Diégèse




vendredi 18 novembre 2016



2016
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#Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 -










Pour ce qui concerne l'avortement, j'avais suggéré paradoxalement de faire entrer ce délit dans le cadre de celui d'euthanasie, en inventant à son intention une série de circonstances atténuantes à caractère écologique. Paradoxalement. En réalité, ma position sur ce point — avec toutes les implications et la complexité qui sont typiques d'un intellectuel et non d'un groupe — coïncide avec celle des communistes. Je pourrais souscrire mot pour mot à ce qu'a écrit Adriana Seroni dans Epoca (25-1-1975). Il faut d'abord éviter l'avortement et si l'on y parvient, essayer de le rendre légalement possible seulement dans quelques cas « appréciés avec responsabilité » (en évitant donc, j'ajoute, de se jeter dans une campagne hystérique et terroriste pour une totale légalisation, ce qui enlèverait son caractère de délit à une faute). Alors que pour le « référendum » sur le divorce, j’étais en total désaccord avec les communistes (qui en avaient peur), car j'avais prévu la victoire à laquelle on a assisté ; alors que je suis en désaccord avec les communistes sur les « huit référendums » proposés par les radicaux, car là aussi je prévois une victoire (qui ratifierait dans les faits une réalité existante), je suis par contre d'accord avec les communistes sur l'avortement. Ici, il s'agit de la vie humaine ; et je ne dis pas cela parce que la vie humaine est sacrée. Elle l'a été et son caractère sacré a été sincèrement ressenti dans le monde anthropologique de la pauvreté, parce que chaque naissance était une garantie pour la continuité de l'homme. Aujourd'hui, elle n'est plus sacrée, sinon au sens de maudite (sacer a les deux sens), parce que chaque nouvelle naissance représente une menace pour la survivance de l'humanité. Ainsi donc, quand je dis « il s'agit de la vie humaine », je parle de cette vie humaine celle-ci, cette vie concrète — qui en ce moment se trouve dans le ventre de cette mère. C'est à cela que tu ne réponds pas. Ça fait bien d'être de façon acritique et extrémiste aux côtés des partisans de l'avortement ? Il ne faut même pas s'en expliquer ? On peut tranquillement glisser sur un cas de conscience personnel concernant la décision de faire ou de ne pas faire venir au monde quelqu'un qui veut absolument y venir (même si c'est pour n'être qu'à peine plus que rien) ? Il faut à tout prix créer le précédent « inconditionné » d'un génocide, uniquement parce que le statu quo le veut ? Bon, d'accord, tu es cynique (comme Diogène, comme Ménippe... comme Hobbes), tu ne crois à rien, la vie du fœtus est une affectation romanesque, et faire un cas de conscience de ce problème une sottise idéaliste... Mais ce ne sont pas là de bonnes raisons.
Choisir les candidats et les candidates aux élections en tant que « produits », sur la base de leur emballage et des slogans de leurs campagnes publicitaires a nécessairement un impact important sur la démocratie représentative, car cela trouble profondément la notion même de « représentation ». En effet, le verbe « représenter », qui paraît anodin sinon banal, pour peu que l'on s'y arrête, révèle une grande complexité sémantique, ce qui n'est pas si étonnant quand on se souvient qu'il rend compte de manière simple et usuelle du caractère subtil de l' « être-là-maintenant ». Ainsi, la démocratie, quand elle institue des « représentants », le fait, ou pense le faire, pour que ceux-ci puissent agir au nom du peuple, « dans l'exercice de ses droits et dans la défense de ses intérêts » nous dit le Trésor de la langue française. La notion de « représentation » démocratique rend donc compte d'une abstraction articulée à un processus juridique qui est non moins abstrait : le vote, les élections, la désignation. Conceptuellement, il ne s'agit pas de manipuler des formes visibles, palpables, tangibles. Certes, l'esprit humain a tendance a vouloir faire muter l'abstrait en concret et c'est ainsi qu'il affectionne et manipule les métaphores et les allégories. Et, les statues et les portraits des « représentants » des royaumes, des empires et des républiques dépeignent tout autant ce à quoi ressemblaient ces illustres qu'ils « représentent » le royaume, l'empire ou la république dont ils étaient les « représentants ». Cela tourne presque au jeu de mot entre deux acceptions d'un même terme. Relevons cependant que ces deux acceptions ne s'engrangent pas dans la même forme par hasard... Pour autant, entre la statue de Louis XIV et celle de Marianne, la principale différence demeure la nature de la représentation, qui, pour la République distingue l'allégorie de la personne qui représente la Nation. Marianne n'a jamais existé en tant que personne pourvue d'une identité. En poussant le raisonnement, la démocratie devrait être iconoclaste, au sens propre du terme, et refuser toute « allégorisation » de ses représentants. Ce n'est évidemment jamais entièrement le cas. La tentation est trop grande et l'on trouvera aisément que tel ou tel candidat est trop gros ou trop petit ou trop laid ou... pour être notre « représentant » dans une sorte de confusion archaïque entre le concept et la forme.
Mais, s'agissant des élections américaines, on aborde encore d'autres rivages sémantiques, ou ce sont les mêmes, mais en surchauffe, car la notion de « représentation » semble devoir s'effacer au profit d'une autre notion que je nommerai « mascottisation ». De délégué dans l'exercice individuel d'une souveraineté collective, le « représentant » a tendance dans les démocraties de la société de consommation généralisée à devenir une sorte de mascotte, qu'il s'agirait de choisir, d'acquérir et de garder quelque temps comme un porte-bonheur. Si l'on apprend que « mascotte » vient du provençal masco qui signifie sorcière et que mascoto est un sortilège, on comprend alors que l'on fait plus que côtoyer la pensée magique. Le « représentant » est devenu protecteur de la nation par une sorte d'envoûtement, ce qui est exactement la définition et le rôle du fétiche. En tant que mascotte, Trump était un bien meilleur produit que Clinton. Les totems grimaçants et colorés sont supposés moins maléfiques que les poupées enchiffonnées et surtout beaucoup plus efficaces contre le mauvais sort et les mauvais génies, par une sorte de mise en miroir. Ainsi, passer d'un système politique fondé sur la conceptualisation à un système qui, se présentant sous les mêmes traits, devient une pratique totémique, n'est pas gage d'une meilleure prise en compte de l'intérêt général et d'un meilleur éclairement social. Surtout quand on veut occulter qui active les pouvoirs du totem.
Pier Paolo Pasolini - Écrits corsaires - Sacer
Produit contre produit jusqu'au fétiche - Péguy-Pasolini #21 - Texte continu










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