Diégèse




dimanche 2 juin 2019



2019
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Détrousser les événements 153



Noëmie Diégèse














Je vais à Médan rencontrer Émile Zola. Il est difficile d'imaginer maison plus laide. Tout est disgracieux et l'on imagine quelque architecte fou qui s'est ingénié à contrevenir à toute règle de juste proportion. À tout prendre, le pavillon Charpentier dont la maison est flanquée, et qui accueillit un temps Cézanne, est plus agréable à regarder malgré son incompréhensible double escalier soutenu par une colonnade à quatre piliers. Et encore, il s'agit de la vue du jardin, car, de la rue, l'ensemble pourrait passer pour une école élémentaire, ne seraient-ce les remaniements trop nombreux pour une architecture scolaire. La laideur de la maison de Monsieur Zola demeurera une énigme, qui se résout à l'intérieur. Car, toute la maison ne prend sens que par le vaste bureau aux très hautes croisées qui domine la Seine... et la voie ferrée. C'est là que me reçoit l'écrivain polémiste et fin politologue - comme on dit désormais.

« Monsieur Zola, pensez-vous que la période soit en France bonapartiste ?
- je ne sais pas si elle est bonapartiste ; le terme lui-même est assez ambigu mais, à l'évidence, quelqu'un se prend pour Bonaparte. Le problème vient sans doute que cette personne hésite entre les deux figures historiques : la première, qui est une fulgurance et la seconde, qui est le règne de la force brutale de l'argent assise sur de bons sentiments.
- qui, selon vous, se prend pour Napoléon III ?
- personne ne se prend sérieusement pour Napoléon III. Ce n'est pas un personnage auquel on a envie de s'identifier. On lui préfère évidemment son oncle. Pour autant, ce serait vouloir aujourd'hui s'identifier à un mégalomane paranoïaque que de s'identifier à Napoléon Premier. Quand je dis que quelqu'un se prend pour Bonaparte, il ne faut pas y voir une tentative de décalque, mais plutôt, cette envie de petit garçon d'être un personnage à destin. Voyez, dans les Rougon-Macquart, personne n'a vraiment de destin. Celui qui, dans le premier tome, a un destin, comme le relève le bon Docteur Pascal, c'est le jeune Silvère, assassiné par la Maréchaussée après les émeutes qui ont éclaté après le coup d'État. Vous diriez certainement maintenant qu'il a été victime de la violence policière. À la vérité, il s'agissait d'une exécution sommaire. Nous n'en sommes pas encore là, ou alors, cela ne se sait pas. Cela fait si longtemps que je suis à Médan à lire de mauvais journaux que je ne sais pas bien ce qui se passe à Paris et encore moins à Plassans.
- Mais alors, la période peut-elle être bonapartiste sans Bonaparte ?
- Bien sûr. Cela s'appelle le gaullisme. De Gaulle se prenait davantage pour Jeanne d'Arc que pour Napoléon, qu'il devait trouver en son for intérieur un peu ridicule sinon pathétique. Mais, sa vision de la France et de sa reconstruction, il la partageait avec Louis-Napoléon. La France de 1851 est en retard sur tout. Il faut la moderniser et l'assainir. Le paradoxe impérial aura été d'assainir la France par la corruption. Si De Gaulle, lui-même, n'était pas corrompu, il était entouré de malfrats.
- Vous trouvez que la France est, aujourd'hui encore, corrompue ?
- Elle l'est terriblement. On pourrait même avancer que c'est la patrie de la corruption. Il y a très peu de parties du territoire qui échappent à la corruption. La moindre communauté de communes est un champ intense d'arrangements, de petits passe-droits et de baronnies. Que voulez-vous ? En France, l'idéal est bourgeois et le propre de la bourgeoisie, c'est la corruption.
- Mais comment, de Médan, où vous êtes reclus depuis 1902, pouvez-vous savoir cela ?
- Voyez-vous, chère Madame, je sais lire. C'est parce que je savais lire que j'ai compris que le capitaine Dreyfus était innocent et c'est parce que je sais lire que je sais aussi que certaines décisions prises ces dernières années sont mues par la corruption. La pire des corruptions, d'ailleurs, est celle des esprits. L'affaire Dreyfus l'a d'ailleurs démontrée. Personne n'aurait cru Dreyfus coupable si la France d'alors n'avait pas été largement antisémite. Et l'antisémitisme est une corruption de l'esprit. Aujourd'hui, ce n'est pas un complot que l'on invente pour arriver à ses fins, ce sont cent complots, mille complots, dix-mille que sais-je ? Bismarck, d'ailleurs, ne gouverne que par le complot.
- Bismarck ?
- Excusez-moi. Je voulais dire Trump. »

Monsieur Zola est visiblement fatigué. Je n'aurai pas réussi cette fois encore à lui faire dire qui se prend pour Bonaparte, mais je reviendrai... J'essaierai seulement de revenir avant Sedan.









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4e de couverture






Il y a beaucoup plus de deux écrivains français qui ont dépeint l'arrivisme sous les traits de personnages demeurés dans l'histoire, mais il y en a deux qui demeurent inégalés. Il s'agit bien sûr de Balzac et de son Rastignac campé dans La Comédie humaine, d'une part ; de Zola et de ses Rougon avides d'argent et de pouvoir, d'autre part. Considérant que la période était tout à la fois bonapartiste et corrompue, Noëmie Diégèse a choisi d'aller interroger les deux auteurs pour leur demander ce qu'ils pensent de tel ou telle de la vie parisienne comme de celle de la province. Il s'en suit une conversation savoureuse qui parcourt une galerie de portraits. Les deux auteurs n'épargnent pas leur plume ni leur esprit caustique et plus d'une et plus d'un sortent de leurs échanges sans une seule plume pour cacher leur pauvreté humaine.
On sort de cette lecture parfaitement certain que Balzac et Zola sont encore vivants, qu'on les retrouvera au café d'en face ou sur un plateau de télévision, écorchant les piètres rhéteurs qui font profession de les occuper en permanence.
Voilà une lecture succulente et revigorante, qui ne fera pas aimer la politique ni les affaires, ni le monde l'art, ni les journalistes, ni la télévision et encore moins le Parlement.
Mais c'est un manuel d'éducation civique salutaire.

« Détrousser les événements » est une jolie métaphore issue de « La Fortune des Rougon », de Zola










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