Diégèse




dimanche 7 août 2016



2016
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#Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 -










Ce principe politique absolument démocratique, Pannella l'actualise à travers l'idéologie de la non-violence. Mais ce n'est pas tellement la non-violence physique qui compte (on peut la discuter) ; celle qui compte, c’est la non-violence morale, à savoir le total, l'absolu, l’inéluctable manque de tout moralisme (« Nous soutenons qu'est moral tout ce que chacun pense »). C'est cette non-violence-là (qui va jusqu'à se répudier elle-même comme moraliste) qui amène Pannella et les radicaux à l'autre scandale : leur refus absolu de toute forme de pouvoir et sa condamnation (« je ne crois pas au Pouvoir, et je répudie même la fantaisie, si elle menace de l'occuper »). Le fruit de la pureté absolue et presque ascétique de ces principes que l'on pourrait qualifier de « métapolitiques », c'est l'extraordinaire limpidité du regard posé sur les choses et sur les faits ; il ne rencontre, en effet, ni l'obscurité involontaire des préjugés, ni celle, voulue, des compromis. Tout est lumière et raison autour de ce regard qui, ayant pour objets les choses et les faits historiques et concrets — et le jugement de ces instances qui en découle — finit par créer les prémisses du scandale inacceptable qu'est pour les gens bien la politique radicale (« le long de l'antifascisme de la ligne Parri-Sofri s'articulent depuis vingt ans les litanies des gens-bien de notre politique » [...] « Où sont donc les fascistes, sinon au pouvoir et au gouvernement ? Ce sont les Moro, les Fanfani, les Rumor, les Pastore, les Gronchi, les Segni et — pourquoi pas — les Janassi, les Cariglia, et peut-être les Sarragat et les La Malfa. Contre la politique de ceux-là, là je le comprends, il faut être antifasciste... »).
Voilà, je suppose à présent, cher lecteur, que le « scandale » Pannella est clair pour toi ; mais je suppose également que tu es tenté de considérer dans le même temps que ce scandale est donquichottesque et verbal ; que la position de ces militants radicaux (la non-violence, le refus de toute forme de pouvoir et ainsi de suite) est vieillie, comme le pacifisme, la contestation, etc., et que, enfin, elle n'est qu'un pur vélléitarisme, qui serait tout à fait saint et sanctifiable si leurs condamnations et leurs propositions n'étaient pas circonstanciées et adressées ad personam comme elles le sont.
Il n'en va en revanche pas ainsi. Leurs principes pour ainsi dire « métapolitiques » ont amené les radicaux à une pratique politique absolument réaliste ; et ce n'est pas à cause de ces principes « scandaleux » que le monde du pouvoir — gouvernement et opposition ignore, réprime et exclut Pannella, jusqu'à faire, éventuellement, de son amour de la vie un assassinat : c'est justement à cause de cette pratique politique réaliste. En effet, le parti radical, la L.I.D. et leur leader Marco Pannella sont les vrais vainqueurs du référendum du 12 mai ; et c'est bel et bien cela que « personne » ne leur pardonne. Ils ont été les seuls à relever le défi du référendum et à le vouloir, parce qu'ils étaient certains de l'éclatante victoire — prévision qui était le résultat inévitablement concomitant de la confrontation d'un « principe » démocratique intransigeant (même en prenant le risque d'une défaite) et d'une « analyse réaliste » de la vraie volonté des nouvelles masses italiennes. Ce n'est donc pas, je tiens à le répéter, un principe démocratique abstrait (droit de décision à la base et refus de toute attitude paternaliste), mais une analyse réaliste de la vie qui constitue actuellement la faute impardonnable du P.R. et de la L.I.D.

Mais revenons à la question du caractère chimique de la morale, de la conscience morale. Certes, on peut décrire assez précisément - je le suppose - les processus chimiques déclenchés par une drogue. L'imagerie médicale permet désormais d'identifier assez précisément les aires cervicales qui sont activées ou non, et, ce que l'on sait faire pour l'orgasme, on doit aussi le savoir pour le captagon. Cependant, et c'est là que le bon vieux Platon dualiste va finalement peut-être gagner, plus les sciences, et notamment les neurosciences, progressent et plus la description des processus se fait fine et sophistiquée, plus le fait que « derrière » des processus, il y a bien une personne, relève finalement de la croyance sinon de la foi. Les travaux du neurologue praticien Lionel Naccache, qui exerce à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière et qui est l'auteur de « Le nouvel Inconscient : Freud, Christophe Colomb des neurosciences » sont à cet égard passionnants, pour ce en quoi ils recomposent, et surtout décloisonnent, alliant l'observation clinique et les technologies les plus récentes, les notions de « conscience » et d'« inconscient », mais aussi par la façon dont il montre que les troubles qui relèvent de la psychiatrie ne sont pas, de façon étanche, bien différents de ce qui n'en relève pas, ou plutôt n'en relèverait pas. Il affirme ainsi que la conscience se définit non pas par le fonctionnement d'une ou l'autre région du cerveau mais par les relations entre différentes régions. Au micro de Mathilde Wagman, dans l'émission « Les Passeurs de science » sur France Culture le 16 juillet 2016, Naccache dit ainsi : « la biologie, c(e n)'est pas simplement un cerveau dans un crâne, c'est aussi dans un corps social, il y a une histoire. » Parmi tous ses travaux, ceux qui ont appelé l'attention sur Naccache sont certainement ceux réunis dans le livre cité ici, dans lequel il affirme que Freud croyait avoir découvert l'inconscient, mais a en fait découvert la conscience et sa capacité à produire des récits. Et c'est en cela qu'il associe Freud à Christophe Colomb qui croyait avoir découvert une nouvelle voie maritime vers les Indes mais qui avait découvert l'Amérique. Il faudrait interroger Naccache sur la « drogue du terroriste », mais je fais le pari qu'il pourrait dire qu'en inhibant certaines zones, et notamment la zone du jugement, la drogue facilite le passage à l'acte, mais qu'elle n'en est ni la source, ni la fin. C'est en quelque sorte une anesthésie locale d'une partie de la conscience morale au profit d'une autre morale, concurrente et transcendantale, eschatologique, qui s'est matérialisée en récit et qui, le moment du crime, doit prédominer sur la morale commune. C'est pour cela que les apprentis djihadistes, après leurs maîtres, font tant l'usage du mot « licite ». Il y aurait une autre loi qui rendrait licite ce qui dans le code pénal, et celui-ci transcrit en cela la morale sociale, est franchement illicite : le meurtre. Ce qui est en cause, ce n'est pas la drogue, même si ne pas en consommer épargnerait des vies, mais le récit préexistant à l'acte et fournisseur, le dealer d'actes terroristes, le fournisseur d'une interprétation belliqueuse et hégémoniste d'un récit ésotérique. C'est à ce récit qu'il faut s'intéresser et à son dealer. C'est à ce récit qu'il faut s'attaquer. Aucune bombe ne détruit les récits. Il n'y a que d'autres récits qui peuvent être utiles dans cette bataille. De la même façon que les bombes, l'émotion est tout autant inutile. Croire que l'émotion que le meurtre suscite peut combattre le meurtre, et même la tentation du meurtre, c'est bien mal penser.
Ouvrons un débat sur l'affaire Pannella
Pier Paolo Pasolini
6 juillet 1974, Corriere della sera

Péguy-Pasolini #14 - Diégèse 2016










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