Au contraire,
le
Christ — en parfaite cohérence avec toute sa prédication ne
pouvait que
vouloir
dire : « Distingue nettement César et Dieu ; ne les
confonds pas ; ne
les fais
pas coexister dans ton cœur par indifférentisme, en prenant pour excuse
de
pouvoir ainsi mieux servir Dieu ; "ne les concilie pas" :
souviens-toi bien que mon "et" est disjonctif, qu'il crée deux
univers qui ne communiquent pas. ou, si c'est le cas, pour contraster
l'un avec
l'autre ; en somme, je le répète, ils sont
"inconciliables". » En
posant cette dichotomie extrémiste, le Christ pousse et invite à une
opposition
éternelle à César, même si elle doit être non-violente (à la différence
de
celle des zélotes). La seconde
nouveauté religieuse qui s'annonce pour l'avenir est la suivante.
Jusqu'à
présent, l'Église a été l'Église d'un univers paysan, qui a enlevé au
christianisme son seul aspect original par rapport à toutes les autres
religions, le Christ. Dans l'univers paysan, le Christ a été assimilé à
l'un
des mille Adonis ou des mille Proserpine existants qui ignoraient le
temps
réel, c'est-à-dire l'histoire. Le temps des dieux agricoles semblables
au Christ
était un temps « sacré » ou « liturgique » dont comptait le caractère
cyclique,
l'éternel retour. Le temps de leur
naissance, de leur action, de leur mort, de leur descente aux enfers et
de leur
résurrection était un temps paradigmatique sur lequel, périodiquement,
le temps
de la vie se modelait en le réactualisant. Tout
au
contraire, le Christ a accepté le temps « unilinéaire »,
c'est-à-dire
ce que
nous appelons l'histoire. Il a brisé la structure circulaire des
vieilles
religions et parlé d'une « fin », et non d'un
« retour ». Mais, je le
répète,
pendant deux millénaires, le monde paysan a continué d'assimiler le
Christ à
ses vieux modèles mythiques ; il en a fait l'incarnation d'un
principe
axiologique qui donnait un sens au cycle des cultures. |
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Le
discours de la décadence est toujours un discours autoritaire, car, il
ne s'agit pas, en fait, de revenir à un état antérieur meilleur, mais à
un ordre antérieur et, pour ce faire, poursuivre et châtier
les responsables du désordre. Ces responsables sont évidemment des
boucs-émissaires et ne peuvent être que des boucs-émissaires puisque
l'ordre antérieur est supposé rendre compte d'un état meilleur qui n'a
aucune réalité historique. On peut même penser que le discours
politique de la décadence n'a d'autre objectif que celui d'établir
un gouvernement autoritaire, d'une part, et de faire la chasse aux
responsables de cette décadence dénoncée, d'autre part, jusque par la
guerre étrangère, mais en commençant par tous ceux qui viennent
contredire le mythe de la parousie passée. Ces ennemis de l'intérieur
sont toujours les mêmes. Il ne faut pas s'y tromper. On peut les
classer en figures. Il y a celle du « métèque ». Selon les
époques, il
change d'origine ou de nationalité, de couleur de peau, de mode de vie
mais il est toujours celui qui vient rompre un fantasmatique état de
pureté. En cela, le « métèque » est toujours supposé doté de
capacités
sexuelles hors du commun. On peut même affirmer que le fantasme du
« métèque » est toujours un fantasme sexuel, et, la plupart
du temps, un
fantasme homosexuel refoulé. Il y a aussi la figure de l'
« intellectuel ». Est qualifié tel, toute personne qui vient
contredire la doxa,
grimée aussi sous le vocable de « bon sens », et qui dit donc
des
choses compliquées. Là encore, il ne
faut pas s'y tromper. C'est un fantasme infantile d'ancien élève
frustré de ne pas avoir été premier de la classe et qui se venge des
années plus tard sur ses anciens petits camarades devenus grands et
toujours meilleurs que lui. On l'aura compris, le discours de la
décadence est toujours un discours régressif. Le temps heureux qu'il
s'agirait de retrouver est celui de l'enfance. Les pourfendeurs de la
décadence n'ont pas réglé leur Œdipe. |