Nos maîtres
de l'école primaire nous avaient masqué la mystique
de l'ancienne France, la mystique de l'ancien régime, ils nous avaient
masqué dix siècles de l'ancienne France. Nos adversaires d'aujourd'hui
nous veulent masquer cette mystique d'ancien régime, cette mystique de
l'ancienne France que fut la mystique républicaine. Et nommément la
mystique révolutionnaire. Car le débat n'est pas, comme on le dit,
entre l'Ancien Régime et la Révolution. L'Ancien Régime était un régime
de l'ancienne France. La Révolution est éminemment une opération de
l'ancienne France, La date discriminante n'est pas le premier janvier
1789, entre minuit et minuit une. La date discriminante est située aux
environs de 1881. Ici encore les républicains et les royalistes, les
gouvernements, les gouvernants républicains et les théoriciens
royalistes font le même raisonnement, un raisonnement en deux,
complémentaires, deux raisonnements conjugués, complémentaires,
conjugués. Couplés ; géminés. Nos bons maîtres de l'école primaire
nous
disaient sensiblement : jusqu'au premier janvier 1789 (heure de Paris)
notre pauvre France était un abîme de ténèbres et d'ignorance, de
misères les plus effrayantes, des barbaries les plus grossières, (enfin
ils faisaient leur leçon), et vous ne pouvez pas même vous en faire une
idée ; le premier janvier 1789 on installa partout la lumière
électrique. Nos bons adversaires de l'École d'en face nous disent
presque : jusqu'au premier janvier 1789 brillait le soleil
naturel ;
depuis le premier janvier 1789 nous ne sommes plus qu'au régime de la
lumière électrique. Les uns et les autres exagèrent. |
|
Chaque
femme politique, chaque homme politique, quel que soit son parti,
quelles que soient ses idées, quels que soient son programme et sa
volonté, a la
prétention de s'adresser au peuple et de parler du peuple. Il fait
usage, elle fait usage, pour s'exprimer d'une
représentation collective du peuple, tout au moins d'une représentation
supposée collectivement partagée du peuple. Cette représentation est
fournie par le grand bazar des
représentations collectives que sont les médias de masse, en
particulier, évidemment, ceux qui se vantent, ceux qui font profession,
d'être « populaires. » Patiemment, obstinément, ils informent
de ce qu'est le peuple, de ce
qu'il
aime et de ce qu'il doit aimer, de ce qu'il craint et de ce qu'il doit
craindre. Cette grande machine à récits, à images, à récits et à
images agencés, alimente la représentation collective du peuple. C'est
sur
cette représentation folklorique du peuple que prospèrent les partis et
les expressions populistes. Sans cette représentation, sans le maintien
en vie artificielle de cette représentation surannée, il n'y aurait pas
d'expression populiste possible. Elle serait parfaitement inaudible. On
peut dénoncer aussi fort que possible le populisme, cela ne sert à rien
si l'on ne considère pas le système général qui rend possible le
populisme, système constitué des médias, de l'institution, de
l'expression du gouvernement, de l'expression de l'opposition, des
dépêches, des informations, des fictions, des images choc, des people,
des gangsters et des faits divers. C'est de ce bric-à-brac que naît la
représentation que l'on se fait du peuple. Bric-à-brac, certes,
mais
bric-à-brac polarisé, continument polarisé, évidemment polarisé par la
consommation. J'appellerai désormais « popularisme » ce
bric-à-brac-là. |