Diégèse




mardi 7 mai 2019



2019
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Simultanéité 127



Gustav Diégèse














La pratique du selfie est le plus souvent perçue comme une manifestation de soi dans un lieu donné. « J'y étais ! » dit le selfie, ce qui suppose pour donner le plus de force possible à l'image que le lieu de cette hiccéité, c'est à dire de la manifestation de cette existence dans un lieu déterminé, de cette coexistence, soit le plus célèbre possible : La Joconde ; le Pont des soupirs ; les chutes du Niagara ; tout ce qui dans ce monde est supposé comme méritant d'être vu dans une vie bien remplie. En parodiant Descartes et son « je pense, donc je suis », on pourrait lui substituer « j'y étais donc j'existe »... autant que La Joconde ou les chutes du Niagara.

Pour autant, cette analyse est fausse, car, à notre sens, il n'est pas question d'hiccéité mais de contemporanéité. Il s'agit moins, en fait, d'affirmer qu'on y était, que d'attester qu'on y était à un moment.

Essayons d'entrer dans cette distinction qui peut sembler ténue. Il est frappant de constater que le tourisme de masse, sur ces photographies prises par soi-même, incite à substituer n'importe quoi à n'importe quoi, à la condition que la personne qui regarde la photographie puisse reconnaître sans difficulté excessive de quel lieu il s'agit. Dans la plupart des cas, la personne qui regarde la photographie ne demandera pas : « c'était où ? » mais « c'était quand ? » Voyons-y pour preuve qu'il est bien ici question de temps et non de lieu. Rapporté à la manifestation de l'ego par la photographie - ce que les Québécois nomment très justement ici « egoportrait » - le selfie atteste de l'existence simultanée du monde et de soi. On pourrait objecter qu'il s'agit plutôt de la coexistence de soi et du monde. Soit, car le terme « existence » intègre la notion du temps qui passe.

Mais alors, pourquoi multiplier les egoportraits ? La réponse est simple : parce que le temps passe. Dans un strict rapport d'hiccéité, un et un seul egoportrait suffirait. Dans un monde qui ne peut se définir en dehors du fil du temps, apporter la preuve de son existence, de sa coexistence tout au long du temps supposerait un égofilm continu depuis la naissance jusqu'à la mort. Ne nous y trompons pas, c'est fantasmatiquement là que conduisent les réseaux sociaux et les images qui les nourrissent.


Si nous ne répugnions pas à la cuistrerie, nous pourrions affirmer que ce n'est pas l'hiccéité qui fait l'eccéité, en rappelant que l'eccéité désigne l'ensemble des caractères qui font qu'une chose est une chose particulière.









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4e de couverture






Nous passons beaucoup de temps à nous préoccuper du temps. Non pas du temps qu'il fait, mais du temps qui passe. Ce temps, nous l'avons que nous ne avons pas, que nous ne l'avons plus, ou dont nous avons encore un peu. Passé, il forme des souvenirs, des regrets. À venir, il suscite de l'espoir, des craintes ou des promesses. Parmi toutes les propriétés que nous attribuons au temps vécu par l'humanité, qui est donc principalement un temps anthropomorphe, le philosophe et psychanalyste Daniel Diégèse s'intéresse à l'une d'entre elles, une propriété que nous attribuons au temps presque à son insu : la simultanéité. On sait que la possibilité que deux événements se déclenchent exactement en même temps est très faible, quasiment irréalisable. Pourtant, nous passons notre temps à jouer avec les simultanéités, qu'elles soient souhaitées et même sollicitées quand nous mettons en marche un appareil électrique, ou supposée fortuites, voire accidentelles. Gustav Diégèse montre, exemples à l'appui, que nous attachons grand prix à la simultanéité, jusqu'à en faire parfois un des éléments déterminants sinon magiques de notre vie. Qu'y a-t-il en effet derrière cette croyance insensée que deux événements peuvent être simultanés alors qu'ils ne le sont jamais vraiment ? Quelque chose de notre être au monde... La preuve sans cesse réfutée de que nous donnerait la simultanéité de notre présence au monde. J'existe puisque cela se passe en même temps que moi...










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