Mais
l'intérêt de ce slogan n'est pas purement négatif, il ne souligne
pas uniquement la nouvelle modalité selon laquelle l'Église est
brutalement remise à la place qu'elle tient vraiment dans la vie ;
il
est aussi positif, parce qu'il met en lumière la possibilité imprévue
de donner un sens idéologique, et donc de rendre expressif, le langage
du slogan et, probablement, celui du monde technologique. L'esprit
blasphémateur de ce slogan ne se borne pas à être apodictique, ne se
limite pas à une pure observation qui fixe l'expressivité en pure
communication ; c'est quelque chose de plus qu'une trouvaille sans
préjugés (dont le modèle serait l'anglo-saxon « Jésus-Christ
Superstar ») : tout au contraire, il se prête à une
interprétation qui ne peut
être qu'infinie ; il conserve donc dans le slogan les caractères
idéologiques et esthétiques de l'expressivité. Cela signifie
— peut-être — que le futur, qui à nous — religieux et
humanistes —
apparaît comme fixation et mort, sera, d'une façon nouvelle,
histoire ;
que l'exigence de communicativité pure de la production sera de quelque
façon contredite. Car le slogan de ces jeans ne se contente pas de
souligner la nécessité de la consommation ; il se présente tout à
fait
comme la Némésis — même inconsciente — qui punit l'Église
pour son
pacte avec le diable. Cette fois, le rédacteur de l'Osservatore est bel
et bien sans défense et impuissant : même si d'aventure la
magistrature
et les flics, mis soudain chrétiennement en mouvement, réussissent à
arracher des murs de notre pays cette affiche et son slogan, il s'agit
d'ores et déjà d'un fait irréversible, encore que peut-être anticipé.
Il est porteur de l'esprit nouveau de la seconde révolution
industrielle et de la mutation des valeurs qui en découle. |
Ainsi,
entre les photographies de la place Tahrir de 2011 et la
photographie dite « du soutien-gorge bleu » de 2013, il y a comme un
basculement. En 2011, les femmes de la place Tahrir sont photographiées
dans une esthétique de la libération, c'est à dire une esthétique
révolutionnaire qui renvoie à la peinture académique française du
dix-neuvième siècle, puis à la peinture et à la photographie
soviétique. La photographie de 2013 est polysémique, mais ce qu'elle
dit aussi, c'est que la
consommation est sous la burqa, que Barbie est là, aussi, assumant une forme de
totalité qui est un totalitarisme.
Les slogans de la marque de jeans « Jesus », en 1973, plagiaient les commandements
bibliques. Plus de quarante ans plus tard, la consommation comme
nouvelle idole mondiale semble ajouter un onzième commandement, fatal,
qui serait : « Tu ne m'échapperas point ».
Au moment de refermer ce texte, je me souviens de ce que la femme de
l'un des terroristes des attentats de Paris de novembre 2015 racontait
à l'une de ses amies pour vanter sa vie à Mossoul, en Irak. Elle y
décrivait des objets de consommation courante, un confort « moderne ».
Que voulait-elle dire vraiment ? Peut-être qu'il n'y avait rien
d'exotique à vivre à Mossoul, que cela ressemblait à la vie dans une
banlieue de n'importe quelle ville européenne, que, même en Irak, la
consommation ne l'avait pas quittée. Et j'imagine cette femme, cette
jeune femme, tout aussi endoctrinée que son compagnon kamikaze,
attendant toute la journée sur un mauvais canapé dans un appartement
poussiéreux, gardant en souvenir, sous son voile intégral, un
soutien-gorge bleu, acheté dans le souk, dans une boucle terrible
qu'elle ne perçoit plus. |