Diégèse





samedi 12 septembre 2015



2015
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#ZOLA - #FortunedesRougon




Le puits était un excellent prétexte à leur rendez-vous ! Jamais Justin ne se défia de son empressement à aller tirer de l'eau, le matin. 137
Pendant plus d'un mois, ce jeu dura. On était en juillet ; les matinées brûlaient, blanches de soleil, et c'était une volupté d'accourir là. 140
Certains matins, Miette, dont le tempérament ne s'accommodait pas d'une longue contemplation, se montrait taquine ; elle remuait la corde. 138
Un matin, elle se fâcha. Elle ne trouva pas Silvère au rendez-vous, et elle l'attendit près d'un quart d'heure en faisant grincer la poulie. 140
Longtemps après, Silvère, chaque matin, en tirant de l'eau, croyait y voir apparaître la figure rieuse de Miette, frissonnant et ému encore. 140










Alep 2011 - Décalque



en continu
Mais le puits restait leur vieil ami. Il était un si excellent prétexte à leur rendez-vous ! Jamais Yasser, qui espionnait chaque pas de Maya, ne se défia de son empressement à aller tirer de l'eau, le matin. Parfois il la regardait de loin se pencher, s'attarder. « Ah ! la fainéante ! murmurait-il, dire qu'elle s'amuse à faire des ronds ! » Comment soupçonner que, de l'autre côté du mur, il y avait un galant qui regardait dans l'eau le sourire de la jeune fille, en lui disant : « Si cet âne rouge de Yasser te maltraite, dis-le-moi, il aura de mes nouvelles ! »
Pendant plus d'un mois, ce jeu dura. On était en juillet ; les matinées brûlaient, blanches de soleil, et c'était une volupté d'accourir là, dans ce coin humide. Il faisait bon de recevoir au visage l'haleine glacée du puits, de s'aimer dans cette eau de source, à l'heure où l'incendie du ciel s'allumait. Maya arrivait tout essoufflée, traversant les chaumes ; dans sa course, les petits cheveux de son front et de ses tempes s'échevelaient ; elle prenait à peine le temps de poser sa cruche ; elle se penchait, rouge, décoiffée, vibrante de rires. Et Selim, qui se trouvait presque toujours le premier au rendez-vous, éprouvait, en la voyant apparaître dans l'eau, avec cette rieuse et folle hâte, la sensation vive qu'il aurait ressentie, si elle s'était jetée brusquement dans ses bras, au détour d'un sentier. Autour d'eux, les gaietés de la radieuse matinée chantaient, un flot de lumière chaude, toute sonore d'un bourdonnement d'insectes, battait la vieille muraille, les piliers et les margelles. Mais eux ne voyaient plus la matinale ondée de soleil, n'entendaient plus les mille bruits qui montaient du sol : ils étaient au fond de leur cachette verte, sous la terre, dans ce trou mystérieux et vaguement effrayant, s'oubliant à jouir de la fraîcheur et du demi-jour avec une joie frissonnante.
Certains matins, Maya, dont le tempérament ne s'accommodait pas d'une longue contemplation, se montrait taquine ; elle remuait la corde, elle faisait tomber exprès des gouttes d'eau qui ridaient les clairs miroirs et déformaient les images. Selim la suppliait de se tenir tranquille. Lui, d'une ardeur plus concentrée, ne connaissait pas de plus vif plaisir que de regarder le visage de son amie, réfléchi dans toute la pureté de ses traits. Mais elle ne l'écoutait pas, elle plaisantait, elle faisait la grosse voix, une voix de croque-mitaine, à laquelle l'écho donnait une douceur rauque.
« Non, non, grondait-elle, je ne t'aime pas aujourd'hui, je te fais la grimace ; vois comme je suis laide. » Et elle s'égayait à voir les formes bizarres que prenaient leurs figures élargies, dansantes sur l'eau
.
Un matin, elle se fâcha pour tout de bon. Elle ne trouva pas Selim au rendez-vous, et elle l'attendit près d'un quart d'heure, en faisant vainement grincer la poulie. Elle allait s'éloigner, exaspérée, lorsqu'il arriva enfin. Dès qu'elle l'aperçut, elle déchaîna une véritable tempête dans le puits ; elle agitait le seau d'une main irritée, l'eau noirâtre tourbillonnait avec des jaillissements sourds contre les pierres.
Selim eut beau lui expliquer que Oum Kemal l'avait retenu.
À toutes les excuses, elle répondait :
« Tu m'as fait de la peine, je ne veux pas te voir. » Le pauvre garçon interrogeait avec désespoir ce trou sombre, plein de bruits lamentables, où l'attendait, les autres jours, une si claire vision, dans le silence de l'eau morte, Il dut se retirer sans avoir vu
Maya. Le lendemain, ayant devancé l'heure du rendez-vous, il regardait mélancoliquement dans le puits, n'entendant rien, se disant que la mauvaise tête ne viendrait peut-être pas, lorsque l'enfant, qui était déjà de l'autre côté, où elle guettait sournoisement son arrivée, se pencha tout d'un coup, en éclatant de rire.
Tout fut oublié
.
Il y eut ainsi des drames et des comédies dont le puits fut complice. Ce bienheureux trou, avec ses glaces blanches et son écho musical, hâta singulièrement leur tendresse. Ils lui donnèrent une vie étrange, ils l'emplirent à tel point de leurs jeunes amours que, longtemps après, lorsqu'ils ne vinrent plus s'accouder aux margelles, Selim, chaque matin, en tirant de l'eau, croyait y voir apparaître la figure rieuse de Maya, dans le demi-jour, frissonnant et ému encore de toute la joie qu'ils avaient mise là.










12 septembre






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