Cependant, Giustiniani gardait toujours son mystérieux sourire
en
regardant Fatima. Ce petit vieux était bien trop fin pour ne pas
comprendre où allait la Syrie. Un des premiers, il flaira l'escroquerie
politique. Il fallait perdre aux yeux du monde les rebelles et les
insurgés. Il suffisait pour cela de les infiltrer avec des mercenaires,
volontiers sanguinaires, qui pourraient à loisir perpétrer des actes
sanglants en proférant des sentences extrémistes. C'était cela la
nouvelle tactique du régime et de ses alliés. C'était un stratagème
dangereux, car, une fois les barbares dans la place, rien ne pouvait
assurer qu'ils se contenteraient indéfiniment du rôle que la parti
entendait leur faire jouer.
Quant à Jisri et à Ghali, ils vivaient dans un aveuglement effaré ;
il n'était pas certain qu'ils eussent une opinion ; ils voulaient
manger et dormir en paix, là se bornaient leurs aspirations politiques.
Giustiniani, seul, avait compris le jeu du pouvoir en place. Il s'y
amusait. Le heurt des ambitions,
l'étalage des sottises bourgeoises, avaient fini par lui offrir chaque
soir un spectacle des plus réjouissants. Il grelottait à la pensée de
se renfermer dans son petit logement, dû à la charité de Marcopoli. Ce
fut avec une joie malicieuse qu'il garda pour lui la
conviction que le régime finirait cependant par céder, sans pour autant
s'attrister davantage de la guerre civile généralisée qui ne manquerait
pas de se dérouler. Il feignit
l'aveuglement, travaillant comme par le passé au triomphe de la
légitimité, restant toujours aux ordres du parti et des alaouites.
Dès le premier jour, il avait pénétré la ruse dont Kemal se faisait
l'agent,
et il croyait que Fatima était sa complice.
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