Diégèse




vendredi 21 juin 2019



2019
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Une mince Affaire 172



Daniel Diégèse














Elle se rappelle Notre-Dame, ou plutôt, l'incendie de Notre-Dame qui avait été le théâtre insensé d'une guerre des imaginaires après la destruction accidentelle de sa flèche et de sa charpente. Elle avait vite compris que l'on appelait Victor Hugo à la rescousse, mais que les images étaient fournies par Disney. Certains auraient voulu que ce fût le 11 septembre français. La cathédrale aurait été percutée par quelque drone piégé envoyés par les Méchants, par L'Empire du Mal. En ce temps-là, les Méchants étaient, comme au moyen-âge, les Sarrasins, c'est à dire les Musulmans et plus précisément les Arabes, mêmes quand, comme les Iraniens et les Turcs, ils n'étaient pas du tout arabes. Elle se demande comment l'Occident se serait construit sans cet ennemi très largement imaginaire. Il n'y aurait pas eu de croisades par exemple et donc pas de féodalité ni roi de droit divin en France. Elle cherche sur l'internet si les croisades ont été étudiées sous l'angle du capitalisme marchand. Elle trouve rapidement un livre de deux universitaires de l'Université d'Auburn dans l'Alabama, Ekelund et Hebert : « Sacred Trust: The Medieval Church as an Economic Firm ». Elle ne savait pas si le livre avait été traduit et si son titre, au cas où il l'aurait été, était donc bien « Foi sacrée : l'Église médiévale comme multinationale ». Ces croisades étaient bien d'abord des croisades de l'imaginaire et l'imaginaire des chevaliers au service de l'Église était de fait au service des marchands. Qu'il fût au détriment des pauvres, cela va sans dire : la marchandisation des imaginaires est toujours au détriment des pauvres, sinon, cela ne marche pas.

Cette affaire de Notre-Dame, qui avait été provoquée, on l'avait su très vite, par un piètre court-circuit, avait cependant servi de loupe grossissante pour ces batailles d'images au profit de l'asservissement collectif. Le Président américain d'alors, en conseillant la nuit du drame national d'envoyer des avions-pompiers avait ainsi suggéré d'autres images et surtout rappelé que depuis 2001, les États-Unis avaient acquis le monopole de l'image du-pompier-valeureux-luttant-contre-le-mal et de l'expertise afférente et du marché des matériels de lutte contre les incendies. L'appel à la reconstruction du Président de la République française de l'époque avait quant à lui résonné dans la longue suite d'appels à la fierté nationale de ce peuple français jamais très sûr de ne pas avoir trahi. Pauvres et riches s'étaient retrouvés dans l'appel aux dons pour la vénérable église gothique. On avait surtout parlé des riches. Peu avaient relu Charles Mauss qui, le premier, avait expliqué que le principal objectif du don était bien d'obliger à terme. Pendant des mois, ces appels aux dons avaient envahi l'espace médiatique. Heureusement, on avait constaté que le toit effondré ne décourageait pas les touristes et les perches à selfies. Loin de là. Dès le lendemain de l'incendie, les professionnels du tourisme s'étaient inquiétés de la réorganisation nécessaire des tours-operators. Pourtant, jamais la cathédrale n'avait été aussi photographiée. Tout le monde voulait voir les traces noircies du toit de la cathédrale en ruine. C'était même tout bénéfice, puisque ce n'était plus nécessaire de gérer les files d'attentes. L'autocar s'arrêtait. Les touristes descendaient, levaient la tête, se photographiaient et remontaient dans l'autocar. Les plus téméraires s'éloignaient un peu du parvis pour tenter d'apercevoir le transept, sinon le chœur, mais ils étaient vite rappelés à l'ordre par les guides. Le Sacré-Cœur attendait. Certains espéraient d'ailleurs que le Sacré-Cœur brulât aussi. Mais, de fait, cela n'avait aucun d'intérêt. Le dernier film le mettant en scène avait été Le fabuleux Destin d'Amélie Poulain, mais, dans la guerre des imaginaires, il ne valait pas un dessin animé de la firme américaine de Mickey-Mouse.

Elle se souvient maintenant de la cérémonie de réouverture de la cathédrale restaurée et de tous les chefs d'État et anciens chefs d'État réunis. Même Trump était venu sur sa chaise roulante. Ils étaient quelques-uns dans le même état. La presse avait révélé que le donateur le plus généreux avait bien été Disney.









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4e de couverture






Nous sommes en 2027. Lors des récentes élections présidentielles, le débat a surtout porté sur les questions culturelles. Et, pour la première fois, il ne s'agissait pas de savoir s'il y aurait plus ou moins de théâtre ou de cinéma, ni si le patrimoine historique serait sauvé ou non par un jeu à gratter promu par un présentateur de télévision, ni même si les jeunes allaient être incités à mieux consommer des produits plus ou moins frelatés fabriqués par les industries culturelles. Non. Il s'était agi de culture, c'est à dire d'imaginaire collectif et partagé. Il faut dire que les années 2022 à 2027 avaient été particulièrement éprouvantes. Les Jeux Olympiques avaient été le théâtre de sérieuses affaires de corruption qui avaient révélé, partout en France, les collusions entre les entreprises du bâtiment et les médias, au service de la conformation des imaginaires à la société de consommation. La nouvelle présidente de la République a donc décidé de renommer le ministère de la Culture et de nommer un.e  ministre des Imaginaires. Le titre avait évidemment fait sourire. Mais, la personnalité nommée ministre, immense figure intellectuelle et artistique, était inattaquable, véritable Malraux de ce siècle. Il fallait donc la faire tomber celle qui, beaucoup plus que les syndicats, pouvait menacer l'ordre marchand para-dictatorial. Il fallait donc lui trouver une affaire... ou au besoin en inventer une, même une mince affaire.
Ce roman d'anticipation de Daniel Diégèse nous conduit dans un monde qui nous semble familier. Notre présent est le passé des personnages. Tous les travers de notre société se sont accentués. L'heure est grave. Peut-on freiner encore l'asservissement de nos imaginaires ?










21 juin







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