Nullement,
comme on pourrait le croire, d'abord, comme un premier
examen, superficiel, hâtif, pourrait d'abord le laisser supposer, en
vieux singes revêtus de la simarre et de l'hermine. On sentait si bien
qu'il savait que lui Bernard-Lazare il avait fait marcher ces gens-là,
qu'on les ferait marcher encore, et que lui Bernard-Lazare on ne le
ferait jamais marcher, que ces gens-là surtout ne le feraient jamais
marcher. Qu'il avait temporellement fait marcher tout le monde ; et que
tout le monde ne le ferait jamais spirituellement marcher. Pour lui ce
n'était pas, ce ne serait jamais la plus haute autorité du royaume, la
plus haute autorité judiciaire, la plus haute juridiction du royaume,
le plus haut magistrat de la République. C'étaient des vieux juges. Et
il savait bien ce que : c'était qu'un vieux juge. On sentait si bien
qu'il savait qu'il avait fait marcher ces gens-là, et qu'ils ne le
feraient jamais marcher. Quand l'autre fut parti : Vous l'avez vu, me
dit-il en riant. Il était rigolo avec 'sa' Cour de Cassation. Notez
qu'il était, et très délibérément contre les lois Waldeck même. Contre
la loi Waldeck. Mais enfin, puisqu'il y avait une loi Waldeck, il
voulait, il fallait qu'on s'y tînt juridiquement. Et même
loyalement. Qu'on l'appliquât, qu'on l'interprétât comme elle était. Il
n'aimait pas l'État. Mais enfin puisqu'il y avait un État, et qu'on ne
pouvait pas faire autrement, il voulait au moins que le même État qui
fît une loi fût le même aussi qui l'appliquât. Que l'État ne se dérobât
point et ne changeât point de nom et de statut entre les deux, qu'il ne
fît point ceci sous un nom et qu'il ne le défît point sous un autre,
sous un deuxième nom. il voulait au moins que l'État fût, au moins
quelques années, constant avec lui-même. |
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Dans une
longue et parfois confuse intervention en Belgique en 2012, le
philosophe Bernard Stiegler explique qu'il n'y a pas de mot dans la
langue anglaise pour traduire correctement le mot français bêtise, qui ne se traduit donc que
par stupidity, perdant ainsi
la référence à la bête.
Je ne suis pas convaincu par son raisonnement, ni par sa conclusion.
L'anglais, plutôt que de se concentrer sur ce qui est perçu : la bêtise, focalise sur l'effet
produit par l'acte perçu comme bête
: la stupeur. Est bête
ce qui nous stupéfie. On peut être étonné par l'intelligence, on n'en
sera pas stupéfait. Seule la bêtise est stupéfiante. L'être humain qui
fait une bêtise, est soudain perçu comme bête
et fait l'objet d'une métamorphose. Plutôt que bête et seulement bête,
il en devient un monstre. Ce n'est d'ailleurs qu'au quatorzième siècle
que les Métamorphoses d'Ovide
sont traduites sous le titre d'Ovide
moralisé, pas très longtemps avant que le mot bêtise entre dans la langue
française. Le bête est
monstrueux, et c'est ainsi que bêtise
relève à la fois de la métaphore et de la métamorphose. Ceci est
d'ailleurs traduit communément dans les publicités ou les bandes
dessinées dans lesquelles un humain s'adonnant à la bêtise sera montré
comme transformé ou se transformant en animal. On dessinera ainsi
facilement, par exemple, un chauffard grillant un feu rouge à vive
allure comme un sanglier. Il sera difficile ensuite pour qui aura vu le
dessin de voir autrement les conducteurs se livrant à ce genre de
bêtises bêtes. Les exclamations que provoque la bêtise de l'autre
portent la marque de ce déplacement du réel, de cette métamorphose. Il
n'est ainsi pas rare de s'entendre dire, confronté à la bêtise :
« c'est incroyable ! c'est invraisemblable, ce n'est pas
possible ! ». |