l'haleine glacée du puits, de s'aimer dans cette eau de source, à l'heure où l'incendie du ciel s'allumait. Miette arrivait tout essoufflée, traversant les chaumes ; dans sa course, les petits cheveux de son front et de ses tempes s'échevelaient ; elle prenait à peine le temps de poser sa cruche ; elle se penchait, rouge, décoiffée, vibrante de rires. Et Silvère, qui se trouvait presque toujours le premier au rendez-vous, éprouvait, en la voyant apparaître dans l'eau, avec cette rieuse et folle hâte, la sensation vive qu'il aurait ressentie, si elle s'était jetée brusquement dans ses bras, au détour d'un sentier. Autour d'eux, les gaietés de la radieuse matinée chantaient, un flot de lumière chaude, toute sonore d'un bourdonnement d'insectes, battait la vieille muraille, les piliers et les margelles. Mais eux ne voyaient plus la matinale ondée de soleil, n'entendaient plus les mille bruits qui montaient du sol : ils étaient au fond de leur cachette verte, sous la terre, dans ce trou mystérieux et vaguement effrayant, s'oubliant à jouir de la fraîcheur et du demi-jour avec une joie frissonnante.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Les idylles des jeunes gens de Provence l'été, accompagnées du chant des cigales et baignées de lumière, semblent toujours rejouer les mythes anciens de la Méditerranée. Qui étaient vraiment Miette et Silvère ces matins-là au bord du puits mitoyen ? Étaient-ils ces deux orphelins malmenés par la vie ou de jeunes dieux, de jeunes princes, vivant une fois encore un amour de légende ? Le puits était la porte magique qui leur permettait de rejoindre les mythes et leurs héros. Ils ne choisissaient pas vraiment les personnages qu'ils devaient incarner. Des dieux plus puissants qu'eux semblaient en avoir décidé pour eux. Pendant tout cet été-là, ils jouèrent inlassablement, mais sans le savoir, la fable d'Apulée qui met en scène Psyché et Cupidon. Il y avait même, à proximité Justin qui, comme Lucius dans les « Métamorphoses » avait été changé en âne. Bien sûr, ils ne jouaient que la scène des adieux matinaux et, contrairement aux deux Héros, ils n'avaient pas passé ensemble la nuit dans l'obscurité. Mais, comme dans la fable, toute la nature environnante semblait vouloir aider Miette et Silvère à se retrouver. Car, le monde, dont l'harmonie première est sans cesse contrariée, a parfois de ces regains de tendresse pour les jeunes amants.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Certains matins, Miette, dont le tempérament ne s'accommodait pas d'une longue contemplation, se montrait taquine ; elle remuait la corde, elle faisait tomber exprès des gouttes d'eau qui ridaient les clairs miroirs et déformaient les images. Silvère la suppliait de se tenir tranquille. Lui, d'une ardeur plus concentrée, ne connaissait pas de plus vif plaisir que de regarder le visage de son amie, réfléchi dans toute la pureté de ses traits. Mais elle ne l'écoutait pas, elle plaisantait, elle faisait la grosse voix, une voix de croque-mitaine, à laquelle l'écho donnait une douceur rauque.
« Non, non, grondait-elle, je ne t'aime pas aujourd'hui, je te fais la grimace ; vois comme je suis laide. » Et elle s'égayait à voir les formes bizarres que prenaient leurs figures élargies, dansantes sur l'eau
.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Car, l'amour des adultes demande une attention que les enfants n'ont pas. Le jeu n'est jamais loin dans les idylles des très jeunes gens et c'est en somme ce qui les distingue des passions ténébreuses des adultes. Parfois, devenus plus âgés, des couples essayent de retrouver les taquineries de leur jeunesse, mais ne parviennent le plus souvent qu'à les mimer sans véritable succès. En troublant l'eau du puits, Miette jouait le jeu que connaissent tous les enfants, qui est de disparaître, de se cacher entièrement ou de ne se cacher que les yeux, pour mieux réapparaître quelques instants après. Il suffit d'observer des enfants pris dans le tourbillon de la cachette une journée entière pour constater, avec un étonnement renouvelé, le temps immense qu'ils peuvent y consacrer.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Un matin, elle se fâcha pour tout de bon. Elle ne trouva pas Silvère au rendez-vous, et elle l'attendit près d'un quart d'heure, en faisant vainement grincer la poulie. Elle allait s'éloigner, exaspérée, lorsqu'il arriva enfin. Dès qu'elle l'aperçut, elle déchaîna une véritable tempête dans le puits ; elle agitait le seau d'une main irritée, l'eau noirâtre tourbillonnait avec des jaillissements sourds contre les pierres.
Silvère eut beau lui expliquer que tante Dide l'avait retenu.
À toutes les excuses, elle répondait :
« Tu m'as fait de la peine, je ne veux pas te voir. » Le pauvre garçon interrogeait avec désespoir ce trou sombre, plein de bruits lamentables, où l'attendait, les autres jours, une si claire vision, dans le silence de l'eau morte, Il dut se retirer sans avoir vu
Miette. Le lendemain, ayant devancé l'heure du rendez-vous, il regardait mélancoliquement dans le puits, n'entendant rien, se disant que la mauvaise tête ne viendrait peut-être pas, lorsque l'enfant, qui était déjà de l'autre côté, où elle guettait sournoisement son arrivée, se pencha tout d'un coup, en éclatant de rire.
Tout fut oublié
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La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Le jeu de la perte et de la disparition que se joue les amants doit un jour ou l'autre passer au stade de la brouille pour expérimenter la douleur que serait une longue séparation. C'est ainsi que sous un prétexte futile, un manquement parfois minimes aux règles sévères édictées dans les temps anciens par Cupidon par Psyché, les amants inventent une scène pendant laquelle ils ne se voient ni ne se parlent. L'un et l'autre, un jour, une heure, quelques minutes parfois, imaginent que plus jamais ils ne verront l'être aimé, ne pourront entendre sa voix, contempler ses yeux, imaginer la douceur de sa peau sous un baiser. Leur cœur bat plus fort. Leur âme entière soupire. Les amis sont convoqués au spectacle de leur désespoir. L'autre est parti. Il est mort, disparu. Parfois, les affres de la jalousie viennent ajouter du sel à cette mixture. L'autre n'est pas venu, c'est qu'il s'est livré à une autre jeune fille, à un jouvenceau de passage. L'amoureux se sent laid, l'amoureuse se sent laide. La disgrâce les habite, les prend entièrement. Faudrait-il mourir, s'offrir en sacrifice pour plaire de nouveau aux dieux courroucés. L'autre revient. Il s'était absenté. La vie reprend son cours et ses jeux innocents.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Il y eut ainsi des drames et des comédies dont le puits fut complice. Ce bienheureux trou, avec ses glaces blanches et son écho musical, hâta singulièrement leur tendresse. Ils lui donnèrent une vie étrange, ils l'emplirent à tel point de leurs jeunes amours que, longtemps après, lorsqu'ils ne vinrent plus s'accouder aux margelles, Silvère, chaque matin, en tirant de l'eau, croyait y voir apparaître la figure rieuse de Miette, dans le demi-jour, frissonnant et ému encore de toute la joie qu'ils avaient mise là.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Les campagnes et les villes sont ainsi remplies de monuments secrets dédiés aux amours de jeunesse. On croise sur sa route un arbre sans savoir qu'il est le temple attentif qui a vu naître une passion qui, quelque temps après, dans le mariage ou non, a donné naissance à toute une famille. Cette fenêtre n'est plus une fenêtre mais l'oracle courroucé où paraissait auparavant l'image la plus chère. Ce coin de rue, ce café, sont un théâtre luxueux où se tenait jadis une créature insensée, devenue avec le temps cette mère de famille fatiguée par la vie.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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