Diégèse




mardi 12 avril 2016



2016
ce travail est commencé depuis 5947 jours (19 x 313 jours) et son auteur est en vie depuis 20400 jours (24 x 3 x 52 x 17 jours)
ce qui représente 29,1520% de la vie de l'auteur
hier



L'atelier du texte demain
avant-hier



#Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 -










Parlons plus simplement de ces grands hommes. Et moins durement. Leur politique est devenue un manège de chevaux de bois. Ils nous disent : Monsieur, vous avez changé, vous n'êtes plus à la même place. La preuve, c'est que vous n'êtes plus en face du même chevau de bois. – Pardon, monsieur le député, ce sont les chevaux de bois qui ont tourné. Il faut rendre d'ailleurs cette justice à ces malheureux qu'ils sont généralement très gentils avec nous, excepté la plupart de ceux qui sortant du personnel enseignant constituent le parti intellectuel. Tous les autres, les députés propres, les politiciens proprement dits, les parlementaires professionnels ont bien autre chose à faire que de s'occuper de nous, et surtout que de nous ennuyer ou de nous être désagréables : les concurrents, les compétiteurs, les électeurs, la réélection, les compétitions, les affaires, la vie. Ils aiment mieux nous laisser tranquilles. Et puis nous sommes si petits (en volume, en masse) pour eux. En masse politique et sociale. Ils ne nous aperçoivent même pas. Nous n'existons pas pour eux. Ne nous gonflons pas jusqu'à croire que nous existons pour eux, qu'ils nous voient. Ils nous méprisent trop pour nous haïr pour nous en vouloir de nous être infidèles, je veux dire de ce qu'ils nous sont infidèles, à nous et à notre mystique, leur mystique, la mystique qui nous est commune, censément, réellement commune, (à nous parce que nous nous en nourrissons et qu'inséparablement nous vivons pour elle, à eux parce qu'ils en profitent et qu'ils la parasitent), pour même nous (en) tenir rigueur.
Ce qui frappe dans le traitement politique et médiatique - c'est le même - qui est fait de la « Nuit debout », c'est la volonté à peine masquée, parfois affichée de faire rentrer le mouvement dans le récit commun, le récit politique et médiatique commun, et Péguy aurait ajouté : transformer leur mystique en leur politique. Il y a d'abord l'utilisation par les médias et par les élus parisiens de tous les bords du concept d'« espace public », qui serait « privatisé » par les manifestants, cette « privatisation » se matérialisant par l'usage de bâches et de stands divers, qui, dès lors, n'ayant pas fait l'objet d'autorisations, ni de redevances, devraient être enlevés, démontés, balayés. Juridiquement, c'est imparable. Politiquement, c'est grotesque, ravalant l'occupation de la place aux terrasses des cafés-restaurants. Il y a ensuite la question du bruit qui gêne les riverains, eux qui, dans le quartier, sont déjà exaspérés, tout à côté, par les jeunes qui se rassemblent près du canal, les réfugiés sous les ponts et les mendiants sur les grilles chauffantes du métro. Tous ces braves riverains votent, ou sont supposés voter, et pourraient s'en souvenir. Il suffit donc qu'un leader de droite lève le ton pour que tous les élus de gauche se précipitent pour déplorer les nuisances sonores. Il y a ensuite l'envie des médias et des politiques de trouver des leaders, de les identifier et de les caractériser comme interlocuteurs, puis de les inviter sur des plateaux de télévision, de leur offrir des interviews. Il s'agirait là aussi de « savoir les noms. » Une fois ce premier pas effectué, il ne sera pas très difficile de les « peopliser », de leur trouver des amours secrètes. Quel serait le leader idéal, médiatiquement idéal, politiquement idéal. D'abord, ce serait un homme. Il aurait « une gueule », entre celle de l'abbé Pierre et celles des syndicalistes de Goodyear, une barbe, bien sûr, et un galurin reconnaissable sur la tête. Une fois choisi, une fois montré, viendrait le dépeçage et les révélations sur sa personne. Ce serait le fils de quelqu'un de connu. Il habiterait dans le 16ème arrondissement de Paris et n'aurait pas payé l'impôt sur la fortune. Il se serait encanaillé à cause de la rencontre d'une jeune femme droguée et végétarienne devenue son égérie. Ce serait un récit formidable ! Le boa des médias aurait étouffé sa proie.
Charles Péguy - Notre Jeunesse  -
Je sais les noms - Péguy-Pasolini #08 - Diégèse 2016










12 avril







2009 2008 2007 2006 2005 2004 2003 2002 2001 2000




2015 2014
2013 2012 2011 2010