Diégèse





lundi 26 octobre 2015



2015
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#ZOLA - #FortunedesRougon




Félicité ne s'était pas couchée. Et Pierre expliqua même ses projets futurs, oubliant que, selon lui, les femmes n'étaient bonnes à rien. 137
Elle lui fit recommencer certaines parties du récit ; la joie faisait un tel vacarme dans sa tête que, par moments, elle devenait sourde. 137
« Ah ! M. Peirotte est de la danse. » Félicité sourit ; elle venait de faire ce souhait : « Si les insurgés pouvaient le massacrer ! » 134
Les habitués arrivaient. Personne ne connaissait encore, dans leurs détails, les événements, et tous accouraient, poussés par les rumeurs. 138
Granoux parut. «  Mon ami, je vous apporte l'hommage du conseil. Il vous appelle à sa tête, en attendant que notre maire nous soit rendu. 136










Alep 2011 - Décalque



en continu
Fatima ne s'était pas couchée. Il la trouva habillée, avec une abaya joliment brodée et son hijab sur la tête, comme une femme qui attend du monde. Elle était vainement restée à la fenêtre, elle n'avait rien entendu ; elle se mourait de curiosité.
« Eh bien ? » demanda-t-elle, en se précipitant au-devant de son mari.
Celui-ci, soufflant, entra dans le salon jaune, où elle le suivit, en fermant soigneusement les portes derrière elle. Il se laissa aller dans un fauteuil, il dit d'une voix étranglée :
« C'est fait, nous serons
des responsables. » Elle lui sauta au cou ; elle l'embrassa.
« Vrai ? vrai ? cria-t-elle. Mais je n'ai rien entendu.
O mon petit homme, raconte-moi ça, raconte-moi tout. » Elle avait quinze ans, elle se faisait chatte, elle tourbillonnait, avec ses vols brusques de
guêpe ivre de lumière et de chaleur. Et Kemal, dans l'effusion de sa victoire, vida son cœur. Il n'omit pas un détail. Il expliqua même ses projets futurs, oubliant que, selon lui, les femmes n'étaient bonnes à rien, et que la sienne devait tout ignorer, s'il voulait rester le maître. Fatima, penchée, buvait ses paroles.
Elle lui fit recommencer certaines parties du récit, disant qu'elle n'avait pas entendu ; en effet, la joie faisait un tel vacarme dans sa tête que, par moments, elle devenait comme sourde, l'esprit perdu en pleine jouissance. Quand Kemal raconta l'affaire du gouvernorat, elle fut prise de rires, elle changea trois fois de fauteuil, roulant les meubles, ne pouvant tenir en place. Après quarante années d'efforts continus, la fortune se laissait enfin prendre à la gorge. Elle en devenait folle, à ce point qu'elle oublia elle-même toute prudence.
« Hein ! c'est à moi que tu dois tout cela ! s'écria-t-elle avec une explosion de triomphe. Si je t'avais laissé agir, tu te serais fait bêtement pincer par les manifestants. Nigaud, c'était
le gouverneur, le Sakkal et les autres, qu'il fallait jeter à ces bêtes féroces. » Et, montrant ses dents branlantes de vieille, elle ajouta avec un rire de gamine :
« Eh ! vive le
Baath ! il a fait place nette. » Mais Kemal était devenu maussade.
« Toi, toi, murmura-t-il, tu crois toujours avoir tout prévu. C'est moi qui ai eu l'idée de me cacher. Avec cela que les femmes entendent quelque chose à la politique ! Va, ma pauvre vieille, si tu conduisais la barque, nous ferions vite naufrage
. » Fatima pinça les lèvres. Elle s'était trop avancée, elle avait oublié son rôle de bonne fée muette. Mais il lui vint une de ces rages sourdes, qu'elle éprouvait quand son mari l'écrasait de sa supériorité. Elle se promit de nouveau, lorsque l'heure serait venue, quelque vengeance exquise qui lui livrerait le bonhomme pieds et poings liés.
« Ah ! j'oubliais, reprit Raqqaoui, Abou Firas est de la danse. Jisri l'a vu qui se débattait entre les mains des manifestants. » Fatima eut un tressaillement. Elle était justement à la fenêtre, qui regardait avec amour les croisées du responsable. Elle venait d'éprouver le besoin de les revoir, car l'idée du triomphe se confondait en elle avec l'envie de ce bel appartement, dont elle usait les meubles du regard, depuis si longtemps.
Elle se retourna, et, d'une voix étrange :
« Abou Firas est arrêté  ? » dit-elle.
Elle sourit complaisamment ; puis une vive rougeur lui marbra la face. Elle venait, au fond d'elle, de faire ce souhait brutal : « Si les
rebelles pouvaient le massacrer  ! » Kemal lut sans doute cette pensée dans ses yeux.
« Seigneur ! s'il attrapait quelque balle, murmura-t-il, ça arrangerait nos affaires… On ne serait pas obligé de le déplacer, n'est-ce pas ! ? et il n'y aurait rien de notre faute. » Mais Fatima, plus nerveuse, frissonnait. Il lui semblait qu'elle venait de condamner un homme à mort. Maintenant, si Abou Firas était tué, elle le reverrait la nuit, il viendrait lui tirer les pieds. Elle ne jeta plus sur les fenêtres d'en face que des coups d'œil sournois, pleins d'une horreur voluptueuse. Et il y eut, dès lors, dans ses jouissances, une pointe d'épouvante criminelle qui les rendit plus aiguës.
D'ailleurs, Kemal, le cœur vidé, voyait à présent le mauvais côté de la situation. Il parla de Marwan. Comment se débarrasser de ce chenapan ? Mais Fatima, reprise par la fièvre du succès, s'écria :
« On ne peut pas tout faire à la fois. Nous le bâillonnerons, grâce à Dieu ! Nous trouverons bien quelque moyen… » Elle allait et venait, rangeant les fauteuils, époussetant les dossiers. Brusquement, elle s'arrêta au milieu de la pièce et, jetant un long regard sur le mobilier fané :
« Bon Dieu ! dit-elle, que c'est laid ici ! Et tout ce monde qui va venir !
– Suffit ! répondit
Kemal avec une superbe indifférence, nous changerons tout cela. » Lui qui, la veille, avait un respect religieux pour les fauteuils et le canapé, il serait monté dessus à pieds joints. Fatima, éprouvant le même dédain, alla jusqu'à bousculer un fauteuil dont une roulette manquait et qui ne lui obéissait pas assez vite.
Ce fut à ce moment que
Ghali entra. Il sembla à la vieille femme qu'il était d'une bien plus grande politesse.
Les « monsieur », les « madame » roulaient, avec une musique délicieuse. D'ailleurs, les habitués arrivaient à la file, le salon s'emplissait. Personne ne connaissait encore, dans leurs détails, les événements de la nuit, et tous accouraient, les yeux hors de la tête, le sourire aux lèvres, poussés par les rumeurs qui commençaient à courir la ville. Ces messieurs qui, la veille au soir, avaient quitté si précipitamment le salon jaune, à la nouvelle de l'approche des
rebelles, revenaient, bourdonnants, curieux et importuns, comme un essaim de mouches qu'aurait dispersé un coup de vent. Certains n'avaient pas même pris le temps de mettre leurs habits. Leur impatience était grande, mais il était visible que Raqqaoui attendait quelqu'un pour parler. À chaque minute, il tournait vers la porte un regard anxieux.
Pendant une heure, ce furent des poignées de main expressives, des félicitations vagues, des chuchotements admiratifs, une joie contenue, sans cause certaine, et qui ne demandait qu'un mot pour devenir de l'enthousiasme
.
Enfin Jisri parut. Il s'arrêta un instant sur le seuil, la main droite dans sa veste boutonnée ; sa grosse face blême, qui jubilait, essayait vainement de cacher son émotion sous un grand air de dignité. À son apparition, il se fit un silence ; on sentit qu'une chose extraordinaire allait se passer. Ce fut au milieu d'une haie que Jisri marcha droit vers Raqqaoui. Il lui tendit la main.
« Mon ami, lui dit-il, je
t'apporte l'hommage de la section locale du Parti. Elle t'appelle à sa tête, en attendant que notre gouverneur nous soit rendu. Tu as sauvé Alep. Il faut, dans l'époque abominable que nous traversons, des hommes qui allient ton intelligence à ton courage.
Viens… » Jisri, qui récitait là un petit discours qu'il avait préparé avec grand-peine, de la citadelle à la maison des Raqqaoui, sentit sa mémoire se troubler. Mais Raqqaoui, gagné par l'émotion, l'interrompit, en lui serrant les mains, en répétant :
« Merci, mon cher
Jisri, je te remercie bien. » Il ne trouva rien autre chose. Alors il y eut une explosion de voix assourdissante. Chacun se précipita, lui tendit la main, le couvrit d'éloges et de compliments, le questionna avec âpreté. Mais lui, digne déjà comme un magistrat, demanda quelques minutes pour conférer avec Jisri et Ghali. Les affaires avant tout. La ville se trouvait dans une situation si critique ! Ils se retirèrent tous trois dans un coin du salon, et là, à voix basse, ils se partagèrent le pouvoir, tandis que les habitués, éloignés de quelques pas, et jouant la discrétion, leur jetaient à la dérobée des coups d'œil où l'admiration se mêlait à la curiosité. Raqqaoui prendrait le titre de président de la section locale du Parti ; Jisri serait secrétaire général ; quant à Ghali, il devenait commandant en chef de la garde civile réorganisée. Ces messieurs se jurèrent un appui mutuel, d'une solidité à toute épreuve.
Fatima, qui s'était approchée d'eux, leur demanda brusquement :
« Et
Garo ? » Ils se regardèrent. Personne n'avait aperçu Garo.
Raqqaoui eut une légère grimace d'inquiétude.
« Peut-être qu'on l'a emmené avec les autres… », dit-il pour se tranquilliser.
Mais
Fatima secoua la tête. Garo n'était pas un homme à se laisser prendre. Du moment qu'on ne le voyait pas, qu'on ne l'entendait pas, c'est qu'il faisait quelque chose de mal.










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