Je ferai le
portrait de Bernard-Lazare. Il avait indéniablement, des
parties de saint, de sainteté. Et quand je parle de saint, je ne suis
pas suspect de parler par métaphore. Il avait une douceur, une bonté,
une tendresse mystique, une égalité d'humeur, une expérience de
l'amertume et de l'ingratitude, une digestion parfaite de l'amertume et
de l'ingratitude une sorte de bonté à qui on n'en remontrait point, une
sorte de bonté parfaitement
renseignée et parfaitement apprise d'une profondeur incroyable. Comme
une bonté à revendre. Il vécut et mourut pour eux comme un martyr. Il
fut un prophète. Il était donc juste qu'on l'ensevelît prématurément
dans le silence et dans l'oubli. Dans un silence fait. Dans un oubli
concerté. Il ne faut pas lui alléguer sa mort. Car sa mort même fut
pour eux. Il ne faut pas lui reprocher sa mort. On lui en voulait
surtout, les juifs1 lui en voulaient surtout, le méprisaient
surtout
parce qu'il n'était pas riche. Je crois même qu'on disait qu'il était
dépensier. Cela voulait dire qu'on n'avait plus besoin de lui, ou que
l'on croyait que l'on n'avait plus besoin de lui. Peut-être en effet
leur coûtait-il un peu ; leur avait-il coûté un peu plus. C'était un
homme qui avait la main ouverte. |
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Le
trajet historique de l'humanité est jalonné de progrès scientifiques
qui semblent repousser la frontière de l'humanité, c'est à dire ce qui
différencie et sépare l'être humain du biotope incertain dans lequel il
prospère plus ou moins bien. Les progrès des neurosciences qui
permettent de décrire les processus cervicaux des émotions humaines, et
même, grâce à l'imagerie médicale, de les voir, entretiennent l'espoir
ou la crainte - le fantasme - que nous ne soyons en fait qu'un peu
d'eau agitée par des réactions chimiques. On enseigne en classe de
terminale que cette question n'est pas nouvelle et que les philosophes,
depuis qu'il y a des philosophes, se sont posé cette question et que
les réponses qu'ils ont apportées se nomment précisément philosophie.
Et si l'on veut aller vite, on peut penser que le premier embranchement
de la pensée des passions humaines serait Platon contre Aristote. Pour
le premier l'âme est immortelle et immatérielle quand pour le second
elle est principe de vie indissociable du corps, et donc mortelle. Tout
ce qui suivra ne sera que raffinement de cette dichotomie. Chaque
avancée scientifique pensera avoir eu raison de Platon et de son
dualisme, mais Platon, chaque fois, reprendra le dessus, comme les
astronomes repoussent toujours les limites de l'univers. |