Diégèse Les narratrices et les narrateurs
Journal de Karim en 2010 - 42 jours -
Karim vit et travaille à Clermont-Ferrand dans le Puy-de-Dôme, puis au Bourget en Seine-Saint-Denis











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samedi 13 janvier 2024 mercredi 13 janvier 2010 Avant d'arriver ici, le « 92 », pour moi, c'était le « 9 - 2 » prononcé bien sûr « neuf - deux », à l'instar du « 9 -3 », plus répandu. Mais, moi, je n'ai pas grandi à Bobigny, ni à Saint-Denis ou à Clichy-sous-Bois, mais à Bagneux, dans les Hauts-de-Seine, dans le « 9 - 2 ».
Aujourd'hui, le « 92 », pour moi comme pour tout le monde ici, c'est le « quatre-vingt-douze », pour « 92e régiment d'infanterie ». Ce régiment est une institution importante à Clermont-Ferrand, où il est implanté depuis 1881. Nous sommes entre l'avenue Michelin et l'hôpital d'Estaing... Georges Pompidou y a fait ses classes... L'insigne du régiment porte une tête de Gaulois depuis les années 1940, dont on peut penser qu'elle a inspiré Uderzo et Goscinny.

Je suis donc un Gaulois auvergnat et je me prénomme Karim.

Mais ici, cela ne surprend pas vraiment. Il y a des femmes et des hommes qui viennent d'un peu partout, même si nous ne sommes pas la Légion étrangère. Nous sommes d'un peu partout parce que les Français viennent d'un peu partout...

J'ai demandé l'autorisation d'écrire ce journal. Elle m'a été donnée sous réserve que je n'évoque rien de ce qui concerne la vie ici et encore moins les opérations militaires auxquelles nous sommes préparés ou auxquelles nous allons participer. Cela ne me pose pas de problème, car, ce n'était pas mon intention.




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lundi 15 janvier 2024 vendredi 15 janvier 2010 Quand je suis entré dans l'armée, j'ai dit que je ne parlais pas arabe. Je ne voulais pas que l'on me demande de faire l'interprète. Je sais maintenant qu'on ne me l'aurait pas demandé, mais je ne voulais pas courir ce risque. Et puis, je parle un arabe dialectal rudimentaire qui m'a été cédé par mon père, qui le parlait lui-même très mal. Mes traductions auraient été trop approximatives pour être utiles et fiables. Avoir un prénom et un nom arabe et faire le traducteur, c'est prendre le risque de faire « l'indigène » et je ne voulais pas être confronté à cela.

Le racisme anti-arabe en France est d'abord un « indigénisme » qui est lui même un avatar du colonialisme. Cette forme de racisme est d'autant plus insidieuse et violente qu'elle est refoulée. Parmi les « qualités » que l'on prête aux Arabes, il y a la traitrise, qui est souvent résumée par la phrase : « On ne peut pas leur faire confiance. ». Et, parmi les traitres potentiels, le traducteur est en première ligne, toujours susceptible de mal traduire ou de ne pas traduire pour protéger sa « communauté ». Je ne voulais pas ajouter cette difficulté à toutes celles que j'ai rencontrées depuis l'enfance, celles d'avoir des parents arabes, de vivre en banlieue parisienne et d'avoir la peau mate et les cheveux frisés.

On pourrait penser que le contrôle au faciès est l'apanage de la police. En France, il est permanent, que ce soit à la poste, au supermarché ou dans n'importe quelle boutique et se fait d'autant plus violent que l'on s'approche du centre de la capitale... Le jeune Arabe est d'emblée suspect. Même quand les vigiles sont arabes eux-mêmes. L'uniforme militaire m'est donc apparu d'abord comme un talisman, une sorte de cape d'invisibilité. Un Arabe qui porte l'uniforme de l'armée française, avec un écusson représentant un Gaulois, ne peut qu'être « un bon Arabe ».




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dimanche 21 janvier 2024 jeudi 21 janvier 2010 Je suis en permission jusqu'à samedi et puis je serai d'astreinte. Je ne sais pas encore à quoi je serai affecté. Mais peu importe. J'aurais bien aimé quitté Clermont-Ferrand pour aller voir ma mère à Bagneux, mais c'est trop compliqué et trop cher, malgré les réductions dont bénéficient les militaires. J'ai décidé de bien commencer l'année et d'aller au musée. Ce n'est pas loin de la caserne et je peux y aller à pied. Cela me changera de l'entraînement.

J'aime la peinture orientaliste et je vais bien en trouver au Musée d'art Roger Quilliot. Je ne sais pas s'il existe un recensement de la peinture orientaliste dans les musées de France. Je pourrais parier que tous ou presque tous les musées des beaux-arts en détiennent. Ce qui m'intéresse dans cette peinture - que l'on nomme « orientaliste » pour ne pas la nommer « colonialiste » ou au moins « coloniale » - c'est comment elle construit peu à peu la représentation imaginaire de « l'Arabe ». Je ne sais pas si l'on trouve au MARQ de grandes scènes de genre comme on peut voir à Orsay. Je le saurai bientôt.

Je ne vais pas faire publicité de ma visite au musée. Je sais bien qu'elle susciterait de l'incompréhension si ce n'est de l'inquiétude. Un militaire, arabe de surcroît, ne va pas au musée, sauf, bien sûr, si c'est un musée militaire.




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jeudi 25 janvier 2024 lundi 25 janvier 2010 J'ai hâte d'être de nouveau en « perm' » pour retourner au MARQ. Je ne comprends pas bien pourquoi, mais je voudrais revoir les tableaux de Prosper Marilhat, comme s'ils détenaient un secret qui m'était destiné. C'est un peintre auvergnat, mort à 36 ans en 1847, de démence syphilitique. Il garde une petite notoriété en tant que peintre orientaliste à ce que j'en ai lu.

J'aime particulièrement son « Paysage d'Égypte au soleil couchant ». On dirait un paysage d'après l'apocalypse où la nature aurait retrouvé ses droits. Des arbres, sans doute des palétuviers, masquent presque les minarets pourtant majestueux et nombreux. Une brume légère semble s'élever du Nil. Un homme regarde le paysage. Quand je cligne des yeux en regardant ce tableau, je vois une spirale qui semble rappeler le soleil pourtant déjà couché. Je me prends à imaginer que je suis cet Arabe sur les bords du Nil qui contemple le soleil couchant.

Je vais essayer de me renseigner davantage sur les peintres orientalistes. Quel est cet orient qu'ils ont rendu fascinant au point d'y attraper la syphilis.






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samedi 27 janvier 2024
mercredi 27 janvier 2010 Je me suis trouvé un peu essoufflé lors de l'entraînement ce matin. Je devrais sans doute me coucher plus tôt et surtout dormir plus tôt. L'armée, c'est d'abord le rythme et c'est un rythme commun. Déroger à ce rythme, c'est bientôt ne plus pouvoir suivre ce rythme. Comme nous ne sommes pas des enfants au pensionnat, il n'y a pas vraiment d'extinction des feux, mais c'est équivalent. Celui qui ne dort pas doit faire semblant de dormir. D'ailleurs ça marche. Quand je fais semblant de dormir, je m'endors. Je réfléchirai à l'orientalisme plus tard, pendant mes jours de repos.

J'aime bien l'entraînement. Bien sûr, il y en a toujours qui se croient dans une compétition... Mais ce n'est pas l'idée. Ce qu'il faut, c'est rester groupé. Alors, nous restons groupés.

Hier, nous avons appris qu'il y a déjà trois militaires français morts en Afghanistan, en OPEX, les 11, 12 et 13 janvier. Il y a même un capitaine de 39 ans qui a été promu lieutenant-colonel à titre posthume. Je préfèrerais ne pas savoir cela. Mais, bien sûr, cela fait partie des risques du métier de militaire que d'être tué lors d'affrontements, même quand c'est au service de la paix.

Je crois qu'un collègue m'a vu sortir du musée... Il m'a demandé si j'avais une copine là-bas. Je me suis contenté de sourire.




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mardi 6 février 2024 samedi 6 février 2010 Je suis en congé demain dimanche. C'est rare, car les dimanches semblent implicitement réservés à ceux qui ont de la famille et surtout des enfants. Avoir des enfants est une sorte de sésame pour glaner ici et là des privilèges. Pouvoir sortir de Clermont-Ferrand pour aller à Thiers visiter un centre d'art ne peut pas être considéré comme une activité prioritaire dans l'armée. De toute façon, après vérification, le lieu est fermé jusqu'au 2 mars et j'ai manqué l'exposition de Franck Scurti qui est restée ouverte jusqu'au 31 janvier... Pas de chance.

Je vais quand même bien trouver de l'art à visiter un dimanche en Auvergne. Sinon, j'irai à Lyon, mais c'est beaucoup de temps perdu. Ce qui est dommage, c'est que je ne connaisse pas de peintre auvergnat pour lui rendre visite dans son atelier.

Tant pis, je vais retourner au MARQ et tant pis si mes collègues se moquent encore de moi s'ils me voient y entrer ou en sortir. Tant qu'ils ne savent pas ce qui m'attire là-bas, ce n'est pas très grave.





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lundi 12 février 2024 vendredi 12 février 2010 Ce weekend, pas de musée. Je suis de permanence... Comme la plupart des weekends. Mais, je ne suis pas de garde. C'est déjà ça. Je peux lire. D'autres regardent la télévision. L'important est que l'on soit disponible en un rien de temps. Il est donc interdit d'écouter de la musique dans des écouteurs, car, cela pourrait empêcher d'entendre l'alarme. C'est en fait très théorique, parce que la sonnerie de l'alarme est justement faite pour transpercer les oreilles. Elle pourrait même réveiller un sourd.

Je lis L'Orientalisme d'Edward Saïd. Sur la couverture, il y a une jeune femme en sarouel et l'un de mes camarades m'a demandé si cela me rappelait mon pays. J'ai failli répondre que mon pays était plutôt le département des Hauts-de-Seine où l'on trouvait peu de harems officiels. Mais, plutôt que d'être désagréable, j'ai répondu que oui. Je serais bien en peine de dire où la scène peinte est supposée se situer. Sans doute quelque part dans l'empire ottoman... qui était fort grand.





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lundi 4 mars 2024 jeudi 4 mars 2010 Quand j'ai commencé à m'intéresser à l'orientalisme et surtout à ses peintres, j'avais écrit à une amie de ma mère professeure d'arts plastiques dans un lycée de Bagneux. Je me suis d'ailleurs toujours demandé ce qui pouvait rapprocher ces deux femmes qui, en apparence, avaient des vies et des centres d'intérêt très éloignés. Pourtant, elles se voyaient régulièrement et allaient parfois à Paris ensemble. Après tout, ce n'est pas si compliqué. Il suffit de prendre le RER. Malheureusement, Bagneux est en zone 3. Le ticket est donc plus cher que depuis Laplace ou Gentilly. Alors, bien sûr, on triche, surtout au retour puisqu'à Paris on peut entrer dans le RER avec un ticket deux zones, le ticket des Parisiens. Évidemment, quand on arrive à Bagneux, il y a souvent des contrôleurs qui vérifient que l'on ne passe pas au-dessus des barrières et les quelques euros que l'on a économisés partent en amendes et en problèmes à la maison. Peut-être qu'un jour quelqu'un aura la bonne idée d'unifier le prix des billets dans toute la région parisienne. On dirait que c'est fait exprès pour que la banlieue reste chez elle et ne vienne pas déranger le centre-ville. Il paraît aussi qu'il est prévu de prolonger la ligne 4 du métro parisien jusqu'à Bagneux. Ce serait vraiment bien, mais il faudra encore attendre une dizaine d'années, je le crains.

J'avais donc écrit à cette amie de ma mère et elle m'a répondu en me conseillant la lecture du journal de voyage en Égypte d'Eugène Fromentin. C'était un peintre et sans doute orientaliste puisqu'elle me le conseille. Je vais aller voir s'il y a un tableau de Fromentin au musée de Clermont-Ferrand, ce que je ne crois pas.




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samedi 16 mars 2024 mardi 16 mars 2010 Et si j'apprenais à peindre  ? Je ne sais pas dessiner. Mais, je ne suis pas sûr qu'il faille savoir dessiner pour peindre. Je ne suis même pas certain qu'il faille savoir peindre pour peindre. Bien sûr, si j'apprenais à dessiner, dans ma situation, ce serait plus simple. Le matériel est plus léger. Il faudrait quand même que je prévienne la hiérarchie pour que les officiers ne croient pas que je fais des croquis d'espionnage. Je vais demander si c'est possible. De toute façon, ici, il est toujours préférable de demander si c'est possible, pour tout et pour n'importe quoi qui ne se rapporte pas directement à ce pour quoi nous sommes rassemblés ici.

En me promenant dans la ville, un jour, j'ai vu qu'il y a une école d'art et j'ai lu ensuite qu'elle organisait des cours pour tous les publics. Mais, je ne sais pas si j'oserai sauter le pas. Un militaire au prénom arabe, qui ressemble à un arabe voire, qui est arabe dans un cours des beaux-arts... Je risque d'avoir un succès d'estime et surtout d'être, au moins dans les premiers temps, considéré comme une bête un peu curieuse.

J'ai une autre idée. Je vais me procurer une tablette graphique et je ferai du dessin numérique. Cela sera plus simple.




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mardi 26 mars 2024 vendredi 26 mars 2010 J'ai abandonné cette idée de palette graphique. Cela ne correspond pas à ce que je veux faire. En fait, la plupart des peintres orientalistes n'ont travaillé sur la toile qu'une fois rentrés en France. Quand ils étaient en voyage, ils faisaient des croquis sur des carnets, des pastels et des aquarelles. Plutôt que d'investir dans une palette graphique trop onéreuse, j'ai acheté un carnet suffisamment petit pour entrer dans une poche de la vareuse avec un petit crayon qui s'insère dans le carnet afin de ne pas me blesser si je tombe sur le carnet et le crayon. Et, depuis une dizaine de jours, dès que je le peux, je m'essaye au croquis. Je veille évidemment à ce que ces croquis ne puissent être considérés comme des relevés destinés à un ennemi qui voudrait attaquer la caserne. Même si l'idée semble ridicule, l'armée se doit d'être prudente. Et puis, je n'oublie pas que je m'appelle Karim...

Je m'aperçois que j'aime particulièrement les alignements. Alors, je dessine des alignements. Ce n'est pas ce qui manque dans une caserne.




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mercredi 3 avril 2024 samedi 3 avril 2010 En y réfléchissant, je me suis dit que ce goût pour les alignements est un des traits de l'humanité. C'est en cherchant le terme dans un dictionnaire que cette idée m'est venue. Je suis tombé sur les Alignements de Carnac, en Bretagne et depuis j'ai cherché, bien sûr des photographies ou des tableaux de ces alignements énigmatiques qui n'ont certainement pas été posés là par Obélix et Astérix... C'est assez incroyable le nombre de peintures de ce site dont on trouve des reprographies sur l'internet. C'est à croire que tous les artistes bretons s'y sont essayés. J'ai peut-être mal cherché mais je n'ai rien trouvé qui puisse me convaincre. Il en va ainsi de certains sites dont la présence dans les imaginaires est si forte qu'ils semblent déjouer la représentation.

Je relis ce que j'écris et je me dis que la fréquentation des catalogues de musée et des notices d'œuvres a changé ma façon d'écrire. Je vais me renseigner s'il existe des cours d'histoire de l'art à Clermont-Ferrand. Il y en a sans doute. Sont-ils accessibles aux jeunes militaires ? J'en parlerai à l'officier qui me suit. Je suis sûr qu'il préfèrera cela aux virées de chambrées de mes camarades... qui se terminent parfois plus ou moins bien.




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lundi 15 avril 2024 jeudi 15 avril 2010 Je suis retourné au musée de Clermont à la faveur d'une permission. J'ai bien fait, car, abandonnant un temps mon goût pour l'orientalisme ou les alignements, je me suis arrêté devant Neige à Murol de Victor Charreton. Il y a bien dans le tableau quelques alignements de toits qui forment comme une frise ponctuée par le clocher de l'église. Il y a bien ces mêmes toits qui semblent se rapprocher du spectateur dans un effet de zoom assez saisissant. Mais, ce n'est pas cela qui m'a intéressé, mais plutôt la couleur et surtout ce rose pixelisé qui forme une sorte de filtre sur le paysage. Du peintre, il est dit parfois qu'il peut être considéré comme un précurseur du fauvisme. Cela n'aurait évidemment aucun sens de prétendre qu'il est un précurseur des effets spéciaux de la photographie numérique, de préférence sur téléphone mobile. Ce rose pixelisé semble d'ailleurs être une manière du peintre, que l'on retrouve dans plusieurs scènes hivernales peintes à Murol.

Grâce à lui, j'ai appris que ce qui m'intéresse, peut-être, dans la peinture, c'est la lumière.







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dimanche 21 avril 2024 mercredi 21 avril 2010 Il semblerait que ce soit le curé de Murol, un certain Boudal, qui peignait lui aussi, qui a rassemblé des peintres à Murol. Pour Boudal aussi, la neige est rose, mais je trouve que sa peinture est moins intéressante que celle de Charreton. Charreton peint la lumière quand Boudal peint le motif avec de la lumière.

Hier, je regardais ces tableaux sur ma tablette et un collègue m'a demandé ce que je faisais. Je lui ai donc raconté cela, la lumière, la peinture, le motif. Je ne sais pas ce que j'aurais pu lui raconter qui l'aurait surpris davantage. Il m'a révélé à la suite de cette révélation pourtant bien anodine, que l'on me surnommait l'artiste et qu'il avait entendu un officier dire à un autre officier que l'on devrait me muter dans la marine. Mon collègue se demandait bien pourquoi et moi je crois que j'ai deviné. C'est qu'il y a des peintres officiels de la marine, qui sont désignés par le ministre de La Défense. Je ne crois pas qu'il y ait l'équivalent pour les autres armes.

Mais tout cela n'est que plaisanterie. Moi, je ne peins pas. J'aime regarder de la peinture. Je dessine.







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samedi 27 avril 2024
mardi 27 avril 2010
Je crois, tout compte fait, que ce qui m'intéresse le plus dans la peinture, c'est le dessin. Je me suis dit cela en découvrant la peinture de Jacques Majorelle, le nancéen orientaliste. Peut-être devrait-on d'ailleurs inventer un terme pour la peinture de Majorelle, comme celui de « maroquisme », tant son travail est associé à ce pays et même plus particulièrement à la ville de Marrakech et à la villa qui porte son nom.

Je suis tombé en arrêt devant cette gouache, trouvée au hasard de l'internet. Il me semble clair ici que le motif importe peu. L'œuvre est figurative comme par défaut. Ce qui vaut, c'est la perspective, les aplats de lumière.

Ce qui m'intéresse là, c'est qu'alors que tout est composé, ou presque, de lignes horizontales et verticales, l'œuvre se lit en diagonale.

Et puis, il y a le rythme. Quand on la regarde brièvement et que l'on y revient, répétant ce même mouvement plusieurs fois, on peut même entendre le rythme de l'œuvre.







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vendredi 3 mai 2024 lundi 3 mai 2010
Je pense que je vais quitter l'armée, que je vais quitter Clermont-Ferrand, que je vais retourner en région parisienne. Mais je dois préparer cette reconversion. Et ce ne sera pas instantané. Je dois rester au moins jusqu'au 14 juillet. Le régiment a besoin que tout le monde soit là pour la fête nationale et de toute façon, je ne suis pas libérable avant cette date. Il va aussi falloir que je fasse des entretiens pour motiver mon départ. On me proposera même, très certainement, une autre affectation. Mais je dirai la vérité. Je veux quitter l'armée pour m'inscrire à l'École du Louvre et je dois donc trouver le moyen de financer cela. Je vais être à l'affut de toutes les annonces d'emploi qui pourraient correspondre à mes compétences. Je ne me leurre pas, étant arabe et venant de l'armée, on va me proposer des postes dans la sécurité privée. Surtout si j'ai un bon rapport de mes supérieurs, ce que je crois.

Ce qui serait amusant, c'est que je sois pris dans une entreprise qui assure la sécurité des foires et des salons. Je ne sais pas si cela est possible.

En attendant, je dessine et je dessine encore des alignements et parfois, je m'autorise un peu de gouache ou d'aquarelle. Mais il faut pour cela que je sois tranquille, ce qui arrive trop rarement.




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mardi 7 mai 2024 vendredi 7 mai 2010 Je suis allé aujourd'hui au Fonds régional d'art contemporain, le FRAC Auvergne. C'était l'avant dernier jour d'une exposition qui s'intitule Célébration. Et, bien sûr, je n'aurais pas pu y aller demain. Le 8 mai n'est pas vraiment férié pour les militaires. C'est déjà une chance que l'on m'ait laissé sortir la veille.

L'exposition est très riche. Elle présente des acquisitions majeures du fonds. Pour autant, l'exercice semble tourner un peu à vide, un peu comme une foire où rien ne serait à vendre.

Je suis resté longtemps devant une peinture de 1979 de Gilles Aillaud, acquise par le FRAC en 1985. Ce sont des ours qui sont dans la fosse aux ours d'un zoo. Les barreaux ne sont pas dans la peinture et pourtant ils sont présents, marqués, comme par antinomie, par des taches plus claires à moins que ce ne soient des griffures de la toile. Je n'ai pas pu m'approcher assez pour le distinguer.

Les trois ours tournent le dos au spectateur. Celui qui est le plus à droite semble en voie de disparition. Tout semble suspendu, dans un ennui profond. Je me suis dit qu'il s'agissait d'un tableau de la condition humaine.







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samedi 25 mai 2024 mardi 25 mai 2010 J'ai enfin eu une permission suffisamment longue pour aller à Paris hier et bien sûr, je suis allé directement de la gare d'Austerlitz au musée d'Orsay. En plus, c'est direct. Je n'avais pas un gros paquetage, car j'ai encore toutes mes affaires chez ma mère à Bagneux et j'ai pu le laisser sans difficulté à la consigne. Je n'en étais cependant pas certain et cela m'a contrarié par anticipation. En fait, il n'y avait pas de problème, mais... quand un Arabe veut laisser un sac quelque part, c'est toujours potentiellement compliqué. Heureusement, mes papiers militaires peuvent parfois me servir de sauf-conduit.

Je suis resté longtemps, m'en mettant plein les yeux, puis, revenant pour finir vers une toile qui m'avait particulièrement impressionné. Il s'agit d'une œuvre de Gustave Guillaumet intitulée Le Sahara. Ce qui me frappe dans cette toile, c'est qu'il me semble y voir la tentation de l'abstraction. Bien sûr, il y a cette carcasse au premier plan, sans doute celle d'un dromadaire, quelques touffes d'herbes jaunies et au loin, une petite troupe qui est peut-être celle d'une autre toile bien connue du même peintre représentant des pèlerins à La Mecque. Mais, en fait, peu importe, ce que je vois et donc, ce qui compte pour moi, ce n'est même pas le traitement de la lumière qui fait au désert ce que Turner fait à la mer, c'est que la toile est structurée par deux triangles. Le premier est constitué par la carcasse et le second par la petite troupe. Il s'agirait donc davantage de ce que l'on nomme, je crois une vanité que d'une peinture exotique.

Ce Guillaumet m'intéresse. En plus, si j'en crois les photographies de lui prises par Nadar, il ressemble vraiment à un Arabe.







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lundi 27 mai 2024 jeudi 27 mai 2010 Je repars demain à Clermont-Ferrand, à la fois heureux de mon séjour pendant lequel j'ai pu voir beaucoup de tableaux orientalistes et avec une déception. J'ai regardé les conditions d'entrée à l'école du Louvre et je ne crois pas que je parviendrai à réussir les épreuves du concours. Je vais regarder s'il y a des licences d'histoire de l'art par correspondance et je pourrai peut-être m'y inscrire. Après tout, j'ai eu le bac et je n'ai même pas eu de difficulté à l'obtenir. Je n'ai pas fait d'études ensuite parce que rien de ce que l'on me proposait ne m'intéressait et qu'il fallait que je gagne ma vie, mais j'avais quelques aptitudes. Je me suis engagé car c'était encore la meilleure manière de me caser et aussi de me protéger des tentations délictueuses qui guettent les jeunes hommes, notamment les jeunes Arabes, dans les cités. Cela ne m'a jamais vraiment intéressé de traîner au pied des bâtiments, même si je l'ai fait, pour ne pas montrer ma différence et avoir la paix. Sinon, très vite, ce sont les moqueries et puis, on ne sait jamais où ça va.

Je confirme que Gustave Guillaumet m'intéresse et peut-être pas pour les raisons qui l'ont rendu célèbre. Quand je regarde par exemple sa toile Guerriers arabes au repos, ce que je remarque tout de suite, c'est que le paysage au second plan, comme pris par l'obscurité du crépuscule forme un ligne qui répond en écho à la ligne supérieure formée par les têtes des guerriers. Il y a une tache de couleur, le bonnet orangé de l'enfant et sa tunique jaune, aussi jaune que le petit pan de mur jaune qu'allait regarder le philosophe Bergotte chez Proust. C'est un texte étudié au lycée et qui m'avait frappé. J'avais souhaité pouvoir regarder ce petit pan de mur jaune, mais, cela semblait compliqué.







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vendredi 31 mai 2024 lundi 31 mai 2010 Et si je ne quittais pas l'armée, mais que je demandais à changer d'affectation  ? Je pourrais par exemple demander ma mutation à Marseille ou à Lyon. Les musées sont plus nombreux qu'à Clermont-Ferrand. Bien sûr, l'idéal serait encore Paris. Mais, je n'ai pas l'ancienneté pour cela et aucun piston.

Mais, j'exagère... Je n'ai pas encore épuisé les collections des musées auvergnats et encore moins les centres d'art.

Il y a plus de 750 œuvres au musée d'art Roger Quillot, qui est en passe de devenir mon musée préféré, ou en tout cas celui que je connais le mieux. Ce que je viens d'écrire, presque sans y penser, est peut-être une clé. S'agissant d'art et sans doute d'autres choses dans ce monde, on peut aimer sans connaître et l'on aime encore davantage quand on connaît.

Je crois que c'est la même chose pour les plantes.

Il faudrait que ce soit la même chose avec les gens.




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mercredi 12 juin 2024 samedi 12 juin 2010
Je vais peut-être être muté. Si c'est bien le cas, il y a de fortes chances que ce soit à Carpiagne sur les collines entre Marseille et Cassis. Ce n'est pas du tout ce que j'espérais. Je passerais de l'infanterie à la cavalerie, mais en guise de chevaux, je verrais surtout des chars. Je me demande quand même si ce ne sont pas mes origines qui m'envoient vers la Légion étrangère. Il paraît que ce serait pour moi une promotion de grade et que les promotions de grade impliquent souvent des mutations. Oh, ce serait un léger avancement que celui qui ferait de moi un caporal-chef. Il y a pas mal à attendre pour espérer être un jour sous-officier. Rien que pour être caporal-chef de première classe, il faut attendre onze ans.

Je ne sais vraiment pas si je vais rester dans l'armée. Je n'y suis pas mal. La hiérarchie ne me pose aucun problème et j'obtiens plutôt facilement ce que je demande. Mais, je ne vois pas assez d'art et trop d'armes, ce qui est presque un jeu de mots.

Je devrais aller visiter le Musée de l'armée la prochaine fois que je vais à Paris. Voilà une affectation qui me plairait. Si je pouvais travailler au Cabinet des dessins, estampes et photographies, je serais très certainement le militaire français le plus heureux qui soit. Mais je n'ai pour cela aucune autre qualification que ma pratique personnelle du dessin.




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dimanche 30 juin 2024 mercredi 30 juin 2010 Je suis muté. Mais, je ne suis pas muté à Carpiagne.

Hier, j'ai été convoqué et, à ma grande surprise, le colonel m'a informé que ma pratique du dessin avait intéressé le haut commandement. J'avais fait part à mon supérieur de mon rêve de servir aux Invalides, il l'avait répété. L'histoire avait circulé. Il paraît qu'il est peu fréquent qu'un homme du rang se passionne pour ce genre de choses. Or, l'armée veut encourager et promouvoir la diversité de ses métiers. De fil en aiguille, mon dossier est arrivé sur le bureau du gouverneur militaire de Paris, le général d'armée Bruno Dary, qui a commandé la Légion étrangère. L'histoire lui a plu et mes dessins aussi. Il a fait en sorte que je puisse être muté au musée de l'Armée.

Je ne réalise pas bien encore. C'était mon rêve, mais le propre des rêves est de ne pas rencontrer la réalité. Je crains donc que la réalité soit fatale à mon rêve, car, à quoi pourrai-je bien être affecté ? Sans doute à un poste de garde, sans nécessairement le droit de visiter le musée pendant mes temps de repos.

Je verrai bien.




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mardi 2 juillet 2024 vendredi 2 juillet 2010
Je suis affecté à Paris pour le 15 juillet. Je participerai donc aux cérémonies du 14 juillet à Clermont-Ferrand. Je ne sais pas ce qui se prépare. Nous n'avons pas encore commencé l'entraînement. Il se dit que le régiment, en tout cas, une partie du régiment pourrait cette année défiler sur les Champs-Élysées avec les autres forces engagées dans l'opération Daman de la Finul au Liban. Mais, ce seront surtout des blindés qui vont défiler. Je ne crois pas que l'on participera au défilé pédestre. C'est dommage. Je pense que ma famille aurait été très fière de cela.

Je ne sais même pas d'ailleurs si je vais être envoyé à Paris, puisque je quitte le régiment quelques jours plus tard.

Au moment de quitter ces lieux je suis pris d'une irrépressible envie de les dessiner. Je dis que c'est pour garder quelques souvenirs, mais, si c'était cela, il serait plus rapide de les photographier. D'ailleurs, ce sont des croquis que je fais et je donne la plupart d'entre-eux aux collègues. Ce n'est pas pour le souvenir. Ce serait plutôt par gratitude. Si ces murs, ces fenêtres, ces alignements soigneusement entretenus n'avaient pas été là, dans cette austérité toute militaire, aurais-je eu envie de dessiner ? C'est tout cela qui m'en a donné l'autorisation. Je dessine donc par reconnaissance.




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dimanche 14 juillet 2024 mercredi 14 juillet 2010 C'est le grand jour. C'est le grand jour ici, mais c'est aussi le grand jour pour tous les militaires de France, qu'ils participent ou non aux défilés de la fête nationale. Nous, nous sommes heureux et fiers parce que nos blindés participent au défilé à Paris et c'est toujours un grand honneur.

Et moi, c'est mon dernier jour à Clermont-Ferrand. Dès demain, je serai à Paris pour mes nouvelles fonctions. Je me demande ce que je vais avoir à faire.

Que vais-je garder de Clermont-Ferrand dans ma mémoire ? Le musée, bien sûr, et les toiles orientalistes que j'ai pu y voir. Bien sûr, à Paris, j'aurai l'occasion de voir beaucoup d'autres toiles, ne serait-ce que dans le musée de l'Armée dans lequel je vais travailler. Mais, les premières amours laissent toujours une trace incomparable.

Je suis allé une dernière fois au Musée et je me suis arrêté devant une estampe gravée par Berinet d'après Lejeune. Drôle de personnage que ce Lejeune qui fut général, artiste, directeur des Beaux-Arts de Toulouse. L'original de cette Bataille d'Aboukir est au Musée de l'histoire de France de Versailles, qui n'est pas un musée militaire. Je vais essayer d'y aller aussi tôt que possible.







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samedi 20 juillet 2024 mardi 20 juillet 2010 Je ne savais pas que le ministère de la Défense avait autant de musées. Rien qu'à Paris, il y en a plusieurs. Et il y en a un en banlieue, au Bourget, qui est le Musée de l'Air et de l'Espace. Ainsi, moi qui croyais être affecté aux Invalides, je suis affecté au Bourget. C'est amusant. Le musée est situé dans l'aéroport du Bourget, d'où ne décollent et n'atterrissent  aujourd'hui que des jets privés. Mes collègues sont très excités à l'idée de pouvoir apercevoir parfois des stars arriver ou partir. C'est aussi un ballet de limousines noires et parfois certains officiels sont accompagnés par des motards de la gendarmerie ou de la police. J'ai fait semblant de m'intéresser la première fois et puis je me suis éloigné, car, en fait, cela ne m'intéresse pas.

Le côté spectaculaire du musée, ce qui attire les visiteurs, c'est de pouvoir voir des avions et monter dedans. Bien sûr, la star incontestée, c'est le Concorde. Il est arrivé ici le 14 juin 2003. Il est arrivé par les airs, ce qui était certainement le plus pratique. Et une petite cérémonie s'est tenue. Il y a une vidéo qui montre cette arrivée. Je ne sais pas pourquoi je suis aussi ému quand je la regarde. Cet avion est l'accomplissement du rêve de l'humanité.

Mais, le musée, c'est aussi son fonds documentaire et c'est là que je travaille sur un projet encore mal défini qui tourne autour du dessin, puisque j'ai été présenté comme un as du dessin.







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mercredi 24 juillet 2024 samedi 24 juillet 2010 Bien sûr, depuis quelques jours, je n'ai plus l'impression d'être un militaire. Je ne suis pas en uniforme, je ne suis pas en caserne. Il faut même que je trouve un appartement moins loin du Bourget que ne l'est celui de ma mère à Bagneux. De toute façon, cela sera impossible de faire l'aller-retour tous les jours, par quelque moyen de transport que ce soit.

Je n'ai pas révélé à mes collègues ce qui va bientôt constituer un secret : je ne suis jamais monté dans un avion en vol. L'occasion ne s'en est jamais présentée. Quand j'étais petit, il n'était pas envisageable de retourner au pays en avion. D'ailleurs, ce « pays », le plus souvent appelé « bled » par les autres enfants, n'était dans notre cas pas vraiment déterminé. J'ai appris depuis que mon grand-père était en fait un harki et qu'il n'était pas conseillé aux enfants et même aux petits-enfants de harkis de retourner au « pays ». Je me souviens d'avoir regardé les amis partir dans des voitures chargées de bagages et de cadeaux destinés à la famille. Je les enviais bien sûr de pouvoir vivre de telles aventures, de passer les frontières, avec parfois des difficultés qui faisaient ensuite des récits interminables ; de prendre le bateau et cela, aller et retour. Une fois, mon ami Youssef nous a donné une petite bouteille d'huile d'olive qui venait de là-bas. Nous n'utilisions pas d'huile d'olive du supermarché. Ma mère disait qu'elle n'était pas bonne. Peut-être était-elle aussi trop chère. Nous avons utilisé l'huile avec une grande parcimonie et dès que l'on ouvrait le bouchon, une odeur âcre envahissait la cuisine. J'imaginais alors que toute l'Algérie sentait l'olive jusqu'à saturation.




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vendredi 26 juillet 2024 lundi 26 juillet 2010 Je ne sais pas si la vie militaire me manque ou non. Bien sûr, elle est en quelque sorte une privation de liberté, mais en échange de laquelle tous les aspects matériels de la vie quotidienne sont pris en charge. Ce n'est évidemment plus le cas dans ma vie paramilitaire. Mais, il m'a été assuré que je pourrai repartir en unité combattante dès que je le souhaiterai.

Et puis, il y a l'uniforme, qui donne un statut qui permet d'échapper aux stéréotypes. Quand je suis en uniforme de l'armée française, je ne suis plus un arabe de banlieue, donc perçu comme un délinquant potentiel, sans doute chômeur, potentiellement musulman intégriste. Je suis un soldat. C'est tellement fort, cette perception stéréotypique, qu'un jour, alors que j'étais dans le train en uniforme, une dame m'a demandé de l'armée de quel pays j'étais. Elle a semblé surprise et presque mécontente quand je lui ai dit que j'appartenais à l'armée française.

Je suis heureux dans ce musée du Bourget, mais j'aimerais que ma mission soit précisée. J'ai peur de m'ennuyer et de tourner en rond, même si cela ne risque pas de se produire avant longtemps, tant il y a de choses à voir ici.

En attendant, je dessine et je dessine encore. Après tout, c'est peut-être cela que l'on attend de moi.




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dimanche 11 août 2024 mercredi 11 août 2010
Je suis vraiment très heureux. Avant hier, j'ai été appelé dans le bureau de la direction et il y avait le futur ancien directeur, qui quitte le musée après avoir été élu conseiller régional et la future nouvelle directrice, Catherine Maunoury. Je me demandais bien ce qui me valait un tel honneur. J'avais un peu cherché des informations sur Madame Maunoury. Son parcours est impressionnant. Elle a été deux fois championne du monde de voltige aérienne, dix fois championne de France et en même temps, elle est licenciée en philosophie. Sans doute faut-il être philosophe pour prendre ainsi des risques, même quand ils sont mesurés et calculés.

J'avais vu qu'en juin avait été ouvert un nouvel espace pour les enfants de 6 à 12 ans, nommé Espace Pilote. Les deux directeurs m'ont demandé de leur montrer mes dessins, notamment ceux où j'ai dessiné des personnages. Ils m'ont demandé si je m'étais déjà essayé à la bande-dessinée. Je leur ai répondu que non, mais que j'aimais beaucoup cela. Bien m'en a pris. Je suis chargé de réaliser une bande-dessinée pour Espace Pilote, à partir des collections du musée et de sa documentation. Je dois imaginer une intrigue simple et gentillette, sans crimes ni violence, bien sûr et retracer l'histoire de l'aviation et celle des pilotes.

C'était la veille de leur passation de pouvoirs. Elle a eu lieu hier et mon nom a été cité ainsi que le projet.

Encore un peu, je me prendrais pour le Petit Prince mais à moi, on dirait de dessiner un avion.




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vendredi 23 août 2024 lundi 23 août 2010 Je dessine toute la journée et je ne sais pas ce que je vais faire de tout cela. Ce n'est pas grave. Au pire, je n'en ferai rien. Je les proposerai aux archives du musée. Je fais des croquis bien sûr, mais pas seulement des croquis. Parfois, la forme est plus aboutie. En fait, je m'inspire des peintres de la marine. Mais, moi, ce sont des avions que je dessine et non des bateaux. Je fais voler mes avions au-dessus de paysages fantastiques. J'ai par exemple créé une ville imaginaire dans laquelle on peut reconnaître plusieurs monuments et immeubles des grandes villes du monde. Il y a aussi le Corcovado de Rio, sans Christ au sommet, pour ne froisser aucune sensibilité. De toute façon, dans cette ville, il n'y a pas la mer, mais un lac autour duquel se disposent les immeubles. J'ai ainsi reproduit ce paysage imaginaire en grand format et sur chaque exemplaire, je fais voler un avion différent. Autant la ville est issue de mon imagination, autant l'avion est un avion bien réel, présent dans les collections du musée. J'en ai déjà fait quatre. Je n'ai pas choisi les plus célèbres, mais ceux que je préfère. Le premier, c'est le planeur Chanute de type biplan à empennage cruciforme, qui est américain, construit en 1896. Le deuxième, c'est l'aéroplane Vuia, de 1906 avec sa drôle de nacelle à quatre roues. Le troisième est un Voisin de 1915, avec ses gambettes toute bizarres. Le quatrième, c'est le planeur DFS Habicht, de 1936 avec sa magnifique livrée blanche et rouge.

J'ai choisi, je m'en aperçois, ceux qui me paraissent le plus graphiques. Je les adore. Je pense les exposer avec les photographies que l'on peut retrouver sur le site internet du musée.










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mercredi 4 septembre 2024 samedi 4 septembre 2010
Je suis très heureux parce que depuis mercredi dernier, c'est la rentrée des classes et que d'ici peu les visites scolaires vont reprendre. Or, je n'ai pas encore eu la chance de les connaître puisque je suis arrivé pendant les vacances. C'est important pour moi, parce que je n'ai pas vraiment l'occasion de rencontrer des enfants. Quand je vais chez ma mère à Bagneux, si je demandais aux voisin de me prêter leurs mômes pour que je leur montre mes dessins, ils appelleraient la police ou pire, cela me ferai une drôle de réputation. Je n'aurais pas nécessairement la réputation d'un pervers, mais a minima celle d'un homme bizarre. Or, dans la cité, être bizarre c'est un risque collectif, c'est être encore plus sous la surveillance des voisins. En revanche, je suis autorisé au musée à montrer les dessins que je fais pour la bande dessinée que l'on m'a commandée. On me l'a même conseillé. Ce sera une forme de test.

J'avance bien et je tiens presque mon personnage principal. Ce sera une sorte de petit prince, mais pas blond celui-là, qui a le pouvoir de ne vieillir jamais et qui apparaît dans les songes de celles et de ceux qui ont été importants pour l'aviation et dont on trouve la trace dans ce musée. Bien sûr, je ne vais pas les choisir toutes et tous. Il y a les incontournables. Quand il rencontrera Saint-Exupéry, il rencontrera aussi le Petit Prince, l'autre, qui lui demandera de dessiner un avion.

Un de mes préférés, c'est Ader. Malheureusement, nous n'avons pas de maquette de l'Ader Avion III de 1897, mais il y en a une au musée des Arts-et-Métiers de Paris. Je veux absolument la voir. D'ailleurs, si j'étais la directrice, je ferais des pieds et des mains pour le récupérer. Après tout, c'est quand même grâce aux militaires que Clément Ader a pu réaliser son objet volant et c'est sur l'aérodrome militaire de Satory qu'il a fait voler le successeur de l'Ader Avion III. Mais bon, je ne suis pas certain que ce soit à l'ordre du jour.

Je ne pense qu'à ma B.D.





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mercredi 18 septembre 2024 samedi 18 septembre 2010 Petit à petit mon travail de dessin avance et je tiens à peu-près mes personnages, je crois.

Je ne croyais pas écrire cela un jour, mais la fraternité militaire me manque. Je crois que ce qui me manque, ce sont les hiérarchies franches. Les hiérarchies militaires, à de rares exceptions près, sont des hiérarchies franches. Dans un musée, même dans un musée de la Défense, les hiérarchies sont parfois un peu floutées. Pour le meilleur et pour le pire.

Par exemple, je vois bien que j'ai une place particulière dans l'organisme. Je suis un peu en dehors, un peu à côté. Je suis celui qui dessine et cela suffit à me désigner. Je n'ai ni grade ni responsabilité autre que celle de produire une bande dessinée qui sera validée par la hiérarchie. Je ne sais d'ailleurs pas où cette hiérarchie s'arrête. C'est peut-être le ministre de la Défense qui va valider. Et pourquoi pas le Président de la République. Peu importe. Je n'en saurai rien.

Le plus difficile, c'est de trouver une fin à cette histoire de l'aviation en bande-dessinée, qui doit aussi être une fiction. Cela ne peut pas, ne doit pas être une fin tragique. Je dois trouver quelque chose, car, fin septembre, la première version doit être terminée. C'est indispensable si l'ouvrage est présenté pour Noël.




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dimanche 22 septembre 2024 mercredi 22 septembre 2010 Je crois que j'ai trouvé la fin de ma bande dessinée. Le héros, qui est un éternel enfant emprunte une capsule spatiale qui doit le conduire sur une planète enchantée. Une fois arrivé sur la planète il rencontre un autre enfant. L'enfant est blond et il est entouré de moutons. Il lui demande s'il sait dessiner. Mon héros, qui lui n'est pas blond mais brun, avec les cheveux bouclés et la peau brune elle aussi, répond par l'affirmative. Alors, l'enfant blond lui demande de dessiner ses moutons, ou bien seulement un mouton, celui qu'il aura choisi. Et le garçon dessine les moutons.

Je sens que c'est un peu faible, mais c'est une jolie histoire, qui ne fonctionne cependant qu'avec le Petit Prince de Saint Exupéry. Cela n'est pas très grave, car le Petit Prince est devenu désormais une figure universelle et il est en outre omniprésent ici.

Mais, je trouve ma proposition inutilement calquée et manichéenne.

Je n'ai pas trouvé la fin de ma bande dessinée. Je dois encore travailler.




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lundi 30 septembre 2024 jeudi 30 septembre 2010 Je rends ma bande dessinée aujourd'hui. J'espère qu'elle plaira et qu'elle pourra être utilisée, surtout, dans les temps de médiation avec le jeune public.

Je m'aperçois que j'ai appris le langage de ce que l'on appelle la médiation culturelle. Il y a encore quelques semaines, j'en ignorais ou presque chacun des termes. C'est une novlangue comme celles que l'armée sait inventer. Elle est supposée désigner la compétence dans le domaine de celui qui la pratique. En tant que novlangue, sa maîtrise est moins difficile à acquérir que celle de l'armée, je trouve, surtout quand il s'agit de manier des armes où la compétence est question de vie ou de mort.

Mon petit héros a les cheveux bouclés et le teint basané. J'ai dessiné en quelque sorte un petit prince arabe, comme celui qu'aurait pu rencontrer Saint-Ex dans le désert, en fait.

Je me suis souvenu des peintres orientalistes que j'aime tant. Je suis allé au musée d'Orsay plusieurs fois pour revoir les toiles et surtout celle de Guillaumet qui représente le désert. Cette carcasse de chameau, c'est peut-être celle aujourd'hui d'un avion, mais plus vraisemblablement celle d'un pick-up d'une marque japonaise abandonné. En tout cas dans mon histoire, c'est un avion.

J'ai revu aussi ce tableau de Renoir intitulé La Mosquée ou Fête arabe et dont les fiches de médiation culturelle du musée prétendent que ce serait presque de l'impressionnisme orientaliste. Certes. Mais, pour moi, l'orientalisme préfigure surtout l'abstraction.





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vendredi 18 octobre 2024 lundi 18 octobre 2010
Nous avons eu aujourd'hui une drôle de visite. On se serait cru dans un film. Ce n'est d'ailleurs pas rare que l'on se puisse se croire dans un film au Bourget, tant aussi bien le musée que l'aéroport et ses hangars ressemblent à un décor de cinéma. Il s'agissait en fait des représentants d'une galerie américaine puissante, mais que je ne connaissais pas, et qui cherche un grand local dans l'aéroport. C'est une idée curieuse. J'imagine les collectionneurs prenant le RER B pour venir ici, comme moi chaque matin, puis attendre le bus 152, voire même prendre ce même bus depuis la porte de La Villette. En fait, je crois que les collectionneurs de cette galerie arriveront plutôt en jet depuis le mode entier ou bien en voiture avec chauffeur. Mais, c'est bien aussi car on peut entrer gratuitement dans les galeries pour voir les œuvres et si ça se fait et si je travaille toujours ici, je pourrai y aller.

Je me suis donc renseigné sur la galerie en question, qui est l'une des plus importantes galeries de New-York, la galerie Gagosian. J'ai regardé sur l'internet les artistes qu'elle représente et je suis tombé en arrêt sur le travail d'un artiste que je ne connaissais pas jusqu'alors : James Turrell. Déjà, je trouve que son nom sonne comme un nom d'artiste. C'est un sculpteur de la lumière et son travail sur la perception est assez incroyable. Je vais essayer de voir des œuvres de lui. Il y a bien une exposition importante en ce moment dans une galerie à Bruxelles, la galerie Almine Rech, mais elle se termine le 21 octobre et je n'aurai pas la possibilité d'aller la voir. J'imagine qu'il y aura d'autres occasions de voir des œuvres de James Turrel à Paris, surtout que cette même galerie a aussi un espace parisien.

En fait, je me corrige : c'est tout autant un artiste de l'ombre que de la lumière.




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mardi 22 octobre 2024 vendredi 22 octobre 2010 Je commence à élargir mes centres d'intérêt artistiques. Je le fais peu à peu, d'une part pour assimiler ce que je vois et bien le placer dans mon imaginaire ; d'autre part à cause du coût des visites. Il n'y a que dans les musées de l'Armée que je peux entrer gratuitement autant que je veux.

Demain, je suis de repos et je vais aller voir une exposition dont parlent tous les journaux. C'est au musée d'art moderne de la Ville de Paris, au Palais de Tokyo. C'est un artiste américain dont on célèbre ainsi le cinquantième anniversaire de sa naissance. Mais, lui est mort depuis longtemps. On pourrait presque croire à son nom qu'il est français et je le croyais aussi jusqu'à ce que je lise sa biographie. Il était d'origine portoricaine et haïtienne mais c'est à New-York que son travail d'artiste s'est déployé. Il est mort en 1988, d'une overdose.

Je vais aller voir cette exposition, mais j'avoue que je suis un peu décontenancé par ce que j'ai vu de ces peintures jusqu'à maintenant. Je crois que je ne suis pas encore bien préparé à passer des peintres qui peignent sachant peindre à cette explosion d'énergie sur la toile, sans souci apparent de vouloir bien peindre, voire même de peindre.

Basquiat a commencé à peindre dans la rue. Je devrais peut-être m'intéresser à tous ces jeunes qui peignent dans la rue, sur les trains et les métros. D'eux non plus je ne sais rien.

Je dois encore découvrir davantage. En revanche, si je ne dois voir qu'une exposition en cette fin d'année, ce sera celle de Basquiat. Je ne sais pas bien pourquoi, mais je crois que c'est plus important que d'aller encore une fois au musée d'Orsay.




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dimanche 3 novembre 2024 mercredi 3 novembre 2010 C'est à Paris le mois de la photo qui commence. Je l'ignorais encore hier et j'ignorais jusqu'à présent qu'il y eût un mois de la photographie. Ce qui est amusant quand on habite à Paris ou à côté de Paris et que l'on commence à s'intéresser à l'art de maintenant, c'est que l'on n'a plus besoin de se demander ce que l'on peut bien faire pendant son temps libre. Bon, bien sûr, pour moi qui travaille dans un musée, aller au musée pendant mon temps libre pourrait déclencher une forme de claustrophobie. Mais j'ai encore de la marge. Pour le moment, c'est assez boulimique. Et surtout, j'ai découvert un moyen de voir de l'art d'artistes vivants gratuitement : je vais dans les galeries. Et, le weekend prochain, c'est surtout dans les galeries qui présentent de la photographie que je vais aller.

Par exemple, j'ai remarqué que la galerie David Guiraud, rue du Perche à Paris, présente jusqu'en décembre une exposition intitulée NY Promenade - USA Promenade. Cela va enrichir je pense ma curiosité pour Basquiat, la Factory de Warhol et l'underground américain.

Mais je suis aussi curieux de voir les photographies de Laurent van der Stockt prises en Irak. C'est dans une galerie qui porte un drôle de nom : « Le Petit Endroit ». Je n'avais pas compris le jeu de mot mais une collègue me l'a expliqué, surprise d'apprendre que j'avais l'intention ce weekend d'aller au « petit endroit ». Il paraît que c'est une expression courante, un peu vieillotte mais que les gens connaissent encore. Moi, je l'ignorais complètement. Chez moi, on n'en parle pas de toute façon.

J'espère que mes baskets ne vont pas me lâcher car je pense que je vais faire des kilomètres dans Paris samedi. Heureusement, je suis de repos.







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dimanche 17 novembre 2024 mercredi 17 novembre 2010 Je suis passé par le musée d'Orsay qui a sorti ses joyaux impressionnistes. Je voulais voir le tableau de Monet représentant la rue Montorgueil toute pavoisée et noire de monde. C'est un tableau qui fait référence, tout autant que celui qu'il a peint d'une rue voisine, la rue Saint-Denis.  Monet s'en donne à cœur joie, sûr de son art et de sa méthode et l'on croirait presque entendre les drapeaux claquer au vent et le bruit de la foule. Il serait intéressant de savoir quelle est la rue qu'il a représentée en premier. La tableau de la rue Montorgueil est plus connu que son voisin, que je n'ai pas vu, puisqu'il est à Rouen. Mais, ce ne serait pas trop difficile d'aller le voir. J'y penserai. Mais il y a tant à voir.

En lisant la notice du tableau sur l'internet, je retiens que l'on peut rapprocher ces deux tableaux de celui peint le même jour de la rue Mosnier, mais cette fois par Manet et non Monet. Alors, j'ai regardé sur l'internet comment était ce tableau, que je ne verrai pas tout de suite puisqu'il est à Los Angeles au Getty Museum. Et c'est dommage que je ne puisse pas le voir en vrai, car je crois bien que je le préfère grandement aux deux autres. Les hachures des ombres sur le trottoir de gauche me font penser à une bobine de film que l'on aurait déroulée. Mais la première projection à Paris n'aura lieu que près de 20 ans plus tard. Manet rappelle que la guerre et la défaite de 1871, malgré la fête, sont encore proches, non moins que la Commune de Paris. Tout est encore de guingois comme la charrette et le mutilé qui chemine à gauche avec ses béquilles. Une échelle est abandonnée, qui ressemble aussi à des béquilles. Et les dames en blanc sont aussi bien des belles qui vont à la fête que des infirmières. Et pourtant, il y a cette douceur des couleurs de juin à Paris, qui rappellerait presque que rien sinon une seule petite lettre ne distingue douceur de douleur.

      




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samedi 23 novembre 2024 mardi 23 novembre 2010 Il faut que je parvienne à voir l'exposition Monet au Grand Palais à Paris. Mais c'est très difficile. Je lis dans le journal du jour qu'on pense que huit cent mille personnes auront vu l'exposition en janvier, quand elle fermera. J'ai donc jusqu'en janvier pour parvenir à y aller. Mon rêve c'est d'y aller un jour de fermeture. Je suis certain qu'ils organisent des visites privées pour les mécènes. Nous aussi nous avons des mécènes qui organisent parfois des visites privées pour des délégations étrangères. Je pourrais essayer de voir ça vers Dassault. En plus l'hôtel particulier des Dassault est juste à côté du Grand Palais. Je pourrais jouer le pauvre arabe inculte qui veut voir de la peinture. Je sais très bien jouer ce rôle et ça marche souvent. Les gens ont alors l'impression de faire une bonne action et du coup, ils en parlent pendant les dîners mondains. Ça leur donne quelque chose à dire. Encore faut-il que je trouve la bonne personne pour lui vendre ma fable.

Je regrette d'avoir manqué l'exposition Monet et l'abstraction au musée Marmottan-Monet, cet été. Mais en juin, j'étais encore à Clermont-Ferrand. En fait, je crois qu'elle m'aurait plus intéressé que le Blockbuster du Grand Palais. Elle a fermé en septembre, mais je suis passé à côté.

Je ne sais pas pourquoi, mais depuis quelque temps, la peinture abstraite m'intéresse davantage que la peinture figurative et dans un tableau figuratif, je regarde la peinture et peu à peu ce que le tableau figure disparaît derrière la peinture.

Je vais demander à la directrice si elle peut me faire entrer au Grand-Palais.







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vendredi 29 novembre 2024 lundi 29 novembre 2010 Il y a quelque chose que je voudrais faire mais je ne sais pas comment faire ni à qui le demander. Avant de pouvoir le demander, d'ailleurs, il faudrait que je puisse l'avouer et je ne sais pas à qui l'avouer, surtout que ce n'est pas une faute. Je m'aperçois que les fautes, en fait, on trouve toujours quelqu'un à qui les avouer. Les catholiques peuvent même la confesser. Moi, je trouverais bien un imam. Près de chez ma mère, ils pullulent en ce moment. C'est d'ailleurs un peu inquiétant car ils prêchent un islam rigoriste et surtout intolérant qui séduit les jeunes en quête de sens. Mais moi, ce que j'ai à avouer n'est pas une faute. Je pourrais un jour en parler à la directrice du musée. Je suis sûr qu'elle pourrait faire quelque chose. Mais je n'oserai jamais. J'ose à peine l'écrire dans ce carnet.

J'aimerais avoir mon baptême de l'air dans un de ces avions qui font des acrobaties dans le ciel.

C'est quand même curieux de vivre tous les jours au milieu des avions, de dessiner des avions, de parler des avions, de prendre soin des avions, de monter dans des avions au sol, de faire visiter des avions au sol et de n'être jamais monté dans un avion en vol.

C'est même douloureux.

Je crois que personne de ma famille n'a jamais pris l'avion, sauf peut-être un lointain cousin qui est parti travailler à DubaÏ et qui doit donc avoir pris l'avion. Mais je ne le connais même pas.

Ma mère aimerait, je crois, prendre l'avion au moins une fois dans sa vie.




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mardi 3 décembre 2024 vendredi 3 décembre 2010
J'ai peut-être trouvé une façon de faire mon baptême de l'air, même si c'est un peu compliqué. Il faudrait que je demande à faire un stage de formation à l'école de l'air et de l'espace de Salon-de-Provence. Voire, que je me fasse muter là-bas. Je suppose qu'il y a bien des visiteurs et ils pourraient avoir besoin d'un soldat spécialiste de la médiation. Cela fendrait encore le cœur de ma mère. Ce serait mieux un stage et je ne suis pas sûr qu'ils aient besoin là-bas d'un spécialiste de la médiation à plein temps.

Mais je rêve. Les cloisons entre les différentes armes sont aussi étanches que celles d'un sous-marin et il est plus difficile de devenir marin quand on est artilleur que quand on est civil. Ce sont les secrets et les mystères de l'armée.

Il y a peut-être plus aisé. Je vais devoir me résoudre à en parler à la directrice. Elle m'a à la bonne, je crois, et elle va trouver une solution.

Ce que j'aimerais, c'est survoler des lieux que je connais. Si je pouvais par exemple survoler la cité où j'ai grandi, je serais le plus heureux des hommes. Mais c'est peut-être un peu près d'Orly.

Il y a des clubs privés qui organisent des baptêmes de l'air au-dessus de Versailles ou de la Vallée de Chevreuse. Mais ça coûte environ deux-cents euros et ce ne serait pas raisonnable de dépenser cette somme pour cela. C'est la moitié de ce que je donne à ma mère chaque mois.

Je vais en parler à la directrice. Je verrai bien. Mais je ne crois pas que je pourrai emmener ma mère.




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mercredi 11 décembre 2024 samedi 11 décembre 2010
Ma bande dessinée marche très bien avec les enfants et mêmes les adolescents et même les moins jeunes. C'est une grande surprise. Alors, le musée a décidé de la faire éditer chez un éditeur spécialisé. Il n'a pas fallu chercher beaucoup. Le premier éditeur à qui l'on a envoyé le livre l'a accepté avec enthousiasme et a demandé à me rencontrer. On m'a donné une demi-journée de congé pour que je puisse aller au rendez-vous. Quand mon interlocutrice a su qu'il y a quelques mois j'étais encore militaire du rang dans une caserne à Clermont-Ferrand, j'ai vu ses yeux pétiller. J'imagine  : un militaire d'origine arabe banlieusard et qui écrit et dessine une bande-dessinée qui prend comme support de l'intrigue les collections du musée de l'air et de l'espace... on croit rêver.

Je lui ai dit que j'étais évidemment très heureux de son enthousiasme mais que je n'étais pas le produit et que je ferai volontiers des signatures voire des émissions promotionnelles mais que je ne voulais pas mettre en avant ni mon statut de militaire, ni mes origines familiales. J'ai bien vu qu'elle était déçue. Elle m'a demandé en riant s'ils pourraient dire que j'avais grandi en banlieue parisienne, ce que j'ai accepté. Elle m'a demandé enfin si je pensais à un autre livre. Je lui ai dit que j'y réfléchissais.

Quand j'ai répondu à l'éditrice que je réfléchissais à une nouvelle bande dessinée, ce n'était pas vrai. Mais, j'ai seulement anticipé. En tout cas, maintenant que je lui ai répondu cela, c'est entièrement vrai et je ne pense même qu'à ça.

Mon prochain livre se passera au musée de Clermont-Ferrand.




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mardi 17 décembre 2024 vendredi 17 décembre 2010 Je n'aurai pas de congés pendant la période de fin d'année. Je ne me sens pas vraiment concerné par noël ni même par la fin de l'année. Je préfère travailler et j'espère seulement que ni à Bagneux, ni au Bourget, on ne brûlera trop de voitures. On en brûlera bien sûr quelques-unes. C'est quasiment devenu une tradition, si bien que l'on ne publie pas le nombre de voitures brûlées afin de ne pas susciter de concours entre les quartiers.

Ce sera ma première fin d'année au musée et j'imagine que c'est un joli moment qui favorise les visites familiales. Je sais déjà que les parents sont aussi admiratifs que les enfants, mais, les plus joyeux et impressionnés, ce sont souvent les grands-parents. Sans doute, pur beaucoup d'entre eux, l'avion est entré plus tardivement dans leur vie, que ce soit en vrai ou à la télévision.

Ce musée est vraiment incroyable. Je rêve de m'y faire enfermer la nuit. C'est cependant rigoureusement impossible. Il est très sécurisé et même les rondes des gardiens de nuit sont très cadrées.

Je réfléchis à mon prochain livre dessiné. Ce serait l'histoire d'un jeune homme qui découvre la peinture en se rendant dans un musée par hasard. Je ne crois pas que ce sera autobiographique. En tout cas, ce n'est pas mon intention. Ce serait plutôt le souhait de vouloir garder la trace, pendant que c'est encore possible, de mes premières émotions de peinture à Clermont-Ferrand, dans cet univers militaire qui était le mien alors et qui semblait si peu propice à l'éveil artistique.

Mais je dois y réfléchir encore.




42
samedi 21 décembre 2024 mardi 21 décembre 2010 C'est incroyable ! Je suis invité au prochain festival de la bande dessinée d'Angoulême. Mais c'est très tôt  : du 27 au 30 janvier de l'année prochaine, soit un peu plus d'un mois. C'est le plus important festival en France, m'a dit mon éditrice. J'avoue que je n'en savais rien, car, le plus drôle, c'est que je ne me suis jamais vraiment intéressé à la bande dessinée. Quand j'étais enfant, nous étions trop pauvres pour que notre mère puisse nous en offrir et comme nous ne fêtions pas les fêtes, quelles qu'elles soient, personne d'autre ne nous en offrait. D'ailleurs, il n'y avait personne d'autre.

J'ai bien regardé quelques BD à la bibliothèque, mais ça ne m'a jamais vraiment attiré. Si l'on m'interrogeait à brûle pourpoint, je pourrais quand même citer Tintin et Astérix, dont la notoriété fait que ce sont presque des personnages historiques, mais je suis bien incapable de citer leur auteur. Je ne me rappelle d'ailleurs pas avoir lu en entier un des albums dont ils sont les héros. Je premier que j'ai vraiment lu, c'est pour faire le mien et c'est bien sûr Le Petit Prince.

Je n'ai pas le temps d'acquérir une culture superficielle de la bande dessinée française et internationale. SI l'on me demande quelle est ma bande dessinée préférée, je dirais que c'est seulement Le Petit Prince.

Et mon auteur préféré est bien sûr Antoine de Saint-Exupéry.

Mon éditrice m'a demandé si je voulais quitter l'armée. Je lui ai dit que non. Je veux continuer à rêver tranquillement aux avions et dessiner un mouton.

Je ferai mon baptême de l'air la semaine prochaine.

Avec l'argent que je vais gagner, j'emmènerai au printemps ma mère en Algérie... en avion de ligne.