Diégèse




dimanche 17 janvier 2016



2016
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#Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 -










Et nous sommes arrivés à 1972.
Au mois de septembre, j'étais à Ispahan, au cœur de la Perse : pays sous-développé, comme on dit horriblement, mais, comme on dit tout aussi horriblement, en plein essor.
Sur l'Ispahan d'il y a dix ans - l'une des plus belles villes du monde, sinon la plus belle - est née une Ispahan nouvelle, moderne et très laide. Dans ses rues, vers le soir, on peut voir, travaillant ou se promenant, les mêmes jeunes filles qu'il y a dix ans en Italie : des enfants dignes et humbles, avec de belles nuques et de beaux visages limpides sous d'innocents et fiers toupets. Et voilà qu'un soir où je marchais dans la rue principale de la ville, je vis, parmi tous ces gosses de jadis, très beaux et pleins de l'antique dignité humaine, deux êtres monstrueux : ce n'était pas vraiment des chevelus, mais leurs cheveux étaient coupés à l'européenne, longs derrière, courts sur le front, rendus filasses par le peigne et plaqués artificiellement autour du visage par deux mèches hideuses au-dessus des oreilles.
Que disaient donc leurs cheveux ? ils disaient : « Nous ne faisons pas partie de ces crève-la faim, de ces misérables sous-développés qui en sont restés à l'âge des barbares ! Nous, nous sommes employés de banque, étudiants, fils de gens enrichis dans les sociétés pétrolières ; nous sommes allés en Europe, nous avons lu ! Nous sommes des bourgeois : et nos cheveux longs témoignent de notre modernité internationale de privilégiés ! »
Donc ces cheveux longs renvoyaient à des « choses » de droite.
Le cycle s'est accompli ; la sous-culture du pouvoir a absorbé la sous culture de l'opposition et l'a faite sienne : avec une diabolique habileté, elle en a patiemment fait une mode qui, si on ne peut pas la déclarer fasciste au sens propre du terme, est pourtant bel et bien de pure « extrême droite ».


La démonstration est ainsi faite : la barbe des fondamentalistes musulmans sunnites est, en première intention, la marque théologique de la volonté d'échapper à l'impureté et à la corruption du monde d'ici-bas, et c'est une marque politique, qui est aussi sociale, celle d'échapper à l'occidentalisation, c'est à dire d'échapper à la société de consommation et à ses désirs artificiels. La barbe du hipster marque, elle, le souhait de revenir vers les mouvements hédonistes des années 1970, vers l'époque des « chevelus » de Pasolini, d'adopter un mode de vie participatif et parfois décroissant. L'une et l'autre barbe manifestent donc une volonté de rupture avec l'ordre économique dominant. Mais, l'une et l'autre barbe sont rattrapées par cette même société de consommation, et l'objet symbolique de cette récupération, serait, je - m'amuse à le croire - cette tondeuse vue pour la première fois en Aveyron. Il n'y a d'ailleurs pas que la tondeuse. Il y a tous les objets de consommation et il faut, pour s'en convaincre, aller sur les sites marchands spécialisés pour musulmans fondamentalistes, qui utilisent tous les ressorts du marketing pour vendre des produits adaptés à l'observance la plus rigoureuse. Les religions sont en effet un rêve pour les marchands, quand elles veulent régler les moindres détails de la vie des femmes et des hommes, car, il est alors facile de produire et de diffuser en grand nombre des produits adéquats.
Pour autant, bien sûr, l'une et l'autre barbe, bien que semblables, sont différentes. Elles ne disent pas exactement la même chose. C'est peut-être qu'elles ne sont pas au même point du cycle évoqué par Pasolini, qui, dans ces mêmes années 1970, montre comment un signe sympathique, les cheveux longs, disant des « choses » plutôt de gauche, finit par dire, selon lui, des « choses » plutôt de droite, sinon d'extrême droite. Bien sûr, Pasolini ne pouvait pas savoir en 1973 que les barbes des ayatollahs finiraient quelques années plus tard par avoir raison des cheveux longs et surtout des cheveux des femmes. Il est évident désormais que la barbe fondamentaliste est une barbe devenue fasciste, quand la barbe hipster demeure une barbe plutôt de gauche, mais d'une gauche le plus souvent sans politique. Ce qui est certain, c'est que ni l'une ni l'autre barbe ne peuvent avoir la prétention d'être une arme contre le capitalisme.
Pier Paolo Pasolini - Écrits corsaires -
Les Années barbues - Diégèse 2016 Péguy-Pasolini #01










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Mais l'esprit du jeu avait fui.


... cette violence, qui est une violence économique, qui est toute la violence faite aux pauvres.