Quand nous
sollicitons, à notre tour
de bêtes, ils mettent même souvent une sorte de dilection, secrète, un
certain point d'honneur, d'un certain honneur, une coquetterie à nous
rendre service. Ils ont l'air de dire : Vous voyez bien. Nous faisons
ce métier-là. Nous savons très
bien ce qu'il vaut. Il faut bien gagner sa vie. Il faut bien faire une
carrière. Au moins rendez-nous cette justice que quand il le faut,
quand on le peut, quand l'occasion s'en présente, nous sommes encore
compétents, nous sommes encore capables de nous intéresser aux grands
intérêts spirituels, de les défendre. Ils ont raison. Et il faut bien
que nous leur fassions cette Justice. C'est une espèce de coquetterie
qu'ils ont, fort louable, une dilection, (un remords), une sorte de
garantie intérieure qu'ils prennent, un regret qui leur vient, comme
une réponse qu'ils font à un avertissement secret. Ceux qui sont
intraitables, ceux qui sont bien fermés, ce ne sont que les anciens
intellectuels devenus députés, notamment les anciens professeurs,
nommément les anciens normaliens. Ceux-là en veulent véritablement à la
culture. Ils ont contre elle une sorte de haine véritablement
démoniaque. Il faut d'ailleurs bien faire attention. Quand on parle de
parti intellectuel et de l'envahissement de la domination du primaire
il faut prendre garde. Il ne suffit pas de dire primaire, primaire. Il
faut bien voir aujourd'hui que le primaire n'est pas tout, (tout
entier), dans le primaire. Il s'en faut. Il n'est point tant dans le
primaire. Il s'en faut, et ce n'est même pas là qu'il est le plus. Il
faut prendre garde que c'est sans aucun doute dans le supérieur
aujourd'hui qu'il y a le plus de primaire, de contamination primaire,
de domination primaire.
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De
certains hommes politiques - car il n'y a que des exemples d'hommes
qui me viennent à l'esprit - on dit qu'ils sont insubmersibles, et l'on
va jusqu'à louer cette insubmersibilité-là. Dans l'Italie de
l'après-guerre, Amintore Fanfani en était le parfait exemple. En
France, François Mitterrand en est aussi un exemple, en est aussi le
frappant exemple. Cette insubmersibilité frappe les esprits et excite
les commentateurs. Elle inspire tel ou tel, parfois couvert d'affaires
judiciaires, qui continue à dire, à croire et à dire qu'en politique
rien n'est jamais fini. Mais il y a les véritables insubmersibilités et
les factices, celles qui sont uniquement portées par les médias et
l'argent de ceux qui possèdent ces médias. Il nous est parfois présenté
comme insubmersibles des zombies politiques, morts et bien morts, et
qui commencent même à sentir. Si l'on revient à François Mitterrand,
puisqu'il est mort et qu'il ne prétend pas ressusciter, on peut
s'interroger sur la capacité qu'il a eue à demeurer sur le devant de la
scène politique dans des circonstances politiques aussi différentes les
unes des autres. En 1947, quand il devient le plus jeune ministre de
France, Édith Piaf chante La Vie en
rose. Quand,
en 1995, il quittera la vie politique, le paysage musical sera bien
différent. Mais François Mitterrand avait su demeurer pendant toutes
ces années contemporain de ses contemporains et c'est cette
contemporanéité qui faisait son insubmersibilité. Il avait su chevaucher le temps,
et les vagues du temps, embrasser les grands
cycles, en prendre acte et c'est d'être ainsi parfaitement synchrone
avec l'époque qui lui a garanti les succès politiques les plus
improbables.
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