Ils pourront bientôt sortir. Le temps est maussade mais il ne fait pas froid.
Enfin, les jardiniers disparaissent. Ils descendent. Aujourd'hui, Lambert n'a pas envie de parler. C'est plutôt qu'il ne peut pas parler. Il revient de sa visite hebdomadaire au département d'oncologie de l'hôpital. Il sait que ces visites n'ont pour seul objectif de déterminer quand il faudra programmer son entrée dans une unité de soins palliatifs. Les médecins lui ont expliqué avec beaucoup de précautions que la forme de cancer qu'il avait ferait que son état général se dégraderait rapidement et qu'il ne faudrait alors pas tarder à entrer dans ce type de protocole dans une maison spécialisée, qu'il fallait qu'il prît ses dispositions. Lambert avait donc pris ses dispositions, c'est à dire qu'il avait regardé sur l'internet les adresses des unités de soins palliatifs les plus proches. Il y en avait justement une à côté de l'EHPAD, mais, il se demandait si ce serait une bonne idée. Sa grand-mère pourrait tenter de venir le voir et cela, il voudrait l'éviter. Alors, c'est cela qu'il remue dans sa tête, pensant qu'il s'agit d'une situation absurde. On ne réserve pas de place dans un service de soins palliatifs comme on réserve une chambre d'hôtel dans une station balnéaire, ni comme on réserve une place en crèche pour l'enfant qui va naître. En cela, la prescription des médecins lui enjoignant de « prendre ses dispositions » était ridicule. On devrait quand même mieux les former, se dit-il.
Comme souvent, sinon toujours, c'est sa grand-mère qui parvint à le sortir de son mutisme esseulé. « Est-ce que tu t'es occupé du cimetière ? » lui dit-elle soudain dans un saut temporel cocasse. Il est vrai que c'est un de leurs sujets de conversation favori. Le caveau familial se trouve dans une province si reculée qu'ils ne sauraient pas le retrouver. Les derniers membres de la famille qui sont morts ont choisi d'être incinérés et de faire disperser leurs cendres dans des endroits qu'ils aimaient. Mais, Lambert et sa grand-mère, à contre-tendance, ont choisi de préparer une concession perpétuelle dans un cimetière de l'Essonne et de faire réaliser une pierre tombale par un de leurs amis artistes. Lambert a promis à sa grand-mère de suivre les travaux et de prendre des photos de leur avancement. « Il n'y a aucune raison de supporter le mauvais goût des marbriers pendant les quelques années où la tombe subsistera. Ce serait quand-même le comble d'avoir cherché le juste et le beau toute sa vie pour reposer sous une pierre taillée en biais ornée de lettres dorées aussi ridicules que celles d'une invitation à un défilé de mode ! » Ils en avaient bien ri et ils s'étaient mis d'accord avec leur ami sur une pierre au style néo-industriel qu'ils aimaient beaucoup. « Au lieu de perdre ton temps avec des choses incertaines, occupe-toi de la tombe ! Ça au moins, c'est du solide ! » Elle avait gagné, comme toujours. Lambert sourit puis rit franchement.
Ils rentrent vers la chambre en faisant attention de ne pas glisser. Les jardiniers sont partis et les feuilles ont recommencé à recouvrir les allées.
Un livre magnifique qui donne une belle leçon d'amour de la vie. Et si vous pleurez, vous rirez aussi parfois, mais vous n'en sortirez pas indemne.