Diégèse




mardi 19 mars 2019



2019
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Il faudrait pouvoir se rappeler précisément les jours de pluie 78



Mathieu Diégèse














La pluie formait sur le chemin carrossable une grande flaque d'eau. C'était une de ces flaques qui ne veut pas en rester à sa condition de flaque, cette condition incidente et gênante vouée à l'assèchement après n'avoir procuré que des inconvénients. Elle était alimentée par les ravines du coteau qui la surplombait par mille ruisseaux éphémères et improvisés qui, chacun, traçait son chemin de pluie dans la garrigue. Cette flaque ne comprenait pas pourquoi d'elle on faisait grand-cas, les promeneurs râlant et inventant des subterfuges pour l'éviter, et les rares véhicules ne la laissant pas suffisamment en paix pour que se déposât en son fond le limon qui la troublait. Elle valait bien un lac ou au moins un étang et pouvait, elle aussi, attraper le soleil quand il revenait. Les animaux ne s'y trompaient d'ailleurs pas qui, en ces contrées sèches, venaient parfois y boire le soir venu. Certains oiseaux s'y baignèrent même sans qu'on pût cependant l'attester. Mais, peu importait. Il fallait qu'elle disparût, gênant moins la circulation qu'elle semblait dénoncer le manque d'entretien du chemin et qu'elle tachât surtout de boue tout ce qui l'approchait de trop près.

La flaque était vouée à disparaître à plus ou moins long terme. Elle se consolait se disant qu'elle ne serait pas le premier lac qu'on assécherait.

Un enfant passa, pressé sans l'être comme l'est le jeune âge, occupé de tout et de rien, allant ne sachant où avant de revenir. Il la considéra, d'emblée ne lui niant en aucune manière sa nature lagunaire et la jugeant dans l'ordre des flaques, des étangs et des lac d'une importance certaine. Mais, ce qui le frappa, c'était moins la flaque que ses eaux prisonnières et qu'une méchante vasque creusée dans le chemin arrêtait le ruissellement de l'eau gorgée de bruyère, de thym et de romarin sauvage. Il étudia d'un œil averti la géologie du lieu, s'empara d'un bâton, déçu ne de pas avoir pensé à prendre avec lui un outil plus solide. Le remblai lui permettait d'imaginer un canal qui déverserait dans la pente en aval. Il s'y employa. Après quelques minutes, le mouvement s'amorça et l'eau circulant paracheva son œuvre. Peu à peu, la flaque s'y vida, libérée de son eau. Disparue, elle était aussi libérée du peu de considération dans laquelle elle avait été tenue.









page 78










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4e de couverture






Nous sommes transformés par la pluie.

C'est l'hypothèse du narrateur du dernier récit de Mathieu Diégèse : Il faudrait pouvoir se rappeler précisément les jours de pluie. Alors, au motif de son écriture, et pour vérifier cette hypothèse, le narrateur ne sort plus de chez lui que quand il pleut et passe les autres jours à tenter de se rappeler les jours de pluie. Les sons, la lumière, les conversations, les ambiances, la nature qui parfois s'ébroue, mais aussi les flaques, les éclaboussures... Mot à mot, pas à pas, jour après jour, ce narrateur écrivain construit la grammaire et le lexique de la pluie. Il parvient ainsi, doucement, mot à mot comme des gouttes, à cerner les raisons qui font que la pluie est plus poétique que le soleil, et même que la neige, dont il affirme qu'elle est une imposture.

Ce petit texte est un bonheur. Lisez-le. Il ne vous fera peut-être pas chanter et danser sous la pluie - ou dans la pluie disent les anglophones - mais il vous la fera aimer davantage, vous consolant ainsi de toutes vos vacances pluvieuses qui, rétrospectivement, ne seront plus gâchées.










19 mars







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