Diégèse Les narratrices et les narrateurs
Journal de Danièle en 2003 - 42 jours -
Danièle vit et travaille à Grenoble en Isère.




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mardi 2 janvier 2024 jeudi 2 janvier 2003 On va avoir de la neige cette année. Il y avait trop de monde hier. Mais, quand les vacances scolaires seront terminées, on montera. C'est sûr. Il faut que je me motive, même si je ne skie plus comme avant.

Je suis attristée par l'incendie du château de Lunéville. Les chaînes de télévision m'ont rappelé qu'on l'appelait le « Versailles lorrain ». Cela ne lui a pas évité les flammes. Le nouveau ministre de la Culture, qui est lorrain si ma mémoire est bonne, doit être lui aussi attristé. Je suis sûre qu'il y voit un mauvais présage pour son mandat ministériel. L'avenir le dira. Mais, il va bien falloir vingt ans pour reconstruire le château.




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mercredi 10 janvier 2024
vendredi 10 janvier 2003 On pourrait croire que les conducteurs grenoblois sont équipés pour circuler sur la neige et même qu'ils savent comment circuler sur la neige. C'est sans doute vrai pour certains, mais pas pour tous, si j'en crois la pagaille depuis deux jours. Ce ne sont que quatre ou cinq centimètres, mais la ville est quasiment bloquée.

Je suis donc allée travailler à pied aujourd'hui. Sans surprise, il y avait beaucoup d'absents au bureau. Pas de casse, fort heureusement, en tout cas, pas que je sache. Le Dauphiné libéré fait sa une sur la neige comme si nous étions en Normandie. C'est drôle. Il n'y a que les enfants qui restent zen. On les trimballe sur les pistes pendant tout l'hiver. Ils ont l'habitude. Pendant tout mon périple à pied, je n'ai pas été visée par une seule boule de neige. Alors, j'ai failli viser un groupe d'enfants qui marchait dans la rue. Enfin, je n'ai pas vraiment « failli ». L'idée m'a seulement traversé l'esprit un court instant et m'a fait sourire bêtement.

Parfois, j'imagine quitter Grenoble. Je me demande ce qu'il advient quand on marche pour aller travailler dans des rues que l'on ne connaît pas. Je connais par cœur les rues que j'emprunte et souvent depuis l'enfance. Mais, depuis la rentrée, je m'ennuie. C'est sans doute l'effet de la nouvelle année et de tous ces vœux déversés avec plus ou moins de sincérité...




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samedi 20 janvier 2024 lundi 20 janvier 2003 Dix jours déjà que je n'ai pas écrit ici. Je m'étais fait pourtant la promesse, j'avais pris la résolution d'écrire chaque soir dans ce carnet posé à côté de mon lit. Je n'ai pas réussi, ouvrant parfois le carnet sur une page blanche et restant sèche, ne trouvant rien à écrire. Je suis même allée jusqu'à m'endormir avec le carnet ouvert sur moi, le retrouvant le matin sur le sol, une page un peu cornée.

Pourtant, je me sentais forte de trouver chaque jour quelque chose à noter, parce qu'il y a toujours quelque chose à noter : la trace blanche laissée par un avion dans le ciel ; le cri particulièrement strident d'un oiseau ; le rire de cette femme, là-bas, au fond du café. Mais, j'étais comme intimidée par le carnet lui-même, par l'idée d'écrire quelque chose d'intéressant.

J'aurais dû noter une seule phrase ici. Mais, je me suis fait la promesse de ne rien retirer, de ne rien corriger sauf les fautes d'orthographe. Cette seule phrase, c'est celle-ci :

L'idée de ton oubli.




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jeudi premier février 2024 samedi premier février 2003 Est-ce que je vais pouvoir écrire ici que tu n'es plus là ?

C'est fait.

Tant que je ne l'avais pas écrit, l'absence était moins officielle, moins abrupte, moins définitive.

Mais je viens d'écrire que tu n'es plus là et je me sens encore plus seule.

Où sont celles et ceux qui sont absents ? C'est indécidable. Peu importe que leur absence soit proche ou lointaine, temporaire ou définitive... Notre vie se construit sur toutes les absences, elle se constitue d'absences agrégées. Ce sont ces lampadaires éteints dans la rue là-bas et peu à peu les lampadaires encore allumés se font de plus en plus rares.

Je préfère encore quand je n'arrive pas à écrire, c'est moins déprimant.




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samedi 3 février 2024 lundi 3 février 2003 Donc, tu n'es plus là. Mais qu'as-tu pris avec toi de moi ? Que gardes-tu de moi vivante dans ton absence ? On peut parfois lire et entendre que l'absence dure. L'absence ne dure pas. L'absence est insensible à la durée. L'absence, quand elle est ressentie en tant qu'absence est le présent-même, l'immédiateté-même. Il n'y a jamais plus présent que l'absence.

Maintenant, tu n'es plus là. Et maintenant encore et encore maintenant. L'absence est ce qui laisse entrevoir le mieux ce que pourrait être l'éternité, l'éternité éternelle.

Je vais chercher quelles sont les représentations de l'absence et les théorisations de l'absence qui me plaisent et qui viennent à moi. Je commencerai sans doute par Orphée et Eurydice. Je vais relire le mythe et tenter d'éprouver ce qu'il me dit, ce qu'il me fait.




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mercredi 21 février 2024 vendredi 21 février 2003 Depuis presqu'un mois déjà, j'essaie de me mettre à distance de ma peine, de ce sentiment inextinguible du manque par une démarche que je pourrais qualifier d'anthropologique. Qu'est-ce qui, dans ce manque, somme toute anodin, me relie à l'humanité toute entière, du passé jusque dans l'avenir ?

Tu n'es plus là. Mais, à ce que je sache, tu n'es pas mort. Si nous en avions décidé autrement, nous pourrions nous parler, nous envoyer des messages, nous voir même. Mais, je sais que si je te voyais et si je marchais devant toi, dès que je me retournerais, tu disparaitrais.
C'est cela que nous dit le mythe d'Orphée et d'Eurydice, peut-être, c'est que la véritable présence ne peut s'actualiser que par l'absence et même qu'elle n'est qu'absence.

SI je pense à ma grand-mère, décédée il y a une vingtaine d'années, elle est immuable. Sa présence est immuable. Alors que quand elle était vivante, sa présence était intermittente et son déclin douloureux.

Alors, d'où vient l'horrible manque qui me déchire ?




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mardi 27 février 2024 jeudi 27 février 2003 Je me suis dit aujourd'hui que lorsque tout manque, rien ne manque. Puis, je me suis alors souvenue de Marguerite Duras assénant comme elle savait le faire : « C'est par le manque que tout arrive. » De quel manque parlait-elle déjà ? Peu importe et disait-elle d'ailleurs que ce manque était ce qui amenait l'écriture ? Je n'en sais plus rien, si je l'ai jamais su.

C'est très curieux ces profondeurs d'où est venue cette sentence de Marguerite Duras. Qu'y pouvait-elle y côtoyer ? Pourrais-je faire un « Marabout de ficelle » du manque ? Cela ressemblerait vite à une page d'un de ces sites internet qui abreuvent de citations en échange de quelques publicités plus ou moins consenties.

Qui est sujet dans le manque ? En français, c'est ce qui ou ce qui manque. En anglais, le sujet demeure celui qui exprime le manque. Il faudrait que je vérifie comment on dit cela, le manque, dans d'autres langues. L'allemand, à la saxonne comme l'anglais, prétendra : « Ich vermisse das » quand l'italien remettra les choses dans l'ordre du français « mi manca questo ». Resterait à savoir si ces variations autour du sujet changent quelque chose dans la manière de manquer.




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lundi 11 mars 2024 mardi 11 mars 2003 C'est bien la première fois que je trouve quelque qualité à Jacques Chirac, élu par défaut l'année dernière au second tour contre Jean-Marie Le Pen. J'ai voté pour lui et je n'étais pas de celles, de ceux, qui portaient une pince à linge, évidemment grotesque. Chirac a dit non à la guerre contre l'Irak et il a bien fait.

C'est pour moi l'occasion d'explorer un autre usage du verbe manquer que j'affectionne particulièrement. De Chirac, on pourrait ainsi dire, qu'à cette occasion, il n'a pas manqué à sa fonction, voire qu'il n'a pas manqué à l'histoire. Pourrais-je alors dire que m'ayant manquée tu me manques ? Je pourrais l'écrire sans doute, mais le dire, à qui le pourrais-je ?




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jeudi 21 mars 2024 vendredi 21 mars 2003 C'est encore une fois la guerre en Irak et je lis dans le journal que l'invasion terrestre a commencé. Le monde arabe est en ébullition et l'on revoit dans les rues égyptiennes ces manifestations monstres des grandes occasions. Dans le monde arabe et plus largement le monde musulman, l'Irak, l'Irak a une place particulière. C'est en quelque sorte le berceau de l'arabisme. De tous les pays arabes, l'Irak est celui des intellectuels. Bien sûr les dérives du régime baathiste et de son leader ensanglanté ont placé cela au second rang et l'on pense davantage à Al Azhar qu'à Moustansyriah, l'antique université de Bagdad créée à la même époque que la Sorbonne.

Qu'en sauront les soldats, de tout cela, qui piétineront l'asphalte de la route entre Koweït et Bassorah...

C'est aujourd'hui le printemps. Je regarde les bourgeons. Ils me manquent déjà. Je déteste les arbres dont les feuilles sont caduques. Un bourgeon est toujours la prédiction d'une feuille morte.




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mardi 2 avril 2024
mercredi 2 avril 2003
Je suppose que l'armée américaine sera bientôt à Bagdad. C'est une question d'heures, paraît-il, si l'on en croit les médias. Peu importe d'ailleurs, ils auront été à Bagdad dès le premier jour de l'entrée sur le territoire irakien.

Je n'ai pas besoin de faire de gros efforts d'imagination pour me figurer quelles seront les photographies de la ville que la presse accréditée fera parvenir. Une ville comme beaucoup de villes arabes. Des drapeaux irakiens descendus de leur hampe. Des statues présidentielles et tout autant dictatoriales déboulonnées et renversées le tout dans la lumière ocre du désert dérangé.

Et puis ? Qu'en sera-t-il ? Une fois de plus les peuples arabes auront un sentiment d'humiliation. Qui pourrait vraiment croire que la souveraineté du Koweït était la raison véritable de cette guerre. Qu'en sera-t-il des armes de destruction massive supposées. Et si tout cela n'était que mensonge ? On sait que les défaites ont une amertume qui dure plus longtemps que l'effusion de la victoire. D'ailleurs, y a-t-il jamais réellement des victoires ?




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jeudi 4 avril 2024
vendredi 4 avril 2003 Les Américains sont arrivés dans l'aéroport de Bagdad. Toujours pas d'armes de destruction massive, ni dévoilées, ni a fortiori, utilisées par le dictateur irakien. Dans le même temps, l'armée israélienne est entrée dans deux camps palestiniens qui avaient manifesté leur soutien à l'Irak.
Ce qui est étonnant, ce n'est ni cette manifestation de soutien, ni la riposte de l'État hébreu, mais bien qu'en 2003, il y ait encore des camps palestiniens et que Gaza soit encore considérée comme une enclave près de dix ans après les premiers accords d'Oslo. Cela ne finira donc jamais ?

J'ai eu des nouvelles de toi par hasard. Ou plutôt, j'ai vu ton nom dans un magazine spécialisé dans la mécanique automobile. C'était sans doute le nom d'un homonyme. Je n'ai pas le souvenir que tu connaisse quoi que ce soit en mécanique et que cela t'ait jamais intéressé.

Je me souviens de ce long voyage que nous avions fait jusqu'à Algésiras et de nos bivouacs improvisés. Tu avais si peur que la voiture tombe en panne que tu en avais eu mal au ventre. Dans le manque de toi il y a aussi le manque de tes inquiétudes et de tes angoisses, mais pas celui de tes symptômes.




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lundi 8 avril 2024 mardi 8 avril 2003 Les alliés contre l'Irak sont toujours en quête d'armes de destruction massive. Les Britanniques affirment en avoir vu ici quand les Américains sont certains d'en découvrir là. C'est une sorte de jeu de mistigri. Les États-Unis et surtout la Grande-Bretagne sont de très anciennes démocraties et nul doute que leurs dirigeants devront rendre des compte à leurs parlements si ces armes ne sont pas découvertes rapidement.

Dans la même édition du Monde on note que les Américains se demandent si Saddam Hussein est encore en vie après un bombardement massif sur l'une de ses résidences au centre de Bagdad. Il est trop évident qu'il s'agit là encore de diabolisation. Saddam, dans l'imaginaire des Alliés est Hitler quand d'autres quelques années auparavant, d'autres ou les mêmes d'ailleurs, avaient voulu voir en lui le De Gaulle du Proche Orient. Bien sûr, il n'est ni ceci ni cela. Ce n'est pas une personne très fréquentable, bien qu'il ait été beaucoup courtisé, mais il n'est pas nécessaire de tenter de l'assimiler à des personnages historiques de l'histoire occidentale du vingtième siècle. Il a sa propre place.

En écrivant cela, je comprends quelque chose. Tout ce qui me manque est resté au siècle dernier. Ce siècle présent qui commence ne me dit rien qui vaille.




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mercredi 10 avril 2024 jeudi 10 avril 2003 Tiens, maintenant que Bagdad est tombée, il semblerait que les Américains ne sont plus aussi certains que les substances qu'ils ont trouvées étaient bien des armes chimiques. Je lis dans Le Monde que le chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique a demandé un complément d'enquête, ce dont ne s'est pas offusqué le secrétaire à la Défense Donald Runsfeld.

Je lis dans la même édition du quotidien que les hôpitaux irakiens sont bondés et qu'il y a de nombreuses victimes civiles. C'est quand même incroyable, car, il n'y a plus de défense anti aérienne. Le population vit cloitrée, là où elle le peut, et malgré tous ses moyens technologiques, l'armée américaine réussit à tuer des civils.

La guerre est toujours désespérante, c'est au moins une des promesses qu'elle tient.




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lundi 22 avril 2024 mardi 22 avril 2003
C'est une guerre spectacle et il y a des gens qui meurent pour ce spectacle, qui est un spectacle américain.

Désormais, il ne s'agit plus, dans le récit qui est déversé par les médias américains, de rechercher d'introuvables armes de destruction massive, mais de trouver le dirigeant irakien déchu, traqué et de contrer les légendes qui naissent à don endroit.

Je lis dans Le Monde que les services spéciaux américains éditent un jeu de cartes dans lequel chaque carte représente un fugitif recherché, un homme ou une femme à abattre. La carte maîtresse, c'est l'as de pique, celle du mal absolu, qui a été attribuée à l'ex président irakien. Mais un jeu reste un jeu et la symbolique du jeu ne devrait pas servir les desseins de la guerre.

Moi, qui ne suis pas en guerre, je pourrais aussi dessiner un jeu de cartes dans lequel chacune des cartes représenterait un manque, un regret, un oubli. C'est une idée que je conserve.





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dimanche 28 avril 2024 lundi 28 avril 2003 Dans les films, souvent, les fantômes se manifestent par des bruits ou encore par des reflets. Je me rends compte qu'il y avait de nombreux moments où je ne savais pas si je te voyais, si je t'entendais ou bien s'il s'agissait de ton reflet ou du reflet de tout autre chose, d'un autre bruit, proche ou lointain. C'est ainsi que je comprends soudainement qu'il y a toujours de l'absence dans la présence et que les moments d'incertitude que nous avons maintes fois au cours de la journée, de la nuit sont des moments de préparation à l'absence définitive. Mais, l'assertion est réversible. Il y a bien de la présence dans l'absence puisque les moment d'incertitude persistent longtemps après l'absence, provoquant à chaque fois cette algie particulière du retour communément appelée nostalgie.

Le phénomène est plus perceptible le soir, s'agissant des reflets et la nuit, s'agissant des bruits. Ce sont les moments privilégiés par les fantômes pour se manifester. Peut-on jamais s'y habituer ?




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jeudi 2 mai 2024
vendredi 2 mai 2003
Ce qui me frappe dans la guerre en Irak, c'est que les forces d'opposition internes au dictateur irakien n'ont pas été mobilisées, voire utilisées, par le gouvernement américain dans son attaque contre l'Irak et cela n'augure rien de bon. Encore dans les années 1960, en France, on pouvait voir sur les ponts, parfois, le slogan « US GO HOME ». Pourtant, les troupes américaines avaient été celles de libérateurs, avec d'autres pays alliés, d'une occupation étrangère parmi les plus brutales, et la plus funeste. C'est sans doute pour cela que la geste de la Résistance intérieure, pour glorieuse qu'elle ait été, a très tôt été magnifiée. Il fallait que quelque part, la France eût pu se libérer par elle même du joug teuton. Cela était conforme à son histoire légendaire, telle que formée notamment après la défaite de 1870. Les alliés ne pouvaient être que des alliés. Par ailleurs, ce « US GO HOME » faisait fi du fameux plan Marshall d'aide économique. Ainsi, penser que l'Irak sera reconnaissant aux États-Unis d'avoir été libéré, après une guerre déclenchée illégalement, d'un pouvoir tortionnaire est une gageure. Dès qu'ils le pourront, s'ils le peuvent un jour, les Irakiens se débarrasseront de ceux qui ont été, qui sont et qui demeureront des ennemis du peuple arabe.




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vendredi 10 mai 2024 samedi 10 mai 2003
Je me souviens du 10 mai 1981. C'est loin maintenant.

Je lis dans Le Monde daté de ce jour des extraits du procès de Patrice Alègre. Il s'agit de savoir si l'affaire doit être rouverte pour y adjoindre de nouvelles victimes. Ce que j'en lis est insoutenable. Serait-il donc possible que le mal soit ainsi incarné ?

De quoi Patrice Alègre a-t-il manqué dans l'enfance ? D'amour évidemment ! Pour autant, toutes les personnes qui ont manqué d'amour ne deviennent pas des tueurs en série. Par exemple, moi, je n'ai tué personne. L'une des prostituées qui a assisté au meurtre sauvage de Line Galbardi en 1992 évoque chez le tueur comme un dédoublement de la personnalité et fait référence au film L'Exorciste. Elle décrit un homme excité par l'accès de violence qui l'anime. Quelle est cette violence ? Quelle est la jouissance de cette violence ? D'où cela vient-il ?

Je pense que c'est pour cela que les hommes ont dû inventer le concept de mal.




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mardi 14 mai 2024 mercredi 14 mai 2003 C'est Patrice Chéreau cette année qui préside le festival de Cannes. Je n'ai pas souvenir l'avoir jamais vu à Grenoble et j'étais trop jeune pour descendre à Villeurbanne quand il était au TNP avec Planchon et Gilbert au milieu des années 1970. À vrai dire, c'est moins que j'étais trop jeune que je ne m'intéressais pas assez au théâtre pour savoir qu'il naissait là une des plus grandes aventures théâtrales françaises et européennes. En fait, j'avoue que je n'ai jamais rien vu de Chéreau. Aller à Nanterre dans les années 1980 pour Combats de Nègres et de chiens, de Koltès, avec Piccoli, demandait un argent que je n'avais pas. Je ne crois même pas avoir vu son film, tourné à la même époque, dont le scénario est écrit avec Hervé Guibert, L'Homme blessé. Il a pourtant dû passer à Grenoble. Je l'ai manqué. Maintenant, Chéreau est statufié et je n'ai pas le cœur à m'intéresser à une statue. Mais c'est Chéreau jeune qui me manque. C'est ainsi que peut manquer aussi quelqu'un que l'on n'a pas connu.

Si je suis cette pente, Proust me manque aussi, mais aussi Maupassant. Ce qui est incroyable avec le manque, c'est que par agrégation l'humanité entière peut y passer, celle d'aujourd'hui comme celle du temps passé.




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jeudi 27 juin 2024
vendredi 27 juin 2003
Il y a parfois dans le journal des informations qui rassurent, comme celle publiée dans Le Monde à la date d'aujourd'hui, qui annonce que M. Le Pen a été débouté par la justice de ses attaques en diffamation contre le quotidien du soir. Le jugement précise qu'il ne s'agit pas de confirmer ou non que M. Le Pen a torturé en Algérie, mais que le journal, par les témoignages qu'il avait recueillis, était fondé à l'écrire dans un souci légitime d'en informer ses lecteurs. Le président du Front national a fait appel de cette décision.

Qu'il fasse appel ou non, qu'il gagne ou perde, il n'en restera pas moins un odieux personnage. Cependant, sa personne qui agit comme repoussoir pour tant d'honnêtes gens, n'est pas éternelle et ce que je constate doit aussi être constaté en interne de l'organisation frontiste. Certes, il y a sa fille Marine, qui m'a l'air déterminée. Mais, elle a un défaut qu'elle ne peut corriger : elle ressemble à son père. Elle lui ressemble terriblement, avec la même mâchoire carrée et le même timbre de voix. Nul doute qu'ils parviendront un jour à trouver une effigie plus présentable. Et ce ne sera pas drôle.

Grenoble est sous l'été. Il fait très chaud. Il ne fait pas assez chaud pour que je n'aie pas froid.




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lundi premier juillet 2024
mardi premier juillet 2003
Les festivals tombent les uns après les autres. La maire d'Aix-en-Provence et celle d'Avignon se rejoignent pour crier à la catastrophe. Elles sont pourtant du même parti et de celui qui gouverne. C'est donc que l'on peut penser ceci à Paris et cela plus au sud. Mais, il n'y a pas qu'au sud que le combat pour l'intermittence prend ce tour si spectaculaire qu'est la mise à l'arrêt des festivals. À Carhaix aussi les Vieilles Charrues ne labourent plus. Tout le monde y va de sa complainte sur l'impact économique négatif pour les territoires. C'est donc bien que ces festivals, il en va d'évidence, ont un impact économique positif quand ils se tiennent. Est-ce bien cela l'important cependant  ?

Je ne sais pas ce qu'il en est ici, mais, je suppose que les manifestations estivales sont aussi suspendues. Grenoble n'est jamais en reste dans la contestation pour l'art et le culture et la ville demeure solidement à gauche.

Je ne sais pas depuis combien de temps je ne suis pas allée écouter un concert. J'y allais parfois avec toi et peut-être y vas-tu encore, toi... Désormais, je n'y pense même pas. Je suis très étrangère à l'idée de m'asseoir pour écouter de la musique pendant une heure ou deux. Les jeunes, c'est bien sûr différent. Ils bougent, dansent, communient. Mais, moi, m'asseoir seule dans le silence de la musique. J'évoque le silence de la musique, qui est certes un oxymore, car la musique m'est désormais silencieuse. Je l'entends, mais je ne ressens rien à son écoute. C'est juste comme un peu plus de bruit.




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mercredi 3 juillet 2024 jeudi 3 juillet 2003 Il fait de plus en plus chaud. J'ai lu que plusieurs trains entre la France et l'Italie avaient été arrêtés par les Suisses car les voies étaient trop dilatées. Il est inquiétant, même si ce n'est pas si surprenant, que la situation des voies n'aient pas alerté ni la SNCF, ni Trenitalia. Encore s'agissait-il de ce train de nuit qui part de Paris et va jusqu'à Venise.

Je rêve d'aller à Venise, mais ni en train, ni en avion. Je voudrais aller à Venise en voiture et la laisser sur un de ces immenses parkings du côté de Mestre sous des pergolas installées pour l'été et puis prendre le train qui traverse la lagune ou bien encore le vaporetto.

Je crois que je serais bien à Venise. C'est, je pense, la ville d'un trop qui manque. L'expression est étrange. La beauté de la ville, les canaux, les musées, les églises, la circulation sur des autobus flottants... tout cela sature la ville qui, dans le même temps, semble la ville des splendeurs passées, mais de splendeurs qui n'auraient jamais été des splendeurs de leur temps. Venise serai tune ville née délabrée, comme je serais née, comme j'en ai parfois l'impression, un femme triste et qui manque.

Car, reviendrais-tu que tu ne comblerais pas ce manque. Tu n'en es en fait que le support fantasmatique.




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dimanche 7 juillet 2024 lundi 7 juillet 2003 Alors je suis partie en voiture. Je suis à Turin. C'est ma première étape sur la route vénitienne. Il y avait un peu de circulation et il faisait surtout très chaud. Je me souviens de l'enfance, quand les voitures n'étaient pas climatisées et que nous roulions toutes les fenêtres ouvertes avec des foulards autour de la tête. Cela se terminait souvent par des otites ou des escarbilles dans les yeux, et parfois les deux.

Quand je pense à ce qui me manque et à qui me manque, ni l'enfance, ni personne de l'enfance ne me manque vraiment. L'enfance n'est pas un état, contrairement à ce que l'on veut bien en croire, c'est une classe préparatoire avant l'entrée dans l'âge adulte qui est une sorte de conservatoire. Entre les deux, il y a ce que l'on a nommé l'adolescence et qui marque le début de la période temporaire pendant laquelle on peut procréer. Mais ce n'est pas un état non plus, c'est une sorte d'examen probatoire que l'on ne réussit pas souvent.

Je pourrais rester à Turin. C'est une ville possible où je me sens encore possible, reprenant en cela les propos de Nietzsche sur la ville. C'est aussi la ville où il a eu ses dernières crises de démence. Il faut donc que je fasse un peu attention.

Je devrais voyager plus souvent. Le voyage estompe et même éteint les symptômes du manque. C'est sans doute qu'il laisse plus de place à l'avenir.




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mardi 9 juillet 2024 mercredi 9 juillet 2003 Je suis restée à Turin et je vais y rester un peu encore. Cette ville m'attache et surtout, alors que ce ne m'était pas arrivé depuis des mois, ici, le manque est absent.

Je ne sais pas encore déterminer très bien ce qui éteint ce manque lancinant, car, ici non plus, tu n'es pas. Mais, à Grenoble, tu es à chaque coin de rue et tu es en bas de l'immeuble quand je rentre, potentiellement, mais c'est ce potentiellement qui m'épuise sans cesse. Ici, à Turin, des personnages de films italiens pourraient surgir. Une harangue d'un vendeur de légumes suffit à me faire sourire.

Peut-être devrais-je aller à Naples. C'est un autre Italie, que l'émigration a rendu populaire.

Mais non, j'aime Turin et je vais y rester.





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vendredi 19 juillet 2024 samedi 19 juillet 2003 Cela va bientôt faire deux semaines que je suis à Turin et rien ne me presse de rentrer. J'adore vraiment cette ville, qui, je pense, devrait être rattachée à la France d'une manière ou d'une autre. N'a-t-elle pas abrité Charlemagne, qui, comme chacun sait depuis Sheila dans les années 1960, a inventé l'école. À moins que ce ne soit depuis France Gall, quand Sheila proclamait quant à elle que l'école était finie.

Peu importe. Il y a longtemps que je ne suis pas allée à l'école, mais, je vais justement y retourner, peut-être, pour apprendre plus d'italien que je n'en sais en bredouiller.

En fait, quand on est à Turin, on est en Italie sans être en vraiment en Italie. On est juste assez loin pour oublier ce qui, chez soi, de l'autre côté de la montagne, manque, sans que ce qui ne doit pas manquer... manque. En fait, ce n'est pas une ville, c'est un soin palliatif.

La ville se prépare ardemment à accueillir les jeux olympiques d'hiver. De toute façon, je ne pense pas que j'aimerais Turin l'hiver.

En fait, j'aime Turin parce qu'elle ressemble beaucoup, en plus grand, à Grenoble, mais que tu n'y es jamais venu.







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mercredi 31 juillet 2024 jeudi 31 juillet 2003
Je quitte Turin demain. Même si rien ne m'y oblige, il y fait désormais une chaleur étouffante et j'ai soudainement eu envie de mer Méditerranée. Cela prouve d'ailleurs que Turin m'a fait le plus grand bien. Le seul fait que j'aie envie de quelque chose est un pas phénoménal vers la sortie de mon spleen chronique. J'ai même trouvé ma destination sans hésiter pendant des heures. Il fallait une ville côtière qui ne soit pas seulement une station balnéaire sans être une mégapole. Il fallait que ce ne soit pas trop loin de Turin pour que je puisse faire facilement le voyage en voiture. Il fallait enfin que je trouve un endroit pour dormir qui soit dans mes prix.

Je sais bien que je suis en train de me ruiner et que l'hiver sera frugal. Ce n'est pas que je sois dispendieuse, c'est que j'ai de petits moyens. Cela fait en effet plus de trois mois que je suis en arrêt maladie et je suis à demi salaire. Si je suis encore suffisamment en forme en septembre, je tenterai de reprendre le travail.

Je vais donc à Arenzano. Je crains que l'hébergement soit un peu cher, mais, je vais chercher de l'autre côté de l'autostrada dei fiori, qui est le plus joli nom d'autoroute que l'on puisse imaginer. L'autoroute des fleurs...

Ce serait pour autant faux d'écrire ici que le manque a cessé. Le manque est là, mais ce qui s'est éloigné, c'est la blessure.




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mardi 6 août 2024
mercredi 6 août 2003
Comment ne voudrait-on pas être italien en Italie sur le bord de cette côte merveilleuse ? C'est à croire que ce sont les Italiens qui ont inventé la plage... à l'italienne. Comment traduire en effet « lungomare » ? Ce n'est à l'évidence pas un quai. De l'autre côté de la frontière on dit « promenade », « croisette » ou encore « corniche ». Mais tous ces termes ne remplacent pas « lungomare », ce lieu privilégié de la « passeggiata », la promenade à pied ou en voiture qui permet de se regarder, de se jauger, de s'allumer à tous les sens du terme. Je ne sais combien de litres d'essence, de litres de parfums divers, et de tonnes de maquillage sont dépensés chaque année pour la passeggiata italienne. J'y vais quant à moi le soir comme on va au spectacle. Je m'assieds un peu à l'écart avec cette boisson qui commence à être à la mode, qui viendrait de Venise et que l'on appelle « Spritz ». Je sirote et je regarde et je m'amuse beaucoup.

Oui, je m'amuse. Il y a quelques semaines, je n'aurais pas cru cela possible. Je n'aurais pas cru possible, même, d'utiliser ce mot.

L'Italie me fait beaucoup de bien. Quand j'arrive à oublier que ce serait mieux si tu étais là, avec moi, plutôt que dans ce lieu indéterminé où tu es, sans moi.




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lundi 12 août 2024 mardi 12 août 2003 Je voulais passer une nuit au Grand-Hôtel d'Arenzano, avec une chambre face à la mer, dans les étages supérieurs pour dépasser l'alignement des cabines bleues et le fouillis de la « passeggiata » incessante. Du temps passé, demeure aussi, sur ce « lungomare » une station essence, vestige du temps où les voyageurs argentés appréciaient sans doute de pouvoir faire de l'essence jusqu'à côté de leur lieu de villégiature. Aujourd'hui, on ferait sans doute autrement. De toute façon, je ne pourrai pas dormir là. C'est plein et beaucoup trop cher.

J'ai pris le train jusqu'à la gare suivante, Genova Vesima, qui ne dessert que la plage et ses cafés. Je suis restée un peu, attendant le dernier train du retour, au Café de Mar et l'espace d'un instant, j'ai pu oublier que nous n'étions pas venus ici ensemble. Alors, j'ai pu penser que les lieux où nous n'étions pas allés ensemble étaient si nombreux qu'ils étaient, littéralement, innombrables. Le monde ne se divise pas entre les lieux où nous étions et les lieux où nous n'étions pas. Les lieux où nous étions, même, ne sont plus les lieux où nous étions puisque nous n'y sommes plus.

J'ai pensé aussi que cette dame triste et seule au Café de Mar, qui attendait son train était peut-être séduisante. Je suis partie avant de vérifier cela, comme à chaque fois que l'idée me prend que je pourrais séduire.




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lundi 26 août 2024 mardi 26 août 2003 Je vais peut-être aller à Venise, tout compte fait. Après ce séjour à Arenzano, Venise ne me semble plus aussi lointaine, inaccessible, presque dangereuse. Je me souviens de cet amour d'adolescente à qui j'avais promis de ne jamais aller à Venise sans lui. Cette promesse jamais tenue, mais jamais démentie, il est temps de la dénouer. Je ne sais plus rien de celui qui était alors un adolescent aussi adolescent que j'étais adolescente. Je ne suis pas certaine d'ailleurs d'avoir envie de le revoir. Je pense que l'on dirait aujourd'hui que c'est une personne toxique.

Je vais rentrer à Paris via Grenoble. C'est encore le plus simple et depuis Paris, je prendrai le train de nuit. Il y en a un le jeudi, je crois. Je vérifierai plus tard. De toute façon, il y en a plusieurs par semaine. Je vais même m'offrir une cabine individuelle. C'est plus facile quand on est une femme seule. La location de couchettes isolées est facilitée. J'arriverai ainsi à Venise le matin et en repartirai un soir, sans doute une semaine plus tard.

C'est incroyable comme l'humeur peut modifier la réalité. Venise s'est rapprochée. Les distances sont raccourcies. Arenzano est la banlieue de Grenoble et Venise celle de Paris. Je devrais partir plus souvent en vacances.





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vendredi 30 août 2024 samedi 30 août 2003 Tout est organisé. Je pars le 4 septembre au soir. J'ai ma première classe en cabine individuelle. C'est évidemment une folie. J'ai demandé un prêt à ma banque. J'ai dit à ma conseillère que c'était pour faire des travaux chez moi. Elle a acquiescé d'un air entendu et compréhensif, ce qui n'aurait peut-être pas été la même chose si je lui avais dit que c'était pour partir à Venise en première classe et dormir au moins une nuit au Danieli dans une chambre avec un balcon sur la lagune. Cela d'ailleurs est moins sûr. C'est très demandé. Et tout compte fait, c'est un peu surfait. Je verrai. J'aimerais bien aussi que ce soit avec une vue sur le grand canal, par exemple en face de la fondation de Peggy Guggenheim. Mais je ne sais pas s'il y a un hôtel à cet endroit.

Ce voyage, je le sais, est un voyage de deuil. Aller à Venise seule, c'est accepter d'être seule, c'est l'admettre, c'est l'intégrer comme on dit aujourd'hui bien vilainement. Dans notre imaginaire, une femme qui va seule à Venise est aune pauvre femme seule. Un homme qui va seul à Venise, c'est autre chose. C'est parfois un aventurier. Moi je me placerai sous la protection subliminale de Peggy Guggenheim, qui était une femme seule très entourée.

Tu ne seras pas avec moi à Venise. Ou plutôt, tu ne seras pas à Venise avec moi. L'une ou l'autre phrase, avant Arenzano, m'aurait fait pleurer à l'écriture aussi bien qu'à la relecture. Aujourd'hui, elles sont factuelles. Tu ne seras ni avec moi, ni à Venise et donc pas à Venise avec moi. C'est comme ça.




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mercredi 11 septembre 2024 jeudi 11 septembre 2003 Le séjour à Venise est déjà terminé et cela aura été pour moi comme une cure. Non pas une cure de jouvence, mais au contraire comme une cure temporelle. Je me suis remise dans le temps. Sans doute les Vénitiennes et les Vénitiens sont-ils aussi sujets à la nostalgie. Je suppose. Ils peuvent voir les transformations de la ville, les modernisations successives que certains doivent déplorer. Mais ces modernisations sont infimes au regard de celles que l'on rencontre dans les autres villes.

Je suis dans cette gare, que je découvrais la semaine dernière et qui me semble presque habituelle désormais. Je pourrais ainsi me forger des habitudes vénitiennes et peu à peu, prudemment, ne plus me perdre dans la cité des Doges, comme il est de bon ton de l'appeler. Je n'en suis pas encore là. Mais, je reviendrai. J'en suis certaine.

Nous sommes le 11 septembre. Cela fait déjà deux ans que les tours du World Trade Center de New-York sont parties en fumée. J'imagine qu'à Venise aussi on a regardé l'écroulement à la télévision, cet écroulement que d'aucuns prédisent comme l'écroulement de l'occident. Aussi tragique que soit cet attentat, il ne s'agit que de deux tours de bureaux. Ce qui signerait l'écroulement de l'occident, ce serait la submersion de Venise par sa lagune.




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mardi 17 septembre 2024 mercredi 17 septembre 2003 Comment vais-je continuer à vivre sans l'Italie ? Je peux certes me dire que j'y retournerai, mais, cela ne suffit pas à combler le manque. Venise me manque ce soir plus que tout autre lieu dans le monde et Venise me manque même plus que tu ne me manques. Venise a pris dans le manque ta place. Je ne l'ai compris qu'une fois revenue ici, à Grenoble, qui est plus éloignée de Venise que toute autre ville en France. J'ai même fini par penser que Grenoble est l'anti Venise.

Suis-je condamnée au manque ? Peut-être. Mais cela n'est pas très différent que pour les autres gens. Alors, pourquoi le manque prend il pour moi ces allures un peu tragiques.

Quelqu'un m'a dit que tu n'allais pas mal, que tu avais quitté la France, que Grenoble ne te manquait pas. Personne n'a osé me dire que je ne te manquais pas non plus.

Je ne sais ni dans quelle ville, ni même dans quel pays tu passes désormais tes jours. Je ne peux même pas l'imaginer. Je ne tente même pas de l'imaginer. J'espère seulement que tu n'es pas en Italie et que si tu es en Italie, tu n'es pas à Venise.

Mais si tu étais à Venise, je le saurais.




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mercredi 25 septembre 2024 jeudi 25 septembre 2003 Je vais retourner à Venise avant la fermeture de la biennale d'art contemporain. C'est décidé. J'ai dit à ma conseillère bancaire que les travaux que je voulais faire effectuer chez moi étaient plus chers que prévu.

La biennale ferme le 2 novembre. Je n'ai pas beaucoup de temps.

Mais déjà de Venise je ne me souviens plus de rien. Qu'ai-je vu de ces expositions que je veux revoir ? Tout s'agglomère dans mon souvenir de manière confuse et indéterminée. L'exposition contraste avec la netteté du Lido et les ombres la nuit aux abords des jardins.

Je me suis promenée là le soir et tu me tenais fort la main pour que nous ne nous égarions pas. Mais quand j'ai voulu voir qui me tenait ainsi la main si fort, tu avais encore disparu.

Si je retourne à Venise avant le 2 novembre, je te retrouverai sans doute.

Je vais jouer à croire que je te retrouverai.




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mardi premier octobre 2024
mercredi premier octobre 2003
Je pars demain et je suis comme une enfant qui part en vacances. Je me suis organisée pour avoir suffisamment de temps mais pas trop pour la correspondance entre le train de Grenoble et le train de nuit de Venise. Mais cette fois, je ne serai pas dans un compartiment isolé. Je voyage en seconde classe. Mais, je pourrais voyager dans le couloir que cela me plairait aussi.

J'imagine déjà la lagune le matin. Je crois que quand je serai à Venise, je prendrai un bus le matin pour aller à Mestre, juste pour le plaisir de voir la lagune le matin. Et je la verrai ainsi deux fois, revenant après avoir pris, debout, un ristretto dans la première trattoria de Mestre que je trouverai.

Je vais aller à la Biennale, bien sûr. Mais je commencerai par le palais de la Collection de Peggy Guggenheim. J'aime tellement cette femme que je veux m'amuser à imaginer que je vais lui rendre visite comme on rend visite à une vieille amie. Je trouve que ce palais est le plus beau du grand-canal, car, tout en gardant le style vénitien, il montre une architecture minimaliste certainement aussi due à son histoire chaotique.

Je ne sais pas en quelle année elle a rencontré Pollock. Elle l'a toujours soutenu financièrement. Moi, j'aurais aimé rencontrer Pollock en 1928. Après, ça se gâte. Je ne crois pas qu'elle ait eu une aventure avec lui. Mais peut-être, car elle avait la réputation de beaucoup aimer les hommes. Mais en 1928, elle rencontre l'écrivain John Holmes, terriblement alcoolique, comme le deviendra Pollock, plus tard.

Quand même, sa première exposition à Paris de Pollock, c'est en 1946. La classe.


Wikipédia - Jackson Pollock - 1928
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mercredi 6 novembre 2024
jeudi 6 novembre 2003

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dimanche 24 novembre 2024 lundi 24 novembre 2003
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lundi 30 décembre 2024 mardi 30 décembre 2003