Je suis retourné à Venise en novembre, le 10 novembre au soir, j'ai pris le train à la gare de Paris-Bercy. C'était un mercredi soir. Le train n'était pas plein malgré le long week-end qui s'annonçait. J'aime arriver en train le matin à Venise, encore davantage en hiver. Il fait nuit ou presque. Dans mon souvenir, il fait nuit.
Je suis descendu à l'hôtel Bellini à Cannaregio. Il est près de la gare, loin de la biennale, inaccessible pendant la semaine d'ouverture, plus accessible en novembre à la condition de s'y prendre assez tôt. Je me demande pourquoi les gens continuent d'aller à Venise pendant la semaine d'ouverture de la biennale. Tout y est bondé, les vaporetti comme les hôtels. Quand on en a encore l'âge, on paye des sommes folles pour un lit dans un dortoir avec une salle de bain commune. Puis, on n'a plus l'âge et l'on ne voudrait pas paraître importun en exhibant un corps vieilli au milieu d'une jeunesse fatiguée par les cocktails et la fête.
De toute façon, cette année là, l'année d'Harald Szeeman, il fallait aller à Venise au début de l'hiver, en espérant y trouver de la brume. Est-ce que l'on savait qu'il serait aussi commissaire pour la biennale suivante en 2001 ? Je n'en suis pas certain. J'avais lu avant d'arriver que la biennale s'augmentait cette année-là de 4000 mètres carrés supplémentaires dans l'enceinte de l'arsenal et cela pouvait accroître encore ma fatigue.
Pourquoi de la brume ? Je rêvais d'arriver dans la brume vénitienne aux portes du pavillon belge que l'artiste Ann Veronica Jannsens avait empli de brouillard artificiel. J'y suis resté longtemps. Il y avait aussi des œuvres de Michel François, je crois.
Le monde international de l'art attendait le troisième millénaire. La mode était à la Chine. C'était un temps béni pour les commissaires. Leur prince était aux manettes et celles et ceux qui avaient découvert ce nouveau métier de la mise en spectacle de l'art s'en donnaient à cœur joie, voyant dans le continent chinois un nouvel eldorado de biennales et de « solo shows. »
Mais, qu'est-ce qui était visionnaire à Venise en 1999 ?
Peut-être cette tête hurlante de Louise Bourgeois, aux orbites énucléées, cousue de pièces comme un ballon invitant à la pousser du pied. Je ne peux désormais voir cette œuvre sans penser à la date qui a inauguré véritablement le vingt-et-unième siècle, le 11 du mois de septembre 2001 à New-York.
La pièce s'intitule : Why Have you Run so Far Away ?
Mais, il se souvient de toutes ces biennales, de la foule, et Venise peu à peu s'efface et ne demeurent que les œuvres et le souvenir de marches interminables à travers une ville qui d'années en années change tout en ne changeant pas.
Ce livre est une bien belle occasion de parcourir l'art de ces soixante dernières années. Les illustrations sont superbes et très souvent inédites. Si l'on connaît Venise, on se surprend à prolonger la mémoire du narrateur, à la contredire parfois, puis on part sans lui dans son propre voyage. Et si l'on ne connaît pas Venise, on referme le livre certain que cette fois, on ne manquera pas la prochaine édition de la plus attachante exposition d'art au monde.