Diégèse 2016



#Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 -


consolidation du 9 mars
Péguy-Pasolini - #04 - Populaire - populisme - popularisme
Popularisme - Péguy-Pasolini - #04 -


consolidation du 12 mars


L'Invention du popularisme - Péguy-Pasolini - #04 -



5 mars
repris le
9 mars et le 12 mars

En 2012, le 15 avril, se tenaient en même temps deux rassemblements politiques des deux principaux candidats aux élections présidentielles, dont le premier tour allait se tenir une semaine plus tard. L'un des candidats parlait place de la Concorde et l'autre candidat parlait à Vincennes. L'un et l'autre étaient sur l'axe historique parisien, matérialisé par la ligne n°1 du métro, et aussi la ligne A du RER, qui va jusqu'à Saint-Germain en Laye en passant par le quartier d'affaires de La Défense. Je n'étais ce jour-là ni place de la Concorde, ni à Vincennes, mais je participais, par hasard, au troisième rassemblement populaire sur ce même axe prestigieux, dans le centre commercial de La Défense : les Quatre-Temps. Il n'y avait pas de discours. Il n'y avait pas de candidat.
Selon les organisateurs, chacun des deux meetings politiques a rassemblé ce jour-là plus de cent mille auditeurs. En 2012, le centre commercial de la Défense a été fréquenté par plus de quarante-cinq millions de personnes. Il accueillait donc certainement, arithmétiquement, ce weekend d'avril, plus de cent mille personnes à cette heure d'affluence du début de l'après-midi. Il n'est donc pas exagéré de comparer les trois rassemblements populaires. Mais, quand j'ai visionné le soir des images des deux meetings et que je les ai comparées à celles que j'avais vues à La Défense, j'ai constaté que le peuple rassemblé à Vincennes ressemblait trait pour trait au peuple rassemblé à la Concorde, ne se distinguant l'un de l'autre que par l'identité des notoriétés venues en soutien et filmées en gros plan, de temps en temps. En revanche, ce peuple à l'écoute des deux candidats, ce peuple capable de se mobiliser pour faire masse sur les images des journaux télévisés du soir, ce peuple de militants jouant somme toute le rôle de figurants, ne ressemblait pas beaucoup au peuple du troisième rassemblement dans le centre commercial, celui sans discours, abandonné aux harangues des annonces publicitaires, celui sans candidat, celui au candidat absent.
9 et 12 mars

Je fais le pari qu'au même moment, dans tous les centres commerciaux de France ouverts le dimanche, le même peuple se rassemblait, le même peuple populaire, avec la même culture populaire, mû par cette même culture populaire, dont je ne veux pas croire qu'elle soit seulement une culture de consommation guidée par la publicité. Mais, je fais aussi le pari que ce n'était pas cette culture populaire, non décrite, non pensée, qui animait les discours politiques de la Concorde et de Vincennes. Faut-il en faire le reproche aux candidats ? Pas vraiment. Ils n'étaient pas en situation de s'adresser vraiment à ce peuple, quand bien même ils l'auraient voulu. De puissantes forces, culturelles elles-aussi, les médias principalement, avaient de longue date créé une situation langagière qui devait leur interdire de s'adresser au peuple. Sans doute pour que ce même peuple puisse continuer sans encombre à fréquenter le dimanche les mêmes centres commerciaux.
10 mars

Chaque femme politique, chaque homme politique, quel que soit son parti, quelles que soient ses idées, quels que soient son programme et sa volonté, a la prétention de s'adresser au peuple et de parler du peuple. Il fait usage, elle fait usage, pour s'exprimer, d'une représentation collective du peuple, tout au moins d'une représentation supposée collectivement partagée du peuple. Cette représentation est fournie par le grand bazar des représentations collectives constituées par les médias de masse, en particulier, évidemment, ceux qui se vantent, ceux qui font profession, d'être« populaires ». Patiemment, obstinément, les médias informent de ce qu'est le peuple, de ce qu'il aime et de ce qu'il doit aimer, de ce qu'il craint et de ce qu'il doit craindre. Cette grande machine à récits, à images, à récits et à images agencés, alimente la représentation collective du peuple. C'est sur cette représentation folklorique du peuple que prospèrent les partis et les expressions populistes. Sans cette représentation, sans le maintien en vie artificielle de cette représentation surannée, il n'y aurait pas d'expression populiste possible. Elle serait parfaitement inaudible. On peut dénoncer aussi fort que possible le populisme, cela ne sert à rien si l'on ne considère pas le système général qui rend possible le populisme, système constitué des médias, de l'institution, de l'expression du gouvernement, de l'expression de l'opposition, des dépêches, des informations, des fictions, des images choc, des people, des gangsters et des faits divers. C'est de ce bric-à-brac que naît la représentation que l'on se fait du peuple. Bric-à-brac, certes, mais bric-à-brac polarisé, continument polarisé, évidemment polarisé par la consommation. J'appellerai désormais « popularisme » ce bric-à-brac-là.
29 février
Dans un article publié dans le Corriere della sera en 1973, Pasolini parle de la banlieue, c'est à dire qu'il parle de la banlieue des grandes villes italiennes du début des années 1970, c'est à dire qu'il parle de quelque chose qui m'est aujourd'hui aussi inaccessible qu'Ostie sous le fascisme ou que les faubourgs de Milan au début de l'ère industrielle. Pasolini parle de la banlieue et du supposé manque de ce que l'on nommerait, nous, dans la France de 2016, « équipements culturels », manque qu'il attribue à des temps d'« austerity », mot qu'il écrit en anglais, sans doute pour mieux marquer son origine idéologique. Là encore, je ne sais rien de ce qu'était ou de ce que n'était pas un équipement culturel des années 1970 dans la banlieue de Rome. Et très largement, je ne sais pas ce qu'il est ou ce qu'il n'est pas aujourd'hui. En revanche, il est plus facile pour moi de me figurer la banlieue parisienne de ces mêmes années 1970 et de citer le nom de quelques théâtres emblématiques de la « décentralisation ». Mais il ne s'agira pas d'aborder ici le sujet de l'action artistique et culturelle en banlieue, mais de tenter plutôt d'exprimer ma perplexité sur la forme de tétanie qui prend la classe dominante dès lors qu'il s'agit de considérer la culture populaire, c'est à dire la culture du peuple. Dans un article publié dans le Corriere della sera en 1973, Pasolini parle de la banlieue, c'est à dire qu'il parle de la banlieue des grandes villes italiennes du début des années 1970, c'est à dire qu'il parle de quelque chose qui m'est aujourd'hui aussi inaccessible qu'Ostie sous le fascisme ou que les faubourgs de Milan au début de l'ère industrielle. Pasolini parle de la banlieue et du supposé manque de ce que l'on nommerait, nous, dans la France de 2016, « équipements culturels », manque qu'il attribue à des temps d'« austerity », mot qu'il écrit en anglais, sans doute pour mieux marquer son origine idéologique. Là encore, je ne sais rien de ce qu'était ou de ce que n'était pas un équipement culturel des années 1970 dans la banlieue de Rome. Et très largement, je ne sais pas ce qu'il est ou ce qu'il n'est pas aujourd'hui. En revanche, il est plus facile pour moi de me figurer la banlieue parisienne de ces mêmes années 1970 et de citer le nom de quelques théâtres emblématiques de la « décentralisation ». Mais il ne s'agira pas d'aborder ici le sujet de l'action artistique et culturelle en banlieue, mais de tenter plutôt d'exprimer ma perplexité sur la forme de tétanie qui prend la classe dominante dès lors qu'il s'agit de considérer la culture populaire, c'est à dire la culture du peuple.
Dans ce même article de 1973, Pasolini qualifiait le modèle culturel proposé par la télévision d' « hédonisme de masse » et concluait que ce modèle proposé étant, pour le plus grand nombre, en grande partie inaccessible, « frustration ou carrément désir névrotique (étaient) désormais des états d'âme collectifs ». Le constat vaut toujours, à ceci près que, désormais, cette frustration et ce désir névrotique sont eux aussi recyclés par les médias et intégrés dans le modèle culturel proposé. Mais, il est certain, que le moteur de ce modèle culturel demeure le même : la consommation. En revanche, l'ennemi n'est pas ou n'est plus vraiment la religion, comme le croyait Pasolini pour l'Italie des années 1970, mais tout ce qui peut s'opposer dans la quête humaine à la consommation. Ainsi, on peut aussi penser que le fondamentalisme violent islamique est désigné comme ennemi, non pas, seulement, à cause de sa violence, mais aussi, mais surtout, parce que sapant le moral des consommateurs : il peut coûter des points de croissance.
Les médias interactifs, encore appelés réseaux sociaux, ont rendu ce popularisme, défini donc comme une représentation collective surannée du peuple en tant que consommateur, encore plus sophistiqué. Constatant que, malgré tout, le peuple était capable d'émettre de grandes aspirations altruistes, de grandes émotions collectives, elles ont été intégrées, elles aussi, au modèle... et traduites en algorithmes, ces algorithmes qui choisissent pour vous la meilleure publicité. Peu à peu l'humanitaire est remplacé par le « crowd-funding ».






consolidation du 10 mars



1er mars
« culture populaire » ! Ce n'est jamais qu'au sein des classes dominantes que le terme est employé. D'emblée, il fleure la nostalgie, celle d'un temps où le parti communiste français était un parti de masse, qui définissait pour le reste de la société, et même pour les autres partis, et même pour les partis de droite, ce qu'était le « populo ». L'évanouissement du PCF a comme effacé la représentation qu'avait le corps social de ce que pouvait être le peuple. Mais cette représentation était déjà passéiste. Même au beau milieu des années 1970, même lors de la conquête du pouvoir avec les socialistes en 1981, l'image de ce qu'était le peuple, l'iconographie populaire diffusée par les « forces de progrès », était une image du passé, une iconographie du passé, forgée cinquante ans plus tôt pour le Front populaire. Mais, cette iconographie, cette imagerie, cet imaginaire, tout cela était assez largement issu d'une iconographie qui datait de près d'un siècle, créée en plein dix-neuvième siècle, pendant le Printemps des peuples de 1848, elle-même largement fondée sur l'imagerie révolutionnaire de la fin du dix-huitième siècle. Ainsi, souvent, qui  évoque la « culture populaire » active une représentation du « peuple » qui date de plus de deux cents ans. La révolte de 1968 peut d'ailleurs aussi s'expliquer par la volonté ardente de la jeunesse, d'une partie de la jeunesse, de s'échapper du carcan de l'imagerie « populariste ». L'affrontement des gauchistes chevelus et des syndicalistes à casquettes était aussi un affrontement esthétique. Ainsi, depuis lors, régulièrement, par différentes manifestations, pacifiques ou non, le peuple signifie au pouvoir, aux pouvoirs, qu'il n'est pas ce que ces pouvoirs croient qu'il est. « culture populaire » ! Ce n'est d'ailleurs jamais qu'au sein des classes dominantes que le terme est employé. Jamais le peuple ne dit de lui-même qu'il a une culture, ni qu'elle est populaire. D'emblée, cela fleure la nostalgie, celle d'un temps où le parti communiste français était un parti de masse, qui définissait pour le reste de la société, et même pour les autres partis, et même pour les partis de droite, ce qu'était le « populo ». L'évanouissement du PCF a comme effacé la représentation qu'avait le corps social de ce que pouvait être le peuple. Il a donc gardé celle que le PCF lui a laissée. Or, cette représentation était déjà passéiste. Même au beau milieu des années 1970, même lors de la conquête du pouvoir avec les socialistes en 1981, l'image de ce qu'était le peuple, l'iconographie populaire diffusée par les « forces de progrès », était une image du passé, une iconographie du passé, forgée cinquante ans plus tôt pour le Front populaire. Mais, cette iconographie, cette imagerie, cet imaginaire, tout cela était assez largement encore plus ancien, issu d'une iconographie qui datait de près d'un siècle, créée en plein dix-neuvième siècle, pendant le Printemps des peuples de 1848, elle-même largement fondée sur l'imagerie révolutionnaire de la fin du dix-huitième siècle. Ainsi, souvent, qui  évoque la « culture populaire » active une représentation du « peuple » qui date de plus de deux cents ans. La révolte de 1968 peut d'ailleurs aussi s'expliquer par la volonté ardente de la jeunesse, d'une partie de la jeunesse, de s'échapper du carcan de l'imagerie « populariste ». L'affrontement des gauchistes chevelus et des syndicalistes à casquettes était aussi un affrontement esthétique. Ainsi, depuis lors, régulièrement, par différentes manifestations, pacifiques ou non, le peuple signifie au pouvoir, aux pouvoirs, qu'il n'est pas ce que ces pouvoirs croient qu'il est.
2 mars
L'emploi du mot « culture », que cette « culture » soit « populaire » ou non, est source infinie de malentendus. De quoi parle-ton vraiment quand on évoque la « culture  populaire ». S'agit-il de chants et danses traditionnelles ou des modes de consommation de masse ? Les deux. Alternativement ou successivement. C'est que le mot « culture » est polysémique et ambigu, tout autant que le mot « populaire ». Une voiture « populaire » sera une voiture bon marché. Un quartier « populaire » sera un quartier avec de nombreux logements sociaux habités par des familles cumulant les difficultés économiques et sociales. Ce sera aussi, par extension et par euphémisme politicien, un quartier où l'insécurité et les trafics prospéreront. Enfin, ces familles seront majoritairement d'origine étrangère. Quelle serait dès lors la culture populaire d'un quartier populaire dans la France de 2016 ? Sans doute des sociologues auront-ils enquêté sur cette question et pourront en cerner les contours, mais, l'image demeure floue. Mais, ce qui est certain, c'est que la culture populaire d'un quartier populaire ne connaît ni béret, ni cigarettes sans filtre vissée au coin de la bouche, ni Mireille Mathieu, ni Édith Piaf. Cette culture populaire ne répond donc en rien aux premières images qui viennent quand on prononce « culture populaire française ». Cela semble une évidence. Pour autant, après les attentats de novembre 2015 à Paris, des journalistes anglo-saxons erraient dans les rues de la capitale en demandant si Édith Piaf était encore vivante. Est-ce grave ? Est-ce ennuyeux ? Après tout, les Américains, les Anglais, les Allemands, les Italiens, et, somme toute, tous les ressortissants de tous les pays ne ressemblent pas à l'image que l'on a d'eux, c'est à dire à la représentation folklorique que l'on en a. Et ce n'est pas si grave. Mais, ce qui est ennuyeux, ce qui est grave, ce qui est éminemment sérieux et grave, c'est que la représentation du peuple français de la plupart des femmes et des hommes politiques français est aussi frappée d'obsolescence. Je prétends en effet que les responsables politiques nationaux, ont une représentation folklorique du peuple. Il est certain, aussi, que l'emploi du mot « culture », que cette « culture » soit « populaire » ou non, est source infinie de malentendus. De quoi parle-ton vraiment quand on évoque la « culture  populaire ». S'agit-il de chants et de danses traditionnelles ou de modes de consommation de masse ? Les deux. Alternativement ou successivement. Le mot « culture » est polysémique et ambigu, tout autant que le mot « populaire ». Une voiture « populaire » sera une voiture bon marché. Un quartier « populaire » sera un quartier avec de nombreux logements sociaux habités par des familles cumulant les difficultés économiques et sociales. Ce sera aussi, par extension et par euphémisme politicien, un quartier où l'insécurité et les trafics prospéreront. Enfin, ces familles seront majoritairement d'origine étrangère. Quelle serait dès lors la culture populaire d'un quartier populaire dans la France de 2016 ? Sans doute des sociologues auront-ils enquêté sur cette question et pourront en cerner les contours, mais, l'image demeure floue. Mais, assurément, la culture populaire d'un quartier populaire aujourd'hui ne connaît ni béret, ni cigarettes sans filtre vissée au coin de la bouche, ni Mireille Mathieu, ni Édith Piaf. Cette culture populaire ne répond donc en rien aux premières images qui viennent quand on prononce « culture populaire française ». Cela peut sembler une évidence. Pour autant, après les attentats de novembre 2015 à Paris, des journalistes anglo-saxons erraient dans les rues de la capitale en demandant si Édith Piaf était encore vivante. Est-ce grave ? Est-ce ennuyeux ? Après tout, les Américains, les Anglais, les Allemands, les Italiens, et, somme toute, tous les ressortissants de tous les pays ne ressemblent pas à l'image que l'on a d'eux, c'est à dire à la représentation folklorique que l'on en a. Et ce n'est pas si grave. Mais, ce qui est ennuyeux, ce qui est grave, ce qui est éminemment sérieux et grave, c'est que la représentation du peuple français qu'ont la plupart des femmes et des hommes politiques français est aussi frappée d'obsolescence. Je prétends en effet que les responsables politiques nationaux, ont une représentation folklorique du peuple, cette représentation « populariste »





consolidation du 11 mars



3 mars
Chaque femme politique, chaque homme politique, quel que soit son parti, quelles que soient ses idées, quels que soient son programme et sa volonté, a la prétention de s'adresser au peuple et de parler du peuple. Il fait usage, elle fait usage, pour s'exprimer d'une représentation collective du peuple, tout au moins d'une représentation supposée collectivement partagée du peuple. Cette représentation est fournie par le grand bazar des représentations collectives que sont les médias de masse, en particulier, évidemment, ceux qui se vantent, ceux qui font profession, d'être « populaires » . Patiemment, obstinément, ils informent de ce qu'est le peuple, de ce qu'il aime et de ce qu'il doit aimer, de ce qu'il craint et de ce qu'il doit craindre. Cette grande machine à récits, à images, à récits et à images agencés, alimente la représentation collective du peuple. C'est sur cette représentation folklorique du peuple que prospèrent les partis et les expressions populistes. Sans cette représentation, sans le maintien en vie artificielle de cette représentation surannée, il n'y aurait pas d'expression populiste possible. Elle serait parfaitement inaudible. On peut dénoncer aussi fort que possible le populisme, cela ne sert à rien si l'on ne considère pas le système général qui rend possible le populisme, système constitué des médias, de l'institution, de l'expression du gouvernement, de l'expression de l'opposition, des dépêches, des informations, des fictions, des images choc, des people, des gangsters et des faits divers. C'est de ce bric-à-brac que naît la représentation que l'on se fait du peuple. Bric-à-brac, certes, mais bric-à-brac polarisé, continument polarisé, évidemment polarisé par la consommation. J'appellerai désormais« popularisme » ce bric-à-brac-là.Dès lors, il est loyal de se demander comment évoluerait le discours politique, les discours politiques, si celles et ceux qui les prononcent se représentaient le peuple comme étant celui que l'on croise dans les centres commerciaux, et non celui qui assiste aux meetings partisans. Il y aurait d'abord un moment de silence, un long moment de long silence. C'est qu'il n'est pas facile de parler pour la première fois à quelqu'un que l'on ne connaît pas. Il faudrait ensuite rendre hommage. Oui, il faudrait rendre hommage à ce peuple qui ne cède pas, qui ne se résout pas à ressembler à l'image que les médias donnent de lui, et qui, par conséquent, ne déclenche pas, en tout lieu, à chaque instant, des guerres civiles. Et aussi des guerres de religion. Et aussi des guerres de classe et encore des guerres économiques. Il faudrait aussi remercier ce peuple de tous ces gestes accomplis, de tous ces gestes donnés et de tous ces gestes offerts dans le secret des petits gestes d'amour. Car, il faudrait aussi se réjouir de tout l'amour qui s'échange chaque jour, et de l'espoir, malgré tout, et même de l'espérance. Alors, après cela, après avoir rendu hommage, après les remerciements et après les réjouissances, peut-être pourrait-il y avoir le commencement, le tout premier commencement d'un discours politique qui, pour la première fois, ne serait pas, ne pourrait pas être un discours populariste. Et ce discours affirmerait que ce peuple vaut mieux et davantage que ce que la publicité en dit, et vaut mieux aussi et davantage encore que ce que les journaux télévisés en disent. Car, il faut s'étonner, il faut s'étonner vraiment de la capacité de résistance du peuple à tout ce qui veut l'avilir.
4 mars
En 1973, Pasolini qualifiait le modèle culturel proposé par la télévision d' « hédonisme de masse » et concluait que ce modèle proposé étant, pour le plus grand nombre, en grande partie inaccessible, « frustration ou carrément désir névrotique (étaient) désormais des états d'âme collectifs ». Le constat vaut toujours, à ceci près que, désormais, cette frustration et ce désir névrotique sont eux aussi recyclés par les médias et intégrés dans le modèle culturel proposé. Mais, il est certain, que le moteur de ce modèle culturel demeure le même : la consommation. En revanche, l'ennemi n'est pas ou n'est plus vraiment la religion, comme le croyait Pasolini pour l'Italie des années 1970, mais tout ce qui peut s'opposer dans la quête humaine à la consommation. Ainsi, on peut aussi penser que le fondamentalisme violent islamique est désigné comme ennemi, non pas, seulement, à cause de sa violence, mais aussi, mais surtout, parce que sapant le moral des consommateurs, ils peut coûter des points de croissance.
Les médias interactifs, encore appelés réseaux sociaux, ont rendu ce popularisme, défini donc comme une représentation collective surannée du peuple en tant que consommateur, encore plus sophistiqué. Constatant que, malgré tout, le peuple était capable d'émettre de grandes aspirations altruistes, de grandes émotions collectives, elles ont été intégrées, elles aussi, au modèle... et traduites en algorithmes, ces algorithmes qui choisissent pour vous la meilleure publicité. Peu à peu l'humanitaire est remplacé par le « crowd-funding ».
Ainsi, régulièrement, au gré de ce qu'il subit, au gré de ce qu'on lui fait subir, le peuple manifeste qu'il n'est pas exactement ce qu'on dit de lui. Il peut alors exprimer sa joie, sa colère ou sa peine, mais, l'espace et le temps de cette manifestation, il se révèle tel qu'en lui-même. Les objets d'art funéraire populaire disposés autour de la statue de la République depuis les attentats du 13 novembre 2015 sont l'une de ces manifestations. Les nommer ainsi, c'est d'ailleurs déjà procéder à une interprétation de cette ferveur populaire spontanément exprimée. Mais s'il ne s'agit pas d'art funéraire populaire, on ne voit pas bien ce que ce peut être d'autre ! Dans une société qui propose par voie publicitaire des abonnements mensuels pour préparer ses obsèques, le peuple a montré qu'il n'avait pas oublié ce qu'était le deuil. À une société emberlificotée dans son mercantilisme, le peuple a répondu de toute sa grandeur par un grand deuil archaïque, anthropologiquement humain, comme l'ont fait toutes les sociétés humaines depuis plus de cent mille ans.
5 mars
En 2012, le 15 avril exactement, se tenaient en même temps deux rassemblements politiques des deux principaux candidats aux élections présidentielles, dont le premier tour allait se tenir une semaine plus tard. L'un des candidats parlait place de la Concorde et l'autre candidat parlait à Vincennes. L'un et l'autre étaient sur l'axe historique parisien, matérialisé par la ligne n°1 du métro et aussi la ligne A du RER, qui va jusqu'à Saint-Germain en Laye en passant par le quartier d'affaires de La Défense. Je n'étais ce jour-là ni place de la Concorde, ni à Vincennes, mais participais, par hasard, au troisième rassemblement populaire sur ce même axe prestigieux, dans le centre commercial de La Défense : les Quatre Temps. Il n'y avait pas de discours. Il n'y avait pas de candidat. Chacun des deux meetings politiques a rassemblé ce jour-là, selon leurs organisateurs, plus de cent mille auditeurs. En 2012, quant à lui, le centre commercial de la Défense a été fréquenté par plus de quarante-cinq millions de personnes. Il accueillait donc certainement, arithmétiquement, ce jour-là, plus de cent mille personnes à cette heure d'affluence. Quand j'ai visionné le soir des images des deux meetings, j'ai pu constater que le peuple rassemblé à Vincennes ressemblait trait pour trait au peuple rassemblé à la Concorde, ne se distinguant l'un de l'autre que par l'identité des notoriétés venues en soutien et filmées en gros plan, de temps en temps. En revanche, ce peuple à l'écoute des deux candidats, ce peuple capable de se mobiliser pour faire masse sur les images des journaux télévisés du soir, ce peuple de militants jouant somme toute le rôle de figurants, ne ressemblait pas beaucoup au peuple du troisième rassemblement du quartier de la Défense dans le centre commercial des Quatre Temps, celui sans discours, abandonné aux harangues des annonces publicitaires, celui sans candidat, celui au candidat absent.
Dès lors, il faudrait pouvoir concevoir la culture populaire, la culture du peuple, la culture contemporaine du peuple, la culture du peuple d'aujourd'hui, autrement que dans une relation de pouvoir, autrement que dans une relation marchande et autrement que par une approche folkloriste politicienne. En conséquence, il ne s'agirait plus seulement de faire accéder le peuple aux pratiques culturelles de la bourgeoisie, de lui faire consommer des produits culturels plus ou moins avariés, ni de le renvoyer à un folklore qui n'a existé que dans les albums nostalgiques du dix-neuvième siècle. Il s'agirait donc de prendre une position qui ne soit pas populariste, ni, a fortiori, populiste. Il s'agirait d'admettre que le peuple peut faire de grandes choses, avoir de grandes aspirations, qu'il peut déterminer ses choix autrement que par les injonctions publicitaires et les effets de notoriétés artificiellement fabriquées. Il s'agirait donc de croire, de croire vraiment, de croire philosophiquement et surtout de croire politiquement à la démocratie et d'affirmer, et de prouver que cette démocratie est une démocratie culturelle. Alors, peut-être, serait-il possible de commencer à penser ce qu'est la culture du peuple de France en 2016.
6 mars
Dès lors, il est loyal de se demander comment évoluerait le discours politique, les discours politiques, si celles et ceux qui les prononcent se représentaient le peuple comme étant celui que l'on croise dans les centres commerciaux, et non celui qui assiste aux meetings partisans. Il y aurait d'abord un moment de silence, un long moment de long silence. C'est qu'il n'est pas facile de parler pour la première fois à quelqu'un que l'on ne connaît pas. Il faudrait ensuite rendre hommage. Oui, il faudrait rendre hommage à ce peuple qui ne cède pas, qui ne se résout pas à ressembler à l'image que les médias donnent de lui, et qui, par conséquent, ne déclenche pas, en tout lieu, à chaque instant, des guerres civiles. Et aussi des guerres de religion. Et aussi des guerres de classe et encore des guerres économiques. Il faudrait aussi remercier ce peuple de tous ces gestes accomplis, de tous ces gestes donnés et de tous ces gestes offerts dans le secret des petits gestes d'amour. Car, il faudrait aussi se réjouir de tout l'amour qui s'échange chaque jour, et de l'espoir, malgré tout, et même de l'espérance. Alors, après cela, après avoir rendu hommage, après les remerciements et après les réjouissances, peut-être pourrait-il y avoir le commencement, le tout premier commencement d'un discours politique qui, pour la première fois, ne serait pas, ne pourrait pas être un discours populariste. Et ce discours affirmerait que ce peuple vaut mieux et davantage que ce que la publicité en dit, et vaut mieux aussi et davantage encore que ce que les journaux télévisés en disent. Car, il faut s'étonner, il faut s'étonner vraiment de la capacité de résistance du peuple à tout ce qui veut l'avilir.
7 mars
Ainsi, régulièrement, au gré de ce qu'il subit, au gré de ce qu'on lui fait subir, le peuple manifeste qu'il n'est pas exactement ce qu'on dit de lui. Il peut alors exprimer sa joie, sa colère ou sa peine, mais, l'espace et le temps de cette manifestation, il se révèle tel qu'en lui-même. Les objets d'art funéraire populaire disposés autour de la statue de la République depuis les attentats du 13 novembre 2015 sont l'une de ces manifestations. Les nommer ainsi, c'est d'ailleurs déjà procéder à une interprétation de cette ferveur populaire spontanément exprimée. Mais s'il ne s'agit pas d'art funéraire populaire, on ne voit pas bien ce que ce peut être d'autre ! Dans une société qui propose par voie publicitaire des abonnements mensuels pour préparer ses obsèques, le peuple a montré qu'il n'avait pas oublié ce qu'était le deuil. À une société emberlificotée dans son mercantilisme, le peuple a répondu de toute sa grandeur par un grand deuil archaïque, anthropologiquement humain, comme l'ont fait toutes les sociétés humaines depuis plus de cent mille ans.
8 mars
Dès lors, il faudrait pouvoir concevoir la culture populaire, la culture du peuple, la culture contemporaine du peuple, la culture du peuple d'aujourd'hui, autrement que dans une relation de pouvoir, autrement que dans une relation marchande et autrement que par une approche folkloriste politicienne. En conséquence, il ne s'agirait plus seulement de faire accéder le peuple aux pratiques culturelles de la bourgeoisie, de lui faire consommer des produits culturels plus ou moins avariés, ni de le renvoyer à un folklore qui n'a existé que dans les albums nostalgiques du dix-neuvième siècle. Il s'agirait donc de prendre une position qui ne soit pas populariste, ni, a fortiori, populiste. Il s'agirait d'admettre que le peuple peut faire de grandes choses, avoir de grandes aspirations, qu'il peut déterminer ses choix autrement que par les injonctions publicitaires et les effets de notoriétés artificiellement fabriquées. Il s'agirait donc de croire, de croire vraiment, de croire philosophiquement et surtout de croire politiquement à la démocratie et d'affirmer, et de prouver que cette démocratie est une démocratie culturelle. Alors, peut-être, serait-il possible de commencer à penser ce qu'est la culture du peuple de France en 2016.