Diégèse




lundi 18 novembre 2019



2019
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Mathieu Diégèse




« L'agglo » a décidé de relancer l'implantation d'entreprises dans la tour dans le cadre de son programme « Territoire d'avenir et de compétitivité ». Son programme de pépinière d'un nouveau type a été récemment labellisé par le Secrétariat d'État à l'économie compétitive et solidaire qui a été mis en place dans le dernier gouvernement au sein du Ministère de l'économie, de l'intérieur et de l'éducation nationale et compétitive. En effet, le Président de la République fraîchement élu, déplorant le peu de coordination entre les ministères, a décidé de rassembler dans un seul grand ministère ceux qui « touchent directement la vie des gens ». Bien sûr, ses propos ont soulevé une polémique, certains de ses opposants arguant que tous les ministères « touchent la vie des gens », que c'était au Premier Ministre de coordonner l'action des ministères et aux préfets de le faire au niveau déconcentré de l'État. Mais, la composition du gouvernement était faite et il faudrait attendre un remaniement ou de prochaines élections pour que cela change. Ainsi, les ministères de la Santé, du Travail et des Affaires Sociales ne faisaient plus qu'un eux aussi. Le Ministère de la Justice était resté tout seul. Les petits ministères avaient été regroupés dans un Ministère de la Qualité de la Vie. On y trouvait le Sport, la Culture, les Loisirs, les Vacances et les Transitions des Modes de Vie. Bien sûr, les hybridations étaient encouragées : le sport créatif et cultivé, la culture sportive, les vacances sportives et créatives... Le Secrétariat d'État aux Transitions des Modes de Vie avait pour objectif d'accompagner les citoyennes et les citoyens dans les nécessaires changement de leurs modes de vie et surtout de consommation pour mieux prendre en compte le réchauffement climatique, notamment. La première initiative du tout jeune secrétaire d'État avait été de lancer une opération intitulée « covoiturage habile » avec une appli spécifique. Malheureusement, un journal d'investigation avait révélé que celle-ci avait été développée par la start-up de son cousin et largement subventionnée avant même la passation du marché public. Mais, la doctrine du nouveau Président s'agissant de ce genre de révélations était claire : « nous ne gouvernerons pas sous la pression populiste de la moralisation de la vie publique ». Au moins les choses étaient dites. Le jeune secrétaire d'État était resté en poste et le covoiturage avait peut-être gagné en agilité. Il avait pensé sortir la V2 avec reconnaissance faciale généralisée, mais le Cabinet du Premier Ministre l'en avait dissuadé. Il ne fallait quand même pas exagérer.

« L'agglo » avait donc répondu à ce récent appel à projets, ou plutôt à ce dernier AMI. Rien à voir avec l'amitié, il s'agit d'un « appel à manifestation d'intérêt ». En effet, ce gouvernement a décidé de gouverner principalement en publiant des AMI. Ceux qui rencontrent un intérêt sont conservés et ceux qui ne rencontrent pas d'intérêt sont oubliés. Au sein des ministères, les haut.e.s-fonctionnaires sont primé.e.s en fonction des AMI qu'elles et ils ont proposés et qui ont suscité un intérêt. La lutte est féroce. Le bureau des Loisirs Musicaux de la Direction Générale des Arts Vivants pour le Public du Secrétariat d'État aux Loisirs Intelligents avait ainsi eu l'idée de proposer un « pass opéra » qui offrait une dixième place gratuite pour neuf places achetées. Le dispositif avait rencontré un certain succès chez les amateurs d'opéra. Il était cependant vite apparu que, très largement, ce « pass » ne concernait que celles et ceux qui allaient déjà à l'opéra. Mais, là encore, peu importait. Cela entrait parfaitement dans la politique « d'intensification des pratiques » du Secrétaire d'État qui consistait à encourager la population à faire davantage ce qu'elle faisait déjà pour qu'elle ne s'éparpille pas.









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4e de couverture






Il travaille dans un de ces « quartiers d'affaire » que l'on trouve désormais dans chaque métropole. Ce n'est pas le plus prestigieux, ce n'est pas la plus grande métropole. Il garde la tour Océane, qui s'est appelée autrement auparavant. Il ne se souvient plus. Il a oublié. Cela n'a pas grande importance. Les habitants du quartier, enfin, ce qui reste des habitants du quartier, l'appellent seulement « la tour ». Les ascenseurs fonctionnent plus ou moins. Des étages entiers sont vides et condamnés. Trop cher à l'entretien ! Mais, lui, il est le gardien de la tour. Alors, il reste. Il voit passer chaque matin celles et ceux qui viennent travailler ou faire semblant de travailler. L'économie a tellement ralenti ces derniers temps que beaucoup de jeunes entrepreneurs qui ont été installés là dans le cadre d'un de ces programmes d'aide à l'entrepreneuriat qui se nommait « numérique développement tremplin avenir » ne viennent plus le matin que pour pointer et toucher l'aide de l'agence qui les « accompagne  »... Comme lui, ils restent.
Mathieu Diégèse décrit avec une précision acide les faux-semblants du développement économique territorial, les slogans à la noix et à la mode concoctés par des communicants écervelés, des élu.e.s coupeurs de ruban ânonnant des discours préparés par des stagiaires indemnisés à coups de tickets restaurants...
Lisez ce roman et, c'est certain, vous en sortirez adepte de la décroissance et n'aurez de cesse que de développer un lopin de permaculture quelque part dans les Cévennes.










18 novembre






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