C'est un
spectacle
admirable que (celui que) donnent tant de professeurs de l'enseignement
secondaire, pauvres, petites gens, petits fonctionnaires, exposés à
tout, sacrifiant tout, luttant contre tout, résistant à tout pour
défendre leurs classes. Luttant contre tous les pouvoirs, les autorités
temporelles, les puissances constituées. Contre les familles, ces
électeurs, contre l'opinion ; contre le proviseur, qui suit les
familles, qui suivent l'opinion ; contre les parents des élèves ;
contre le proviseur, le censeur, l'inspecteur d'Académie, le recteur de
l'Académie,
l'inspecteur général, le directeur de l'enseignement secondaire, le
ministre, les députés, toute la machine, toute la hiérarchie, contre
les hommes politiques, contre leur avenir, contre leur carrière, contre
leur (propre) avancement ; littéralement contre leur pain. Contre leurs
chefs, contre leurs maîtres, contre l'administration, la grande
Administration, contre leurs supérieurs hiérarchiques, contre leurs
défenseurs naturels, contre ceux qui devraient naturellement les
défendre. Et qui les abandonnent au contraire. Quand ils ne les
trahissent pas. Contre tous leurs propres intérêts. Contre tout le
gouvernement, notamment contre le plus redoutable de tous, contre le
gouvernement de l'opinion, qui partout est toute moderne. Pourquoi. Par
une indestructible probité. Par une indestructible piété. Par un
invincible, un insurmontable attachement de race et de liberté à leur
métier, à leur office, à leur ministère, à leur vieille vertu, à leur
fonction sociale, à un vieux civisme classique et français. Par un
inébranlable attachement à la vieille culture, qui en effet était la
vieille vertu, qui était tout un avec la vieille vertu, par une
continuation, par une sorte d'héroïque attachement au vieux métier, au
vieux pays, au vieux lycée. Pour quoi. Pour tâcher d'en sauver un peu.
C'est par eux, par un certain nombre de maîtres de l'enseignement
secondaire, par un assez grand nombre encore heureusement, que toute
culture n'a point encore disparu de ce pays. |
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Et, ce que
l'on constate depuis quelques années, c'est une
contagion de cette « chronite »
à un large spectre de la population, au point où les chercheurs
commencent à se demander si elle ne provoque pas des dommages
neurologiques. Il n'y a certes pas assez de recul pour mesurer si ces
dommages
peuvent régresser par la pratique de la continence communicationnelle.
En effet, il est admis que pendant l'adolescence l'être humain
ressent le besoin irrépressible d'échanger avec des congénères de la
même classe d'âge, le plus souvent du même sexe, des messages à toute
heure du jour et de la nuit commentant son environnement immédiat. Que
la chemise du professeur sorte de son pantalon et c'est une
épopée ! Un
couple se forme dans la classe et c'est une nouvelle Recherche du temps perdu ! Le
jeune humain va ainsi relater, et parfois-même dans un journal
intime, tout ce qu'il ou elle fait, ce qu'il ou elle a mangé, ce qu'il
ou elle a pensé, ses amours et ses détestations, qui ne peuvent être
les unes et les autres qu'éternelles. Ses jugements surtout, sont
définitifs et sans appel. Cette affection bénigne de la communication
inter-humaine, qui peut parfois s'étendre aux échanges avec des animaux
domestiques tels les hamsters et les chats, s'éteignait auparavant aux
premières années de l'âge adulte. Il est plausible qu'elle provienne
des hormones, et notamment des hormones sexuelles. C'est donc
particulièrement curieux, et assez
inquiétant, que des adultes, parfois fort avancés en âge, des adultes
si soucieux de leur respectabilité et d'être pris au sérieux, soient
soudainement atteints du même
syndrome. Et les voilà commentant, annonçant qu'ils ont écouté de la
musique ou visité un château ou regardé la télévision, tout cela en
moins de 140 caractères.
Et le personnel politique n'y échappe pas. Au contraire, il contribue à
forger les
tendances. Il y a cependant un avantage secondaire à cette
émission
effrénée de messages de moins de 140 caractères, c'est de révéler la
nature véritable de ce que l'on nomme le débat politique et qui n'est
le plus souvent qu'une collecte d'interjections de cours de récréation
au milieu de banalités affligeantes. |