Diégèse




mardi 30 septembre 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Ils reprirent leurs longues causeries. Il ne resta dans l'esprit de Silvère, du danger que venaient de courir leurs amours ignorantes, qu'une grande admiration pour la vigueur physique de Miette. En quinze jours, elle avait appris à nager, et souvent, quand ils luttaient de vitesse, il l'avait vue couper le courant d'un bras aussi rapide que le sien. Lui, qui adorait la force, les exercices corporels, se sentait le cœur attendri en la voyant si forte, si puissante et si adroite de corps. Il entrait, dans son cœur, une estime singulière pour ses gros bras. Un soir, après un de ces premiers bains qui les laissaient si rieurs, ils s'étaient empoignés par la taille, sur une bande de sable, et pendant de longues minutes, ils avaient lutté, sans que Silvère parvînt à renverser Miette ; puis le jeune homme, ayant perdu l'équilibre, c'était l'enfant qui était restée debout. Son amoureux la traitait en garçon, et ce furent ces marches forcées, ces courses folles à travers les prés, ces nids dénichés à la cime des arbres, ces luttes, tous ces jeux violents, qui les protégèrent si longtemps et les empêchèrent de salir leurs tendresses.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
La vigueur particulière de Silvère, aussi fort qu'un homme mûr en ses toutes premières années de son âge adulte était une source infinie d'étonnement. Rien en effet ne pouvait l'expliquer, ni de son ascendance directe, ni des conditions de vie qui lui étaient faites. Rien dans son alimentation ne pouvait lui donner sa force. On mangeait peu de viande chez tante Dide. On mangeait même peu en général, la vieille femme éloignée des plaisirs du monde s'astreignant à une forme d'ascétisme qui ne s'expliquait pas seulement par sa pauvreté. La mère de Silvère, Ursule, était de ces femmes chétives qui semblent malades même quand elles sont bien portantes et le père Mouret était, certes, un ouvrier solide, mais qui n'avait en rien les qualités de force physique de son fils. Il aurait fallu remonter plus loin dans l'arbre familial pour savoir précisément dans quelles racines Silvère avait tiré sa jeune force. Il en allait de même pour Miette, dont les conditions de vie avaient été, dans son enfance, encore plus rudes que celles faites à Silvère. La nature est parfois ainsi faite, qui avait donné à ces deux-là la force nécessaire pour survivre à toutes les avanies de leur condition.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Il y avait encore dans l'amour de Silvère, outre son admiration pour la crânerie de son amoureuse, les douceurs de son cœur tendre aux malheureux. Lui qui ne pouvait voir un être abandonné, un pauvre homme, un enfant marchant nu-pieds dans la poussière des routes, sans éprouver à la gorge un serrement de pitié, il aimait Miette, parce que personne ne l'aimait, parce qu'elle menait une existence rude de paria. Quand il la voyait rire, il était profondément ému de cette joie qu'il lui donnait. Puis, l'enfant était une sauvage comme lui, ils s'entendaient dans la haine des commères du faubourg. Le rêve qu'il faisait, lorsque, dans la journée, il cerclait chez son patron les roues des carrioles, à grands coups de marteau, était plein de folie généreuse. Il pensait à Miette en rédempteur. Toutes ses lectures lui remontaient au cerveau ; il voulait épouser un jour son amie pour la relever aux yeux du monde ; il se donnait une mission sainte, le rachat, le salut de la fille du forçat. Et il avait la tête tellement bourrée de certains plaidoyers, qu'il ne se disait pas ces choses simplement ; il s'égarait en plein mysticisme social, il imaginait des réhabilitations d'apothéose, il voyait Miette assise sur un trône, au bout du cours Sauvaire, et toute la ville s'inclinant, demandant pardon, chantant des louanges. Heureusement qu'il oubliait ces belles choses, dès que Miette sautait son mur et qu'elle lui disait sur la grande route : « Courons, veux-tu ? je parie que tu ne m'attraperas pas. »
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
D'autres circonstances auraient conduit Silvère à entrer dans un de ces ordres mendiants qui proposent une discipline de vie rude et beaucoup de prières. Il aurait choisi un ordre dévolu à la Vierge Marie et l'aurait adorée dans toutes ses stations. Il aurait ainsi glorifié la jeune femme à peine pubère, qui, au même âge que Miette, ou à peine plus âgée, devait recevoir l'annonciation divine et accepter son destin avec une sainte crainte. Il serait allé avec elle chez sa cousine Élisabeth et aurait vu la vieille femme relever la jeune vierge, comme pressée que les prophéties s'accomplissent. Il aurait cheminé avec elle et son fils sur les chemins de la Galilée et de la Judée, l'entendant réclamer pour les mariés de Canaa encore un peu de vin, que son fils ne voulait pas lui donner. Il aurait enfin été Jean, ce disciple que Jésus aimait, et aurait, après la crucifixion, et même la résurrection, pris soin de la vieille dame et de son amie de toujours, Marie-Madeleine. Il aurait embarqué avec elles vers les rivages de Marseille. Mais Silvère n'avait aucun goût pour la transcendance et l'eschatologie. Il voulait le paradis sur terre pour toutes les femmes et pour tous les hommes, ainsi que pour les enfants et pour les animaux. Il était de ces âmes vouées à la justice sociale et les philosophes lui tenaient lieu de panthéon. Mais son ancêtre était pourtant peut-être dans le bateau de Marie et de Marie-Madeleine et le socialisme mystique de Silvère n'était parfois qu'une interprétation nouvelle des évangiles.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Mais si le jeune homme rêvait tout éveillé la glorification de son amoureuse, il avait de tels besoins de justice, qu'il la faisait souvent pleurer en lui parlant de son père. Malgré les attendrissements profonds que l'amitié de Silvère avait mis en elle, elle avait encore, de loin en loin, des réveils brusques, des heures mauvaises, où les entêtements, les rébellions de sa nature sanguine la roidissaient, les yeux durs, les lèvres serrées. Alors, elle soutenait que son père avait bien fait de tuer le gendarme, que la terre appartient à tout le monde, qu'on a le droit de tirer des coups de fusil où l'on veut et quand on veut. Et Silvère, de sa voix grave, lui expliquait le code comme il le comprenait, avec des commentaires étranges qui auraient fait bondir toute la magistrature de Plassans.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Ce qui se jouait entre les deux enfants n'était rien d'autre que ce qui se jouait et se rejouerait indéfiniment entre les socialistes et les anarchistes, et ce qui s'était joué pendant la révolution française entre les Enragés et les Indulgents. Et ce n'est pas un hasard si les premiers avaient pour inspirateur un prêtre et accueillaient des femmes dans leurs rangs, dont les fondatrices de la Société des Républicaines révolutionnaires. Il y a fort à parier que le débat qui s'était alors engagé en 1793, lointaine descendance des jacqueries de la longue histoire française, ne s'éteindra pas et continuera vaillamment à travers les siècles. On retrouvera Miette sur d'autres barricades et dans d'autres pays, pour d'autres révolutions, faisant le coup de poing comme le coup de feu à côté de garçons qu'elle surpassera en force et en courage.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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