Pour moi j'ai
la conviction qu'il se distribue beaucoup plus de véritable culture
aujourd'hui même
encore, dans la plupart des écoles primaires, dans la plupart des
écoles des villages de France, entre les carrés de vignes, à l'ombre
des platanes et des marronniers, qu'il ne s'en distribue entre les
quatre murs de la Sorbonne. Voici quelle est à peu près aujourd'hui,
dans la réalité, la hiérarchie des trois enseignements : un très grand
nombre d'instituteurs encore, même radicaux et radicaux-socialistes,
même francs-maçons, même libre-penseurs professionnels, pour toutes
sortes de raisons de situation et de race continuent encore d'exercer,
généralement à leur insu, dans les écoles des provinces et même des
villes un certain ministère de la culture. Ils sont encore, souvent
malgré eux, des ministres, des maîtres de la distribution de la
culture. Ils exercent cet office. L'enseignement secondaire donne un
admirable exemple, fait un admirable effort pour maintenir, pour
(sauve)garder, pour défendre contre l'envahissement de la barbarie
cette culture antique, cette culture classique dont il avait le dépôt,
dont il garde envers et contre tout la tradition.
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Si l'on
aborde ici la question du contemporain, ou même
seulement celle
de la contemporanéité, il est préférable d'emblée de se référer à
Giorgio Agamben et à son ouvrage : « Qu'est-ce que le
contemporain ? », la
difficulté étant qu'il faudrait pouvoir le citer en entier. On pourra
suivre Agamben quand il affirme que « Celui qui appartient
véritablement à son temps, le vrai contemporain,
est celui qui ne coïncide pas parfaitement avec lui ni n’adhère à ses
prétentions, et ne se définit, en ce sens, comme inactuel ; mais
précisément pour cette raison, précisément par cet écart et cet
anachronisme, il est plus apte que les autres à percevoir et à saisir
son temps. » Alain Finkielkraut, en 1992, avant d'être devenu sa
propre
caricature, a défini Péguy comme le « Mécontemporain ». C'était bien
vu. Le terme convient d'ailleurs aussi à Pasolini. Ainsi, le personnel
politique
ne serait pas de son temps car, il voudrait trop être de son temps, et
c'est cette impossibilité ontologique qui le rendrait fou. En effet,
l'accélération des
médias et leur mondialisation ont introduit dans le débat politique, à
coup, notamment, de sentences de moins de 140 caractères, une maladie
aigüe, qui
est une maladie du temps, et que l'on pourrait donc nommer une «
chronite ». Le personnel politique est atteint de
« chronite ». On
s'attachera ici à en décrire quelques symptômes. La conséquence en est
l'incapacité partielle mais le plus souvent totale à saisir le
contemporain.
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