Nous sommes
extrêmement mal situés. Nous sommes en effet historiquement
situés à un point critique, à un point de discernement, à ce point de
discrimination. Nous sommes situés juste entre les générations qui ont
la mystique républicaine et celles qui ne l'ont pas, entre celles qui
l'ont encore et celles qui ne l'ont plus. Alors personne ne veut nous
croire. Des deux côtés. Neutri, ni les uns ni les autres des deux. Les
vieux républicains ne veulent pas croire qu'il n'y a plus des jeunes
républicains. Les jeunes gens ne veulent pas croire qu'il y a eu des
vieux républicains. Nous sommes entre les deux. Nul ne veut donc nous
croire. Ni les uns ni les autres. Pour tous les deux nous avons tort.
Quand nous disons aux vieux républicains : Faites attention, après nous
il n'y a personne, ils haussent les épaules. Ils croient qu'il y en
aura toujours. Et quand nous disons aux jeunes gens : faites attention,
ne parlez point si légèrement de la République, elle n'a pas toujours
été un amas de politiciens, elle a derrière elle une mystique, elle a
en elle une mystique, elle a derrière elle tout un passé de gloire,
tout un passé d'honneur, et ce qui est peut-être plus important encore,
plus près de l'essence, tout un passé de race, d'héroïsme, peut-être de
sainteté, quand nous disons cela aux jeunes gens, ils nous méprisent
doucement et déjà nous traiteraient de vieilles barbes. Ils nous
prendraient pour des maniaques. |
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J'ai toujours
éprouvé une difficulté à comprendre, à
appréhender, et, dès lors, à utiliser la notion de
« génération ». Je
me souviens très bien que, dans l'enfance, je demandais aux enseignants
de bien vouloir me dire combien d'années durait une génération. Ce
n'est que dans le dictionnaire de l'Académie française de 1986 que j'ai
trouvé qu'il s'agissait dans cet emploi d'une métonymie, quand les
éditions de 1932 et de 1835 n'en disaient rien, mais évoquaient une
période de trente années. Péguy, dans Notre
Jeunesse,
veut croire qu'il y a des générations intermédiaires, des générations
de passage. Dès l'enfance, je soupçonnais que mes camarades et moi, nés
au début des années 1960, serions de ces générations tampons qui n'ont
d'autre choix que d'amortir, douloureusement et parfois cruellement, le
choc titanesque des époques. Qu'avons-nous à envier aux générations
précédentes et qu'avons-nous à défendre de ce qu'ont connu, promu,
sauvé les générations précédentes ? On répondrait facilement,
unanimement, automatiquement : la liberté. Mais la liberté, c'est
plutôt
la génération qui précédait la génération précédente qui l'a défendue
et qui l'a sauvée.
Mais alors quoi ? Eh bien, la liberté de mœurs. Le principal gain,
la
principale bataille gagnée par ces chevelus
que
brocardait Pasolini, c'est la liberté sexuelle et la liberté de mœurs
et, au delà de toute autre liberté, c'est celle-ci qui est désormais
menacée, visée, atteinte, blessée. |