C'est pour
cela que quand je lisais en épreuves le cahier de notre
collaborateur je voyais venir ce malentendu, je voyais prendre corps ce
contresens. Je voyais poindre ce double sens et la confusion de ce
double sens. C'est pour cela que j'avais une sourde révolte, sourde
naturellement parce que je ne suis pas éloquent. Je ronchonnais, je
marmonnais, je marmottais, tout en lisant mes épreuves, et plus je
trouvais que le cahier est beau, plus je trouvais qu'il est bon, plus
je me révoltais. Parce que plus je pensais qu'il serait écouté. Plus je
pensais qu'il porterait. C'est pourquoi ce que je veux contester à
notre collaborateur, c'est la proportion, c'est la quotité même, la
quotité respective, dans l'ensemble du dreyfusisme et du parti
dreyfusiste, de ceux que son cahier habille, et de ceux qu'il n'habille
pas. De ceux à qui son cahier convient, et de ceux à qui il ne convient
pas. Il a bien pensé lui-même, il a fait une réserve, il a fait une
distinction utile en marquant bien qu'il fallait mettre à part ceux des
dreyfusistes qui n'étaient point entrés dans les démagogies politiques,
notamment dans la démagogie combiste. Mais où je conteste à notre
collaborateur, c'est quand il paraît admettre que nous ne représentons
pas le dreyfusisme et que les autres le représentent, quand il nous
classe et nous met à part comme une exception, comme une sorte
d'exception, quand toute son attention se porte sur les autres, sur
ceux que nous sommes autorisés à nommer les politiciens. |
|
Le
profit comme valeur
ultime de l'organisation humaine est assez récent et il ne s'agit pas
là de libéralisme. Si du libéralisme, on ne
retient que la seule économie de marché exemptée de toute régulation,
on fait alors un contresens
historique, un contresens philosophique et
un contresens économique. Même Adam Smith prônait le contrôle de
« la main invisible », et Keynes, l'économiste de la
« redistribution » était un libéral. Lutter contre le
libéralisme sans faire
davantage de distinction, ce serait aussi lutter contre les autres
formes
de libertés. Et, ce qui est en cause, ce ne sont pas les libertés, même
celle de commercer, mais un système qui permet et encourage
l'enrichissement de
quelques-uns seulement au détriment du plus grand nombre. Il
s'agit donc moins de fustiger le libéralisme en tant que doctrine
économique, que de combattre résolument un libéralisme qui n'aurait
comme fin le seul profit,
et qui ne serait dès lors plus un libéralisme, mais une version
dégradée de celui-ci. C'est pourquoi je n'utiliserai plus,
lorsque, après Pasolini, je voudrai fustiger ce nouveau libéralisme
mondial sans vergogne et sans autre doctrine que le profit, le bête et
méchant profit, le terme de « libéralisme », mais celui de
« lucre »,
qui me semble mieux adapté, et je suivrai Pasolini quand il affirme
qu'il s'agit bien là d'un nouveau fascisme. Quand je lis
que l'accession à la propriété des jeunes, en quarante-cinq ans, en
France, a été divisée par deux, quand je lis qu'un enfant sur sept est
concerné par les aides sociales en Allemagne, et quand je lis tant
d'autres choses encore, partout, tous les jours, je
me dis que
c'est le
profit qui est en cause, pas le libéralisme et que l'ennemi public
c'est le lucre. |