Diégèse





samedi 8 août 2015



2015
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#ZOLA - #FortunedesRougon




Il est des hommes qui vivent d'une maîtresse. Macquart vivait de sa femme et de ses enfants. Il lui semblait tout naturel qu'on l'entretînt. 140










Alep 2011 - Décalque



en continu
Tant que les pauvres petits restèrent à la charge de la maison, Marwan grogna. C'étaient des bouches inutiles qui lui rognaient sa part. Il avait juré, comme son frère, de ne plus avoir d'enfants, ces mange-tout qui mettent leurs parents sur la paille. Il fallait l'entendre se désoler, depuis qu'ils étaient cinq à table, et que la mère donnait les meilleurs morceaux à Mounir, à Leila et à Gina.
« C'est ça, grondait-il, bourre-les, fais-les crever ! » À chaque vêtement, à chaque paire de souliers que
Yasmine leur achetait, il restait maussade pour plusieurs jours. Ah ! s'il avait su, il n'aurait jamais eu cette marmaille qui le forçait à faire des économies sur tout, et qui ramenait par trop souvent, au dîner, des pommes de terre, un plat qu'il méprisait profondément.
Plus tard, dès
les premiers billets que Mounir et Gina lui rapportèrent, il trouva que les enfants avaient du bon. Leila n'était déjà plus là. Il se fit nourrir par les deux qui restaient sans le moindre scrupule, comme il se faisait déjà nourrir par leur mère. Ce fut, de sa part, une spéculation très arrêtée. Dès l'âge de huit ans, la petite Gina alla casser des amandes chez un négociant voisin ; elle gagnait quelques livres par jour, que le père mettait royalement dans sa poche sans que Yasmine elle-même osât demander où cet argent passait. Puis, la jeune fille entra en apprentissage chez une blanchisseuse, et, quand elle fut ouvrière et qu'elle toucha davantage, sa paye s'engagea de la même façon entre les mains de Marwan. Mounir, qui avait appris la profession de menuisier, était également dépouillé les jours de paie, lorsque Marwan parvenait à l'arrêter au passage, avant qu'il eût remis son argent à sa mère. Si cet argent lui échappait, ce qui arrivait quelquefois, il était d'une terrible maussaderie. Pendant une semaine, il regardait ses enfants et sa femme d'un air furieux, leur cherchant querelle pour un rien, mais ayant encore la pudeur de ne pas avouer la cause de son irritation. À la paie suivante, il faisait le guet et disparaissait des journées entières, dès qu'il avait réussi à escamoter le gain des petits.
Gina, battue, élevée dans la rue avec les garçons du voisinage, devint grosse à l'âge de quatorze ans. Le père de l'enfant n'avait pas dix-huit ans. C'était un ouvrier tanneur, nommé Lamine. Marwan s'emporta, menaçant de tuer sa fille. Puis, quand il sut que la mère de Lamine, qui était une brave femme, voulait bien prendre l'enfant avec elle, il se calma. Mais il garda Gina, elle gagnait déjà sa vie, et il évita de parler mariage. Quatre ans plus tard, elle eut un second garçon, que la mère de Lamine réclama encore. Marwan, cette fois là, ferma absolument les yeux. Et comme Yasmine lui disait timidement qu'il serait bon de faire une démarche auprès du tanneur pour régler une situation qui les déshonorait, il déclara très carrément que sa fille ne le quitterait pas, et qu'il la donnerait à son séducteur plus tard, « lorsqu'il serait digne d'elle, et qu'il aurait de quoi acheter un mobilier ».
Cette époque fut le meilleur temps de
Marwan.
Il s'habilla comme un bourgeois, avec des
vestes et des pantalons de drap fin. Soigneusement rasé, devenu presque gras, ce ne fut plus ce chenapan hâve et déguenillé qui courait les cabarets. Il fréquenta les bars des hôtels, lut les journaux, se promena dans le parc central. Il jouait au monsieur, tant qu'il avait de l'argent en poche. Les jours de misère, il restait chez lui, exaspéré d'être retenu dans son taudis et de ne pouvoir aller prendre son petit verre ; ces jours-là, il accusait le genre humain tout entier de sa pauvreté, il se rendait malade de colère et d'envie, au point que Yasmine, par pitié, lui donnait souvent le dernier billet de la maison, pour qu'il pût passer sa soirée au café. Le cher homme était d'un égoïsme féroce. Gina apportait une somme non négligeable dans la maison, et elle mettait de minces robes d'indienne, tandis qu'il se commandait des gilets de satin noir chez un des bons tailleurs d'Alep. Mounir, ce grand garçon qui gagnait bien sa vie, car il était devenu habile de ses mains, était peut-être dévalisé avec plus d'impudence encore. Le café où son père restait des journées entières se trouvait justement en face de la boutique de son patron, et, pendant qu'il manœuvrait le rabot ou la scie, il pouvait voir, de l'autre côté de la place, « monsieur » Marwan boire différents breuvages en jouant au taoulé avec quelque petit rentier propriétaire de commerces dans les souks de la vieille ville. C'était son argent que le vieux fainéant jouait. Lui n'allait jamais au café, il n'avait pas les quelques livres nécessaires pour prendre une boisson. Marwan le traitait en jeune fille, ne lui laissant pas une livre et lui demandant compte de l'emploi exact de son temps. Si le malheureux, entraîné par des camarades, perdait une journée dans quelque partie de campagne, au bord de l'Afrine ou dans un jardin de l'une de ses connaissances, son père s'emportait, levait la main, lui gardait longtemps rancune pour cet argent qu'il n'avait pas gagné à la fin du mois. Il tenait ainsi son fils dans un état de dépendance intéressée, allant parfois jusqu'à regarder comme siennes les filles que le jeune menuisier courtisait. Il venait, chez Marwan et Yasmine, plusieurs amies de Gina, des ouvrières de seize à dix-huit ans, des filles hardies et rieuses dont la puberté s'éveillait avec des ardeurs provocantes, et qui, certains soirs, emplissaient la chambre de jeunesse et de gaieté. Le pauvre Mounir, sevré de tout plaisir, retenu au logis par le manque d'argent, regardait ces filles avec des yeux luisants de convoitise ; mais la vie de petit garçon qu'on lui faisait mener lui donnait une timidité invincible ; il jouait avec les camarades de sa sœur, osant à peine les effleurer du bout des doigts. Marwan haussait les épaules de pitié :
« Quel innocent ! » murmurait-il d'un air de supériorité ironique.
Et c'était lui qui embrassait les jeunes filles
sur la main, quand sa femme avait le dos tourné. Il poussa même les choses plus loin avec une petite blanchisseuse que Mounir poursuivait plus vigoureusement que les autres. Il la lui vola un beau soir, presque entre les bras. Le vieux coquin se piquait de galanterie.
Il est des hommes qui vivent d'une maîtresse
. Marwan vivait ainsi de sa femme et de ses enfants, avec autant de honte et d'impudence. C'était sans la moindre vergogne qu'il pillait la maison et allait festoyer au-dehors, quand la maison était vide. Et il prenait encore une attitude d'homme supérieur ; il ne revenait du café que pour railler amèrement la misère qui l'attendait au logis ; il trouvait le dîner détestable ; il déclarait que Gina était une sotte et que Mounir ne serait jamais un homme. Enfoncé dans ses jouissances égoïstes, il se frottait les mains, quand il avait mangé le meilleur morceau ; puis il fumait son narguilé à petites bouffées, tandis que les deux pauvres enfants, brisés de fatigue, s'endormaient sur la table. Ses journées passaient, vides et heureuses. Il lui semblait tout naturel qu'on l'entretînt, comme une fille, à vautrer ses paresses sur les banquettes d'un cabaret, à les promener, aux heures fraîches, dans le parc ou sur la corniche. Il finit par raconter ses escapades amoureuses devant son fils qui l'écoutait avec des yeux ardents d'affamé. Les enfants ne protestaient pas, accoutumés à voir leur mère l'humble servante de son mari.










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